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Territoires zéro chômeur de longue durée
En route vers l’acte II

19/02/2020

Alors que l’élargissement de l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée est sur la table, des axes d’amélioration se dessinent pour passer à la vitesse supérieure : révision du financement, réduction de la voilure des recrutements ou encore évolution de l’encadrement intermédiaire.

« Améliorer l’expérimentation, la prolonger et la développer. » Telle était l’ambition affichée, fin octobre 2019, par la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, devant l’Assemblée nationale. Ce trois ans après le déploiement du dispositif Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) dans dix zones pilotes, et un mois avant la remise de deux rapports aux constats mitigés : celui du comité scientifique et celui des inspections générales Igas et IGF [1].

Cibler les « invisibles »

L’heure est donc au bilan de l’expérimentation lancée par l'association ATD-Quart Monde. Qualifiée d’« utopie réaliste », elle prévoit le recrutement de chômeurs en contrat à durée indéterminé (CDI) par une entreprise à but d’emploi (EBE) grâce à la réaffectation des dépenses sociales occasionnées par la privation durable d’emploi. Un groupe de travail a été mis en place le 17 décembre par le ministère du Travail. Objectif ? « Voir les modalités d’une deuxième phase test dans d’autres territoires, avec un accord de principe : celle-ci doit être menée sans tarder », explicite Clémentine Hodeau, directrice générale du fonds de l’expérimentation.

« Pour l’instant, nous convergeons sur les fondamentaux : l’exhaustivité des territoires et le ciblage des chômeurs de longue durée », se réjouit Laurent Grandguillaume, à la tête de l’association TZCLD. Des paramètres loin d’être anodins puisque les deux rapports questionnent le périmètre de l’expérimentation. Sur le terrain, chaque comité local, en charge du pilotage, a en effet interprété à sa sauce la condition fixée « de privation durable d’emploi ». Conséquences ? Un élargissement de la cible et une grande hétérogénéité des pratiques qui interrogent le comité scientifique sur l’égalité d’accès et de traitement. Quand les inspections générales proposent un scénario plus radical : un recentrage du public (plus de 50 ans, bénéficiaires de minima sociaux sur une longue période…).

Une option aujourd’hui écartée, assure Clémentine Hodeau : « C’est une grande victoire ! L’expérimentation sera bien proposée à toute personne privée d’emploi, en prenant en compte le halo du chômage et donc le public "invisible". Reste à voir les modalités pratiques, ce qui nécessitera un fin travail des comités locaux pour objectiver leurs choix. »

Une viabilité encore fragile

Autre changement à arbitrer : faut-il revoir la logique financière de l’expérimentation ? La participation du fonds de 18 000 euros par équivalent temps plein (ETP) et par an est jugée « insuffisante » par les acteurs de terrain qui souhaiteraient un complément « pour accompagner la montée en charge ». Surtout que la viabilité économique des EBE reste fragile, selon le comité scientifique. En pratique, le coût pour les finances publiques d’un ETP s’approcherait de celui des ateliers et chantiers d’insertion (ACI), soit autour de 26 000 euros. Ce qui oblige les EBE à combler l’écart : un tiers par le chiffre d’affaires, un tiers par un apport de l’État et des collectivités territoriales et le reste par du mécénat. « Le temps consacré à la levée de fonds est en moins pour le développement de nouvelles activités », résume Joëlle Chelle, à la tête d’une EBE qui a ouvert ses portes à Thiers (Puy-de-Dôme) à l’automne.

Le casse-tête de la non-concurrence

Une difficulté à laquelle s’ajoute une contrainte : le principe de non-concurrence qui « limite la performance économique des EBE tout en alimentant des tensions internes », selon le comité scientifique. En clair, elles ne doivent pas marcher sur les plates-bandes du privé ni de l’insertion par l’activité économique (IAE), ce qui les amène à jongler avec une grande diversité d’activités. Comme l’association La Fabrique de l’emploi, née dans le Nord en 2017, qui multiplie ses champs d’intervention : épicerie solidaire, maraîchage, ressourcerie, aide à domicile…  « Il faut pousser toutes les portes, tester toutes les hypothèses. Bref, oser !, recommande Laure Toulemonde, sa directrice générale. Notre enjeu pour être viable est de développer des activités avec un tiers payant comme un bailleur social pour des travaux chez les locataires. Et de devenir prestataire de politiques publiques. »

Cet exercice nécessite un dialogue de tous les instants avec les partenaires. « Chaque fois que nous entrons dans une démarche prospective, nous en faisons part aux membres du comité local pour nous assurer qu’il n’y a aucun problème », témoigne Laure Toulemonde. Un échange pas toujours évident avec les acteurs de l’IAE. « Il y avait des tensions au moment du lancement de l’expérimentation. Nous étions sur les mêmes lignes budgétaires dans un contexte de baisse des subventions. Il y avait cette idée que les EBE apportaient LA solution alors que les structures de l’IAE étaient vieillissantes », se remémore Joëlle Chelle.

Depuis, de plus en plus de projets émergent avec la création d’une EBE appuyée sur des structures de l’économie sociale et solidaire (ESS). « Travailler sur un écosystème existant permet aussi de bénéficier de leur savoir-faire et de leurs compétences pour gagner en rapidité et en efficacité organisationnelle », souligne Clémentine Houdeau. L’EBE de Thiers fait partie de cette dernière tendance, puisqu’adossée à Inserfac, une association rassemblant neufs ACI dans le Puy-de-Dôme. Un exercice plus facile ? « C’est ce que nous pensions car nous avions déjà des fonds propres, l’habitude de travailler avec les banques, un pôle Ressources humaines… Mais pour ne pas nous mettre en danger, nous avons dû créer une nouvelle association, détaille Joëlle Chelle. J’y suis mise à disposition, de même que la comptable et la responsable RH. » Reste que la situation est jugée « plus confortable » puisque l’association a pu dupliquer des activités déjà menées par ses ACI.

Un problème de taille ?

S’adosser à ses structures permettait aussi aux EBE selon Clémentine Hodeau, de faire face à de « forts chocs d’organisation ». « C’est la principale difficulté. Il nous faut atteindre des objectifs d’équilibre financier mais aussi répondre à l’exhaustivité des demandes d’emploi. Plus on monte en charge vite, plus l’accompagnement des équipes est difficile, complète Laure Toulemonde, dont les effectifs ont doublé entre juin et décembre 2017. Nous avons dû ralentir notre développement pour stabiliser nos équipes et réfléchir à notre organisation managériale. »

Pour la phase 2, le comité scientifique propose ainsi d’adapter le rythme de recrutement et de professionnaliser le management intermédiaire. Comme la Fabrique de l’emploi a ainsi repensé son encadrement. Aux côtés du directeur désormais centré sur les aspects financiers, se sont ajoutés une adjointe, chargée du développement, ainsi que des responsables de site et d’équipe. Quand l’EBE de Thiers, qui compte aujourd’hui 14 salariés, a déjà tiré des leçons en se fixant une capacité maximale de 35 ETP.

Le numerus clausus en question

Pour traduire sur le papier ces enseignements, l’association TZCLD et le fonds attendent désormais un projet de loi. Avec une inconnue : à combien de territoires étendre l’expérimentation ? Sur ce point, les deux acteurs, de même que le comité scientifique s’accordent sur la nécessité de ne sélectionner que les projets matures. « Nous souhaiterions une habilitation au fil de l’eau en fonction d’un cahier des charges établi par le fonds », précise Laurent Grandguillaume. Celui-ci listerait des critères opérationnels comme un business plan sur trois ans.

À ce jour, 200 territoires ont manifesté leur intérêt et 105 ont signé la charte d’engagements et démarré les travaux. « Ce qu’il nous faut désormais c’est trouver un numerus clausus qui ne soit pas trop bas pour ne pas décourager les projets en gestation. C’est le point de discussion sensible avec le ministère : plus celui-ci sera élevé, plus les moyens nécessaires seront importants », pointe Clémentine Hodeau. La réponse de la ministre du Travail était attendue fin février.

[1] « Expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée », rapport intermédiaire du comité scientifique, 25 novembre 2019, à retrouver sur https://travail-emploi.gouv.fr et « L’évaluation économique de l’expérimentation visant à résorber le chômage de longue durée (ETCLD) », rapport des Inspections générales des finances (IGF) et des affaires sociales (Igas), octobre 2019, sur www.igas.gouv.fr

Laura Taillandier

« Nous sommes volontaires pour la seconde phase »

Pauline Bommé, chargée du projet pour la ville de Pont-Château (Loire-Atlantique)

« En 2016, lors de la première vague, nous n'étions pas prêts. Depuis, nous avons bien avancé, et rassemblé les acteurs du territoire. Certains étaient frileux, il a fallu les convaincre que nous allions nous diriger vers des besoins nouveaux. Avec le soutien financier du département et grâce au bouche-à-oreille, nous avons recruté les chômeurs de longue durée (67 volontaires sur un public potentiel de 500 personnes). Pendant deux ans, nous avons mobilisé les collectivités, les entreprises, les habitants pour trouver une niche d’activité : l’économie circulaire. Nous pensons à une recyclerie et une conciergerie. Une personne est désormais chargée du modèle économique pour créer notre EBE d’ici à fin 2020. Nous sommes épaulés par l’association TZCLD et avons bien en tête les améliorations suggérées comme sur la formation des salariés. Nous espérons faire partie de la deuxième phase, mais attendons aussi ses modalités : quel sera le financement apporté par le fonds ? »

Repères

  • 770 personnes ont été embauchées par une enreprise à but d'emploi (EBE) depuis 2016.
  • 53,9 mois. C'est la durée moyenne de privation d'emploi des bénéficiaires du dispositif.
  • 21% des salariés des EBE sont reconnus en situation de handicap.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 184 - mars 2020






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