« Le parc d’hébergement peine à jouer son rôle de tremplin vers le logement […]. Il était urgent de réformer ce système qui a laissé s’installer l’idée d’un accès au logement à l’issue d’un parcours en escalier. Le plan Logement d’abord […] marque la volonté du gouvernement d’adopter une approche globale de la politique de lutte contre le sans-abrisme. » Inscrites dans le bilan des deux ans d’actions de mise en œuvre accélérée du plan 2018-2022 présenté à la rentrée [1], ces quelques lignes résument l’ambition générale de cette politique. À quelle étape en est sa construction sur le terrain ? Les fondations sont-elles solidement en terre ? Quant aux briques qui contribuent à l’édifice, sont-elles assez nombreuses pour donner corps à cette réforme structurelle ?
Du côté de la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal), pilote du plan quinquennal, la réponse est affirmative. « Le principe fait désormais consensus, pointe le délégué interministériel Sylvain Mathieu. Nous avons avancé sur l’ensemble des priorités de ce plan protéiforme. » Et de citer en exemple quelques unes des évolutions recensées depuis les débuts du déploiement : +27 % d’attributions de logements sociaux aux ménages hébergés, et +20 % pour ceux déclarés sans abri.
Du local au national
Autre enseignement ? « Les résultats observés s’appuient sur des dynamiques locales collectives, ce qui montre que le choix de la territorialisation était le bon, reprend Sylvain Mathieu. Le coportage par l’État et les collectivités permet de dépasser de façon pragmatique des logiques de silos. » Ainsi, dans le cadre de la mise en œuvre accélérée du plan dans une vingtaine de territoires, des métropoles se sont particulièrement investies, à l’image de celles de Clermont-Ferrand et de Grenoble, qui ont notamment contribué à la diffusion de dispositifs d’intermédiation locative et de coordination pour l’accès et le maintien dans le logement [2]. Des résultats que semble acter un récent renforcement de crédits pour les villes moyennes en vue d’amplifier les dispositifs Un chez soi d’abord [3] – pionniers de la politique du Logement d’abord (lire l’encadré). Et ce, tandis qu’un nouvel appel à manifestation d’intérêt (AMI) a été lancé afin d’étendre le nombre de territoires concernés [4]. Mais comment diffuser le changement de paradigme prôné par le plan au niveau national ? « Pour ce qui est de notre champ, sa mise en œuvre dépend vraiment des volontés politiques locales, témoigne Arnaud de Broca, délégué général de l’Unafo, l’union des professionnels du logement accompagné. Ce qui pose à terme la question de l’implication de collectivités qui ne sont pas forcément acquises à la cause du Logement d’abord. »
Un bilan mitigé
Au-delà de ce constat, les associations du champ dressent un bilan plutôt mitigé de l’action gouvernementale. « Il y a certes des indicateurs positifs, mais les financements sont alloués à des doses homéopathiques au regard des moyens qu’exigerait cette politique globale, tacle Manuel Domergue, directeur des études auprès de la Fondation Abbé Pierre. L’explosion des dépenses d’hébergement d’urgence montre que la gestion au thermomètre perdure. Les professionnels de terrain se heurtent à ces réalités, ayant surtout des places d’hôtel à proposer. » Pour la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) aussi, le plan apparaît sous-calibré. « Il vise 40 000 prêts locatifs aidés d'intégration (PLAI) par an, quand nous en demandions 60 000, lance Emmanuel Bougras, chargé de mission Hébergement et Logement. Et pourquoi avoir baissé les aides personnalisées APL, qui permettent de solvabiliser les ménages et favorisent le maintien dans le logement ? »
Des freins nombreux
Du côté du logement accompagné, on regrette également un manque certain de volontarisme. « Le plan a certes permis de booster la production de pensions de famille et mis en évidence leur utilité sociale, mais il faut aller plus loin, estime Arnaud de Broca. Or, les freins sont nombreux : sur le foncier en zone tendue, mais aussi de la part de collectivités qui rechignent à la construction de logements sociaux et résidences sociales. La production ex nihilo de ces dernières stagne. Il s’agit souvent de transformation d’anciens foyers de travailleurs migrants, si bien que les capacités totales augmentent peu in fine. »
La Dihal défend pour sa part la dynamique amorcée. « Les PLAI sont maintenus à un haut niveau, affirme Sylvain Mathieu. Et en termes de production de pensions de famille, je souhaite que l’on pousse au-delà des objectifs du plan, même si leur ouverture elle-même prendra davantage de temps. Nous avons aussi progressé sur la coordination des acteurs et des crédits pour l’accompagnement et le maintien dans le logement. Il faut encore accroître ces derniers, en prolongeant notamment la recherche d’une meilleure coordination. » Et de poursuivre : « La mission de régulation de l'hébergement est réalisée sur la plupart des territoires, mobilisant une part importante des ressources des services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO), au détriment d'autres aspects comme le suivi des parcours ou l’observation sociale. Leurs moyens doivent donc encore être renforcés : 150 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires sont déjà prévus en 2021. Et il y aura une attention soutenue à ces services formant le cœur du réacteur de la politique du Logement d'abord. »
Quelle place pour les CHRS ?
Autre point d’achoppement : les centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). « Un modèle peu défendu dans les faits, juge Emmanuel Bougras. Si le plan d’économies est en partie compensé par des crédits issus de la Stratégie Pauvreté, la convergence tarifaire se poursuit. Ces structures sont pourtant une solution, tout comme les CHRS hors les murs qui permettent de donner une réelle place aux acteurs de l’hébergement dans la politique du Logement d’abord. »
« Le plan vise notamment à améliorer les synergies entre hébergement et logement, argue Sylvain Mathieu. Je souhaite d'ailleurs que la tarification des CHRS puisse évoluer en prenant en compte leurs besoins et difficultés, la capacité à délivrer par exemple leur expertise en termes d'accompagnement et d'insertion dans le logement. Elle doit donc être au moins en partie adaptée aux objectifs du plan, mais pas de n'importe quelle manière : il serait contre-productif d'en imposer sans observer les conditions d'exercice des missions. »
En attendant, c’est à un changement d’échelle du Logement d’abord qu’appellent les acteurs associatifs. Une exigence que vient davantage hâter la crise sanitaire. « Toujours plus de publics sont en situation très précaire, alerte Manuel Domergue. Les personnes ayant un parcours de rue se trouvent en concurrence avec d’autres pour l’accès au logement, comme des victimes de violences conjugales, des jeunes en décohabitation… Dans ces cas-là, le manque de logements sociaux et d’accompagnement vient renforcer les difficultés. »
[1] « Logement d’abord : deux ans d’actions dans les territoires de mise en œuvre accélérée », Dihal, 2020
[2] « Programme local du logement d'abord sur le territoire de Grenoble Alpes Métropole. Bilan intermédiaire de la Plateforme Logement d’abord », Agence nouvelle des solidarités actives (Ansa), 2020
[3] Instruction interministérielle n° DGCS/SD1A/SD5C/DGS/SP2/SP3/DSS/1A/2020/106 du 21 juillet 2020
[4] « AMI Territoires de mise en œuvre accélérée du plan Logement d’abord », Dihal, 2020
Justine Canonne
« Les effets qualitatifs sont là »
Mohammed Khattala, chef de service, GCSMS Un chez soi d’abord, à Marseille
« Lors de la pérennisation de l’expérimentation Un chez soi d’abord en 2016, les entités porteuses à Marseille [1] ont fondé un groupement de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS). Comptant 12 ETP (travailleurs sociaux, médiateurs en santé, médecins…), il s’inscrit pleinement dans le Logement d’abord, via l’accès direct au logement proposé aux publics ayant un parcours d’errance ainsi que des troubles spécifiques (bipolarité, schizophrénie…). Ils sont orientés vers la centaine de places disponibles par une commission trimestrielle animée par le SIAO. Les effets qualitatifs sont là : avoir un logement favorise l’inclusion sociale, faire baisser les cas d’hospitalisation et permettre de reprendre du pouvoir d’agir. »
[1] Habitat alternatif social, en charge de l’accompagnement social ; Soliha, qui s'occupe de la captation de logements ; l’AP-HM sur le volet médical.
Repères
- 23 territoires de mise en œuvre accélérée du plan Logement d’abord. Une dizaine supplémentaires attendus pour 2021.
- 17 200 places nouvelles financées par l’État en intermédiation locative entre début 2018 et mi-2020, soit environ 6 400 logements captés.
- 150 000 personnes accompagnées vers le logement en 2018 et 2019.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 192 - décembre 2020