La coordinatrice de parcours complexes de la DIH de Seine-Saint-Denis répond aux sollicitations des personnes handicapées et de leurs aidants.
Dissiper le brouillard pour conforter les équipes : c’est ce qu’attendent les associations engagées depuis un an dans le projet de soutien aux personnes en situation de handicap, baptisé Communautés 360. « Nous avons besoin d’un éclaircissement sur les missions, l’articulation avec les dispositifs de coordination existants et sur la gouvernance », résumait mi-juillet Émilie Guéguinou. La responsable Qualité et Développement de projets de l’association Adages – qui porte l'initiative dans l’Hérault – s’interroge : « Le national arrivera-t-il à proposer un cadre unique malgré la disparité de fonctionnements ? »
Un exercice d’acrobate
Car, ce qui caractérise les Communautés pour l’instant, c’est justement leurs multiples caractéristiques. Selon l’Agence nationale d'appui à la performance (Anap), on retrouve dans les porteurs de projet, un ou des établissements et services médico-sociaux (ESMS) voire certains avec la maison départementale (MDPH). Au jeu des différences, il faut aussi compter le nombre de partenaires engagés de même que les types de gouvernance : des comités de pilotage, des instances entre acteurs de terrain qui peuvent prendre appui sur des cellules existantes comme la « réponse accompagnée pour tous » (RAPT) et des coordinations inter-institutionnelles, pas toujours évidentes selon les territoires.
C’est qu’il a fallu construire en marchant, les premières Communautés ayant été lancées dans l’urgence de la crise sanitaire en 2020. « Nous avons eu 15 jours pour nous organiser avec les dix associations, trouver les personnes ressources et gérer la permanence téléphonique », témoigne Émilie Guéguinou. Chaque structure a désigné un conseiller parcours, garant de la recherche de solutions, mais sans visibilité sur le financement ou la structuration juridique à adopter. « Si, aujourd'hui la dynamique engagée entre les acteurs est bonne, cela a été un exerice d'acrobate, poursuit-elle. Avant fin 2020, nous n’avions aucune certitude sur l’enveloppe dédiée et donc le temps à y consacrer. Nous fonctionnions aussi sans convention et avons missionné des experts pour identifier les risques financiers. »
Dans le Rhône, le projet porté par l’association des PEP et qui rassemble un collectif de 25 organisations a choisi la logique conventionnelle. « Une, multipartenariale avec les structures et une autre spécifique avec l’agence régionale de santé (ARS) sur le financement. Ce qui permet notamment aux petites associations de facturer si elles le souhaitent les astreintes tout comme la coordination de parcours », explicite Nicolas Eglin, directeur de secteur aux PEP 69. Quand en Seine-Saint-Denis ou dans les Yvelines, le projet est marqué par l’empreinte du dispositif intégré de soins et de services pour personnes handicapées (DIH).
Passer au niveau 3
Faire la synthèse de ces pratiques et laisser de la souplesse aux territoires tout en donnant le cadrage nécessaire à la montée en charge… C’est l’enjeu du cahier des charges dont la publication est désormais promise en septembre par le secrétariat d’État. Une fois que la concertation pilotée par la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP), retardée par la crise et les élections locales, aura rendu sa copie. « L’objectif est de lister les missions socles, mais aussi des perspectives pour les Communautés les plus en avance, qui ont la capacité d’avoir une réponse plus enrichie », exposent les pouvoirs publics.
En clair : passer à une intervention dite de niveau 2 ou 3. Pour l’instant, les Communautés 360 sont avant tout un service de conseil et d’écoute. De juin à novembre dernier, les 14 000 appels reçus ont permis de réagir aux demandes d'information des aidants et personnes handicapées (niveau 1), essentiellement en lien avec l’épidémie. Seuls 10 % ont donné lieu à des agencements de solution entre partenaires (niveau 2) et 2 % à la création d’un projet entre eux (niveau 3). Pour l’essentiel, des solutions de répit comme dans les Yvelines. « La Communauté 360 a permis de rassembler des gestionnaires qui travaillent à une offre pérenne. À l’été 2020, sept instituts médico-éducatifs (IME) sont restés ouverts, huit en 2021 », illustre Sylvie Gagnet, pilote du DIH et du 360. Concernant le Rhône, la démarche s’engage tout juste avec la constitution d’un groupe de travail. « C’est un des points forts de la discussion avec les tutelles : se dire qu’il va falloir travailler sur les listes d’attente des établissements et services », souligne Nicolas Eglin.
Des facilitateurs en appui
L’enjeu pour les communautés est en effet de s’inscrire dans la Stratégie de transformation de l’offre. Comment à l’échelle du département, voire de la région, structurer un écosystème qui permette de nourrir l’offre médico-sociale et tirer les conséquences des inadéquations par rapport aux besoins ? Pour y parvenir, des postes d’assistants parcours de vie ont été annoncés lors du Comité interministériel (CIH) de juillet. « Ces facilitateurs dialogueront avec les familles afin d’identifier leurs souhaits, de permettre une autodétermination », détaille le secrétariat d’État. Une « grande nouveauté » saluée par Marie Aboussa, directrice du pôle Offre sociale et médico-sociale de Nexem. « Ils peuvent être un point d’appui indéniable s'ils ne sont pas placés sous le pilotage exclusif des Communautés, prévient-elle. Il s’agit de faire le lien entre les milieux ordinaire et spécialisé pour réfléchir à des logiques d’hybridation, des solutions sur mesure. »
À condition aussi que les Communautés ne se transforment pas en bataille rangée entre autorités de tarification et que le milieu spécialisé ne porte pas seul le poids du dispositif. « Nous sommes depuis des années en pénurie d’offres adaptées. Ce n’est pas miraculeusement qu’on va les trouver et ce ne sont pas nos associations qui devraient être tenues pour responsables si ce n’est pas le cas, pointe Luc Gateau, le président de l’union nationale des associations Unapei. On a besoin que l’ensemble de la société prenne part à l’effort. »
Une dynamique à élargir et à coordonner
Embarquer le maximum d’acteurs de droit commun fait partie des axes d'amélioration identifiés sur le terrain. « Dans les groupes opérationnels de synthèse (GOS), désormais quand nous avons un problème de logement, nous convions un bailleur ou quand il s’agit de réussite éducative, les acteurs concernés, illustre Sylvie Gagnet. Pour nous, le 360 c’est bien un complément à la RAPT et au DIH. » Un point d'attention pour le secrétariat d'État : « Dans les Communautés à maturité, il y avait déjà une fluidité entre les acteurs et ce n'est pas quelque chose qui se décrète ! Notre enjeu est de créer les instances de dialogue pour que chacun revitalise ses missions et les moyens qui lui sont dévolus. » Tout en veillant à l'articulation avec les autres dispositifs comme la RAPT ou d'appui à la coordination (DAC). « Ce n'est pas encore évident. Nous avons un lien suffisamment étroit pour rebasculer les situations au bon endroit, mais cet enchevêtrement de couches n’aide ni les professionnels ni les usagers », relève Émilie Guéguinou. Les acteurs misent sur une communication nationale claire. « Énormément d'appels passent encore par les coordonnateurs du DIH qui ont leur propre réseau. Il faut travailler le cheminement vers la plateforme », observe Adeline Faber, pilote en Seine-Saint-Denis.
Dernières pistes de progression : créer des outils de suivi numériques mutualisables et une animation des Communautés pour favoriser le partage de pratiques, mais aussi veiller à une meilleure visibilité des financements et des prérogatives des départements. «Nous attendions l’installation des nouveaux conseils départementaux pour les embarquer dans la manœuvre et qu’ils prennent des engagements à nos côtés », souligne le secrétariat d'État. Auparavant il faudra poser le premier jalon de la discussion : l'accord de méthode sur la transformation de l’offre entre l’Assemblée des départements de France (ADF), l’État et les organismes gestionnaires.
Laura Taillandier
« Un risque d’empilement des dispositifs »
Estelle Aragona, doctorante en science politique
« Notre enquête sur les processus d’orientation et d’admission [1] montre un risque d’empilement des dispositifs. Puisque localement, avant même le déploiement des communautés 360, coexistaient plusieurs instruments traitant des cas dont l’accompagnement pose des difficultés : la commission des situations critiques par exemple, issue de l'affaire Amélie Loquet en 2013 ou encore les plans d’accompagnements globaux (PAG) plus récents. À ceux-ci s’ajoutent aussi les instruments “maison” comme des outils de priorisation des MPDH ou les commissions de cas complexes des associations gestionnaires… L'autre question qui se pose est celle de la hiérarchisation de la priorité car, finalement, si chaque instrument vise à prioriser une admission, in fine qui est plus prioritaire que l’autre ? Dernier point de vigilance : il ne faut pas donner un cadre trop formalisé aux Communautés 360 au risque de nuire à la fluidité déjà établie entre les acteurs sur les territoires. »
[1] « Contribution sur l’admission en établissements et services médico-sociaux pour personnes en situation de handicap », note de recherche d'Estelle Aragona, Pierre-Yves Baudot et Magali Robelet, janvier 2021.
Repères
- 10 millions d'euros : c'est la somme attribuée en 2021 aux ARS pour la structuration des communautés 360 et le déploiement des assistants projet et parcours de vie.
- 75 % des projets intègrent des associations dans leur chefferie et la MDPH participe dans 30 % des cas (bilan du comité stratégique 360).
Publié dans le magazine Direction[s] N° 200 - septembre 2021