Et si je vous disais que le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté est de donner de l’argent aux pauvres. Et si je vous disais qu’ils en feraient bon usage dans la majorité des cas [1]. Que penseriez-vous alors de cette proposition farfelue et de celui qui la soutient ?
Sur l’île de Nulle-Part, Thomas More – l'auteur d'Utopia en 1516 – voulut installer la meilleure forme de gouvernement [2]. Une utopie sans doute, émanant pourtant d’un homme raisonnable et convaincu. Ce qui donne raison cinq siècles plus tard à feu Pierre Rabhi qui considérait que les utopies d’aujourd’hui ne sont rien d’autre que les projets de demain [3]. Permettez-moi alors d’être porteur d’un espoir qui, in fine, me fait croire en un meilleur monde pour tous. Rien que ça. L’instauration d’un revenu universel. Vos résistances ne sont dues qu’à « vos » dissonances cognitives. Cela se soigne par la raison.
Réformons l'impôt et les taxes
Et si je vous disais que le financement d’un tel projet ne constitue en rien un obstacle contrairement aux idées largement répandues. Commençons par réformer l’impôt sur le revenu en le fusionnant avec la CSG et créons une tranche supplémentaire d’imposition confiscatoire. Il faudrait aussi procéder à une réforme de la fiscalité du patrimoine par l'instauration d’un impôt unifié. Ce qui permettrait d'imposer le patrimoine immobilier et financier là où notre système fiscal actuel ne concerne que le premier.
En outre, on taxerait les robots [4] qui suppriment des emplois et nous privent des cotisations sociales afférentes au travail humain. Il suffirait pour cela que l’assiette de calcul des cotisations à la Sécurité sociale soit assise sur la valeur ajoutée et non plus sur les revenus d’activité. Cela permettrait d’inclure la production des robots et accessoirement de rééquilibrer le rapport capital-travail, ce qui en termes de justice économique est loin d’être négligeable.
Taxer également les transactions financières dont le volume annuel équivaut à trente fois le PIB mondial s’avère également une piste intéressante. Cela rapporterait à la France pas moins de 36 milliards d'euros par an. On peut encore prévoir une taxe sur les ressources naturelles que certains s’accaparent, pour ne pas dire privatisent, alors qu’elles sont un bien commun de l’humanité. Comme le dit un proverbe indien, « nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants ».
Éradiquons la pauvreté
Économiquement, le financement d’un revenu universel semble à portée de main. Néanmoins, ce projet de société implique l’adhésion de nos concitoyens et une volonté politique assumée. Philosophiquement, il repose sur la redistribution juste des richesses accumulées par toutes les générations successives. Richesses estimées selon Yoland Bresson [5] à 14 % du PIB. Juridiquement, il est la traduction de l’obligation constitutionnelle de créer les conditions du bonheur collectif (Préambule de la Constitution de 1946). Quant à son montant, il ne pourrait être inférieur au seuil de pauvreté [6], puisque l’idée reste d’éradiquer définitivement ce mal endémique.
Par ailleurs, le revenu universel doit être inconditionnel et égalitaire. En le distribuant à tous, sans exception, cela met un terme à toute tentative de stigmatisation des bénéficiaires d’aide sociale. Sans perdre de vue que le mécanisme fiscal imaginé plus haut reprendra intégralement par l’impôt le revenu distribué aux non-nécessiteux. Précisons aussi que ce revenu ne s’additionne pas à la Sécurité sociale, mais remplace toutes les aides sociales qui lui sont inférieures.
Je plaide pour une société plus joyeuse où l’homme vit de ses activités choisies, où le rapport de force dans le monde du travail sera plus équilibré, où chacun aura une place et contribuera au bonheur collectif. Comme le disait Oscar Wilde, « le progrès est la réalisation des utopies ». Qu’il en soit ainsi [7].
[1] Bregman R., Utopies réalistes, Seuil, 2017
[2] More T., L’Utopie ou Le traité de la meilleure forme de gouvernement, GF Flammarion, 1987
[3] Rabhi P., Vers la sobriété heureuse, Acte Sud, 2014
[4] Piste proposée initialement par Jeffrey Sachs, économiste américain, puis par Madie Delveau-Stehres, députée européenne (2014 à 2019), auteure d’un rapport sur la taxation des robots des entreprises.
[5] Économiste français (1942-2014), fondateur de l’Association pour l’instauration d’un revenu d’existence.
[6] 1063 euros mensuel en 2021, soit 60 % du revenu médian.
[7] Hamon B., Ce qu’il faut de courage. Plaidoyer pour le revenu universel, Équateurs, 2020
Michel Boudjemaï
Carte d'identité
Nom. Michel Boudejemaï
Formation. Docteur en droit public.
Fonctions. Cadre pédagogique et responsable des enseignements juridiques au sein de l’Institut régional du travail social de Champagne-Ardenne (IRTSCA) ; enseigne le droit à l’université de Reims Champagne-Ardenne ; membre associé du centre de recherche Droit et territoire (CRDT) de Reims et du laboratoire de recherche en droit de Brest (Lab-LEX).
Dernière Publication. La territorialisation de l'aide sociale légale. Une source d'inégalité selon le département de résidence, L’Harmattan, 2022.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 214 - décembre 2022