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Paerpa
Un modèle inspirant

16/09/2020

Un décloisonnement, une fluidité de parcours mais une application hétérogène… Alors que l’expérimentation Prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées (Paerpa) est close, ses acteurs pointent ses bénéfices et ses limites. Des enseignements qui vont nourrir la future réforme de l’Autonomie, assure la ministre déléguée, Brigitte Bourguignon.

Dominique Libault, à la tête du comité national de l’expérimentation Paerpa

Clap de fin pour le programme Prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées (Paerpa). Après six ans, et un élargissement à au moins un territoire par région depuis 2016, l’heure est au bilan pour ce dispositif visant à maintenir la personne âgée « dans la plus grande autonomie le plus longtemps possible dans son cadre de vie habituel ». Son intérêt ? « Nous avoir permis de multiplier les expériences pour construire un parcours de santé tout en ayant une capacité de benchmarking afin d'étendre ensuite ces mesures à d’autres territoires », résume Marguerite-Marie Defebvre, médecin et chargée de mission sur le vieillissement à l’agence régionale de santé (ARS) Hauts-de-France.

Prévenir l’hospitalisation

Mutualisation des infirmières de nuit entre établissements
d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), développement de l’hébergement temporaire dans ces structures après hospitalisation, limitation de la case « urgences », création d’équipes mobiles de gériatrie… « Beaucoup d’actions engagées dans le cadre de Paerpa ont aujourd’hui trouvé un chemin dans le droit courant », relève Dominique Libault, à la tête du comité national de l’expérimentation. Au total, près de 11 % des plus de 75 ans ont pu bénéficier de ce programme organisant un repérage des quatre principaux facteurs d’hospitalisation évitables (dépression, chute, problèmes liés aux médicaments, dénutrition) grâce à une optimisation de la coordination des professionnels (sanitaires, sociaux et médico-sociaux) autour de l’usager. Le tout via plusieurs dispositifs : un guichet unique d’information et d’orientation dénommé coordination territoriale d’appui (CTA), des plans personnalisés de santé (PPS) sous l’égide du médecin traitant, et des formations, notamment des intervenants à domicile.
Dans l’Hérault, l’expérimentation est portée depuis 2017 par une association fondée par les onze services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) du territoire de la Maison pour l’autonomie et l’intégration des malades Alzheimer (Maia). Hébergée au centre hospitalier universitaire, aux côtés de la Maia, la CTA, née du rapprochement des deux structures, répond aux sollicitations des aidants, des personnes âgées et des professionnels. « Au départ, ce sont surtout les établissements de santé qui s’en sont saisis, puis le mot est passé aux professionnels libéraux, médico-sociaux et sociaux qui peuvent nous
interpeller sur des signaux d’alerte : allers-retours aux urgences, logement inadapté… »
, témoigne Camille Benzine-Cauvy, cadre Paerpa. Première étape : se rendre au domicile pour évaluer l’état de la personne grâce à des bilans gériatriques standardisés. Puis l’évaluation est communiquée à l’ensemble des acteurs (médecin traitant, aide-soignant, assistant social…) pour établir le plan personnalisé de coordination en santé (PPCS) autour de cinq ou six actions qui seront réajustées au cours de deux bilans annuels.

Une mise en place hétérogène…

Mais Paerpa ne rime pas automatiquement avec PPS. « Son utilisation est très hétérogène : elle est rentrée dans le droit commun en Meurthe-et-Moselle, alors qu'elle a peu pris à Bordeaux », illustre Dominique Libault. Selon le bilan national, l’expérimentation s’est d’ailleurs traduite de manière très diverse selon les régions. « Les conclusions sont nuancées, mais ce n’est pas scandaleux. C’est aussi aux territoires de trouver leurs leviers. Cela peut passer par la CTA ou les maisons pluriprofessionnelles de santé, par exemple », poursuit le président du comité.

Dans les Hauts-de-France, le choix a ainsi été fait d’écarter l’objectif de la nutrition pour deux autres axes phares : le médicament avec un PPS spécifique sur la polymédication, et la chute. Pour bâtir son projet, l’ARS s’est appuyée sur un groupe de coopération sanitaire gérontologique dans le sud Valenciennois afin de constituer une filière gériatrique. « Il y a des actions dans tous les domaines et chacun y trouve son compte : l’hôpital, le domicile, mais aussi les Ehpad », assure Marguerite-Marie Defebvre. Parmi les projets engagés ? Une équipe de paramédicaux spécialisés, positionnée sur un Ehpad ressource, avec pour mission d’aider les structures du territoire à bâtir un programme de prévention. Ou encore une équipe mobile psychogériatrique pour les établissements, très sollicitée pendant la crise sanitaire. Les Pays de la Loire ont, quant à eux, davantage axé les interventions sur le domicile. « Il y a encore de fortes choses à faire en établissement, mais nous souhaitions intervenir en amont sur la prévention. C’est pour cela que nous avons créé une équipe mobile d’ergothérapeutes », explicite Vincent Michelet, directeur adjoint de l’appui à la transformation et de l’accompagnement (Data) auprès de l’ARS.

… qui complique le bilan

Revers de cette diversité de pratiques et d’organisation ? Une difficile évaluation des bénéfices réels de l’expérimentation, pointe l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) dans une étude menée en 2018. Seule certitude : une baisse des prescriptions inappropriées de médicaments et de la polymédication, ainsi qu'une diminution du recours aux urgences pour les soins non programmés en ville. « C’est en revanche plus incertain en qui concerne la baisse de l’hospitalisation (durée cumulée des séjours et réhospitalisations à 30 jours), concède Dominique Libault. Mais les usages ont changé, les acteurs se sont emparés des outils et la satisfaction des personnes est tout à fait singulière. »

Un bilan avant tout qualitatif partagé par les acteurs locaux. « Son premier bénéfice est d’avoir permis une meilleure interconnaissance des acteurs en créant des lieux d’échange et de coordination. Ce n’est d’ailleurs pas un projet que l’ARS peut porter seule dans son coin », expose Vincent Michelet. C’est pour ces raisons que l’agence a choisi d’expérimenter en Mayenne, département à l’espérance de vie forte et au recours élevé à l’hospitalisation, jugé « terreau fertile ». « Nous savions que nous aurions très vite le "go" du conseil départemental, et l’adhésion du monde hospitalier et des professionnels de santé. Il y avait déjà des maisons pluridisciplinaires de santé… »

Car la mise en musique de l’ensemble des acteurs n’est pas toujours aisée, notamment avec le milieu hospitalier. « Nous avons de belle réussites avec de fortes implications à Nancy, Valenciennes, Bordeaux. Et dans d’autres, où c’est plus compliqué, notamment avec la limite des outils financiers comme la tarification à l'activité (T2A) qui tendent à ce que l’hôpital ait tout intérêt à faire venir des patients », observe Dominique Libault. Autre frein ? Les systèmes d’information dont l’interopérabilité jugée essentielle n’est toujours pas au niveau.

Et maintenant ?

Pour 2020, les crédits consacrés aux outils clés ont été prolongés dans le cadre du fonds d'intervention régional (FIR), mais les incertitudes sont fortes pour 2021. Si les ARS reconduiront l’essentiel des dispositifs jugés concluants, rien n’est sûr pour l’avenir des PPS qui font l’objet de financements dérogatoires. Ni sur les temps de coordination à valoriser.  « Quelque chose doit prendre le relais et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ou les maisons de santé ne nous permettrons pas de retomber sur nos pieds », souligne Vincent Michelet. En effet, d’ici à 2022, comme le prévoit la dernière loi Santé, les CTA devront avoir intégré les nouveaux dispositifs d'appui à la coordination des parcours de santé complexes (dénommés DAC) aux compétences plus larges. « On sait que les notions d’accompagnement, de proximité et de dépistage perdureront, mais on ne sait pas encore comment », témoigne Camille Benzine-Cauvy. Convaincue de la nécessité de maintenir une coordination de territoire pour les personnes âgées, l’ARS Hauts-de-France a de son côté lancé un appel à projets pour une coordination d’une filière gériatrique auprès des hôpitaux en lien avec la ville.

À l’aube de la future réforme de l’Autonomie, Dominique Libault s’interroge : « Quel est l’avenir de la méthode engagée ? » Et plaide : « C’est un véritable décloisonnement. Arrêtons de gérer par institution pour créer une alternative à la prise en charge à l’hôpital, grâce à une coordination autour du maintien à domicile ! » Et de lister des prérequis : une gouvernance partagée ARS/conseil départemental « pour ne pas évacuer la question sociale », des chefs de projets chargés de l’animation territoriale et… un changement de braquet aussi du côté des administrations, encore trop cloisonnées.

Laura Taillandier

« Il faut partir des attentes de la personne ! »

Éric Fregona, directeur adjoint de l’association de directeurs au service des personnes âgées (AD-PA)

« Le problème de Paerpa est que l’on part des pathologies et de l’offre et que l’on voit ensuite ce que l’on peut proposer à la personne âgée. Il faut, au contraire, partir de ses attentes et qu’elle soit partie prenante de la création de son parcours. Même si j’ai un peu de mal avec ce mot, creux, passe-partout… Un bon préalable serait qu’il y ait des collèges de personnes âgées en situation de vulnérabilité qui puissent intervenir dans le processus. Reste que l’expérimentation est source de bonnes initiatives. Elle aura permis la création d’outils de liaison entre les différents professionnels et faciliter l’accès aux soins. Les filières gériatriques ont montré leur valeur ajoutée pendant la crise sanitaire avec un lien fort avec l’hôpital. Paerpa souligne aussi l’importance des temps d’échange, des postes de coordination et du lien entre le domicile et les établissements… Autant de gages pour le virage domiciliaire attendu dans la future réforme. »

Repères

  • 19 millions d'euros : c'est le montant annuel de l'enveloppe du fonds d'intervention régional (FIR) consacrée à Paerpa.
  • 18 448 plans personnalisés de santé ont été élaborés entre 2015 et 2019.
  • « Globalement, à ce jour, les résultats ne permettent pas de conclure à un impact moyen de Paerpa sur l'ensemble des territoires. » (Évaluation d’impact de l’expérimentation Paerpa. Premiers résultats, juin  2018)

Publié dans le magazine Direction[s] N° 190 - octobre 2020






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