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Tribune
« Encourager l’innovation et l’action collective »

05/05/2021

La pandémie de Covid-19 a fait resurgir la vulnérabilité des personnes âgées à domicile comme en établissement. Pointant la nécessaire réforme du système de santé, Sandra Bertezene, Karêne Fredj et Lucile Rozanes Mercier détaillent l’urgence à instaurer un pilotage partenarial entre les opérateurs et les pouvoirs publics. Elles plaident pour une véritable organisation de l’action collective et une ambitieuse valorisation du travail auprès de ces publics de plus en plus nombreux [1].

Sandra Bertezene, Karêne Fredj, Lucile Rozanes Mercier

L’actualité des services et des établissements pour personnes âgées est dominée par la lutte contre le SARS-Cov-2 et le Ségur de la Santé organisé dans son sillage. Cependant, les changements opérés dans le cadre de ce dernier ne permettront pas de dépasser les difficultés à l’œuvre depuis des années, bien avant l’apparition du nouveau coronavirus. Les rapports coordonnés par Dominique Libault et Myriam El Khomri remis à la ministre de la Santé en 2019 résument bien ces tensions : un système complexe et peu lisible, des métiers du grand âge peu attractifs qui se traduisent par des difficultés à recruter et à fidéliser les professionnels, des cloisonnements entre les organisations qui constituent un frein à la rénovation du secteur.
La crise sanitaire a mis en lumière plus que jamais la difficile organisation des projets destinés à des personnes âgées aux profils très différents : des résidents à la recherche d’un lien social et d’un environnement sécurisant, et des personnes en perte d’autonomie, désorientées, qui ont besoin de soins et d’une stimulation cognitive de chaque instant. La pandémie a révélé les difficultés qu’entraîne une telle variété de situations lorsqu’il faut respecter un confinement strict et subir l’éloignement des familles. Dans les régions les plus touchées par la Covid-19, les Ehpad ont dû souvent assumer seuls la charge de soins lourds pour lesquels ils ne disposaient ni du matériel ni des personnels formés. Rendons ici hommage aux équipes pour la façon dont elles se sont acquittées
de ces responsabilités avec abnégation et humanisme. Favoriser l’innovation en faveur du maintien à domicile est une demande forte des personnes âgées. Depuis la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite Elan) de 2018, le projet de vie sociale et partagée est reconnu et fait l’objet d’un financement spécifique. Ainsi, pour les personnes dont la perte d’autonomie reste minime, différentes solutions existent dans le cadre de l’habitat inclusif : logements groupés, pensions de famille, petites unités, accueil familial, colocations. Pour les plus dépendants, les professionnels innovent aussi : structures de répit pour alléger la charge des aidants familiaux, accueils de jour intergénérationnels pour lutter contre l’isolement, Ehpad hors les murs pour les personnes qui nécessitent des soins et un accompagnement plus important mais qui souhaitent rester chez elles, ou encore déploiement des outils de e-santé, des thérapies non médicamenteuses pour les personnes atteintes de maladies neurodégénératives, etc. Ces initiatives doivent être soutenues.

Des attentes fortes

Des décisions volontaristes sont attendues concernant le financement des innovations et des équipes compte tenu de l’urgence démographique : en 2025, notre pays comptera 100 000 personnes supplémentaires en perte d’autonomie alors même que nous manquons déjà de professionnels qualifiés. Le secteur a besoin d’expérimenter des alternatives à l’institutionnalisation, de développer les structures d’aide à domicile et les pôles de prévention de la perte d’autonomie. La nécessité de proposer des solutions diverses et adaptées en fonction du parcours des bénéficiaires dans l’avancée en âge apparaît comme une évidence. Le secteur espère aussi des avancées sur le plan des carrières pour favoriser les recrutements : revalorisation des salaires dans tous les champs et de tous les professionnels, augmentation des effectifs, développement de parcours de formation certifiants notamment. Les organisations attendent beaucoup dans ce domaine de la mission confiée récemment à Michel Laforcade par le gouvernement afin de déployer le plan d’actions pour les métiers du grand âge et de l’autonomie.
Pour que l’augmentation des moyens soit suivie d’effets pleinement satisfaisants, encore faut-il organiser une réforme systémique de la santé. On reproche à notre système de santé son hospitalo-centrisme, il faut également lui reprocher son approche excessivement centralisée, bureaucratique et macro-économique. Il ne s’agit pas de remettre en question l’effort de modernisation des politiques publiques, ni la centralisation des décisions stratégiques. Il s’agit plutôt ici de mettre en évidence des dérives qui font émerger deux difficultés majeures : un manque de décisions organisationnelles et opérationnelles décentralisées d’une part, et le manque de valorisation du travail des professionnels du secteur d’autre part. Déclinons brièvement ces deux éléments.

Une nécessaire coordination

Le système de santé ne prévoit pas suffisamment la décentralisation des décisions organisationnelles et opérationnelles. De fait, l’organisation de l’action collective (autrement dit le pilotage, le management) est ignorée, ce qui aboutit au cloisonnement entre les acteurs : secteurs social, médico-social et sanitaire, établissements publics, privés non lucratifs et lucratifs, et libéraux, etc. Cette situation génère deux difficultés : d’une part, les parcours d’accompagnement et de soin sont mal coordonnés, comme si une personne âgée ne pouvait pas, par exemple, être à la fois fragile socialement, malade et dépendante ; d’autre part, la bureaucratie s’impose au détriment du pilotage agile de l’organisation pourtant indispensable à l’amélioration continue de la qualité, à l’expérimentation de nouveaux services, mais également à l’adaptation face aux incertitudes entraînées par la pandémie. Contrairement aux idées reçues, les services et les établissements ne souffrent pas des dérives du management, mais plutôt d’un management empêché par la contrainte administrative.
La régulation financière est aveugle à la richesse née du travail. Les intitulés des outils de la régulation parlent d’eux-mêmes : objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), objectif global de dépenses (OGD). Ces dispositifs expriment des dépenses annuelles sans les mettre en perspective avec les impacts attendus de la qualité des soins et des accompagnements, ou encore de l’innovation dans les modes d’accueil proposés en fonction des besoins réels de la population. Et l’année suivante, l’exercice se répète sans pour autant faire le bilan qualitatif, quantitatif et financier des résultats atteints grâce aux dépenses réalisées l’année précédente.

Pour une loi Grand âge et Autonomie maintenant

En conclusion, les services et les établissements ont besoin d’une loi Grand âge et Autonomie ambitieuse qui ne soit pas davantage repoussée, mais ils ont aussi besoin d’une réforme systémique de la santé permettant l’organisation de l’action collective et considérant les emplois comme un investissement porteur de croissance économique inclusive, par la valorisation auprès des jeunes des métiers d’accompagnement rendus plus attractifs par davantage de reconnaissance et des formations permettant des rémunérations en conséquence. Ce qui favoriserait également une meilleure équité face à la perte d’autonomie, dans la logique des constats effectués par l’Organisation mondiale de la santé depuis plusieurs années.

[1] La Fondation Casip-Cojasor a organisé, en partenariat avec l’Institut Elie Wiesel et l’Espace culturel et universitaire juif d’Europe, un cycle de vidéoconférences intitulé « Se réinventer pour vieillir autrement » de septembre à décembre 2020. Le Cnam organise également chaque mois les Rencontres de la chaire de gestion des services de santé. Ces différentes conférences ont notamment accueilli la ministre Brigitte Bourguigon et les auteurs des rapports destinés à préparer la loi Grand Âge et Autonomie, Dominique Libault et Myriam En Khomri. Ces conférences sont à retrouver sur https://www.youtube.com/playlist?list=PLLETlxInniJwF0cTYavsqXoJBXUzmZ1ar

Sandra Bertezene, Karêne Fredj, Lucile Rozanes Mercier

Cartes d'identité

Nom. Sandra Bertezene

Fonction. Pofesseure titulaire de la chaire de gestion des services de santé au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam).

Nom. Karêne Fredj

Fonction. Directrice générale de la Fondation Casip-Cojasor

Nom. Lucile Rozanes Mercier

Fonction. Directrice générale de la Fondation de Rothschild

Publié dans le magazine Direction[s] N° 197 - mai 2021






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