L’ACI de l’association Rejoué à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne)
Douze mois de répit. En annonçant en septembre dernier la prolongation pour un an du soutien au programme Convergence, l’État a temporairement stabilisé le dispositif, soutenu jusqu’ici par la Stratégie Pauvreté 2018-2022 (8,3 millions d’euros). Car il faut dire qu'il coche toutes les cases du projet d’émancipation sociale par le travail voulu par l’exécutif, bien décidé à tendre vers le plein emploi. Y compris pour ceux qui en sont le plus éloignés. Le pari des promoteurs de Convergence ? Ouvrir les portes des ateliers et chantiers d’insertion (ACI) aux grands exclus en situation de mal-logement. Un accompagnement quasi individualisé pour lequel il a fallu outiller les structures, faisant au passage évoluer leurs pratiques. Douze ans après sa création à Paris, le modèle a essaimé sous la houlette de Convergence France, s’adaptant à chaque fois aux réalités comme aux acteurs locaux.
Des freins cumulés
Paris, chantier Prélude de l'association Aurore. Dans cet ACI « 100 % Convergence » dédié aux activités de peinture et de logistique, la majorité des 28 salariés en parcours, souvent bénéficiaires de la protection internationale, sont hébergés chez des tiers ou en structures collectives. Voire régulièrement sans domicile pour certains. « Formation, apprentissage de la langue, santé… Tous cumulent des freins évidents, en matière d’hébergement notamment, analyse Armance Cartier, coordinatrice en insertion et conseillère en insertion professionnelle (CIP). Or, tant qu’ils ne sont pas stabilisés sur ce plan, avoir un emploi, a fortiori à temps plein, est compliqué. » Des individus souvent fatigués physiquement et psychiquement par leurs conditions de vie que les ACI peinent à accueillir, reconnaît Coline Derrey-Favre, chargée de mission Emploi-Insertion par l'activité économique (IAE) à la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). « L’insertion est évidemment le cœur de métier des ACI. Mais accompagner correctement ces publics aux problématiques complexes requiert des moyens conséquents, dont ils manquent vu le désengagement progressif des collectivités en particulier. »
Task force mutualisée
Et c’est bien ce que propose le programme : outiller les structures volontaires d’un même territoire pour leur permettre de relever le défi de ces parcours susceptibles de durer jusqu’à cinq ans. D’abord, en leur octroyant une enveloppe complémentaire, permettant ici et là le recrutement d’un CIP supplémentaire (1000 euros par an et par salarié). Mais aussi, en mettant à la disposition de chaque territoire une équipe mutualisée de chargés de partenariat pour soutenir les équipes d’accompagnement. Des experts thématiques en santé, logement et emploi qui, chacun dans son couloir, créent et entretiennent un réseau, mobilisable au profit de leurs collègues des chantiers. « Mon métier n’est pas de faire de l’accompagnement, mais du partenariat avec les entreprises, illustre Fanny Caignec, chargée de partenariat Emploi à Convergence Grand Paris. Là où jusque-là chaque CIP pouvait les solliciter ponctuellement, je suis devenue leur unique interlocutrice et peux répondre à leurs demandes en tenant à leur disposition les profils des 365 salariés du programme francilien. En outre, pour assurer la mise à l’emploi, nous restons en soutien jusqu’à un an après la sortie de parcours. » Un dossier de logement à monter en urgence ? Une problématique d’addiction à travailler ? Un profil de salarié à « placer » en entreprise ? La force du dispositif repose sur l’attelage CPI-chargé de partenariat qui permet de « tendre vers un accompagnement plus qualitatif et personnalisé, au "social" renforcé », résume la récente évaluation du dispositif [1]. « Ces nouvelles modalités permettent aux CIP de se saisir de ces thématiques de manière renforcée et donc de monter en compétences, souligne Violette Carton, cheffe de projet à Convergence France. Tout cela insuffle une nouvelle culture dans les ACI. » Et fait aussi évoluer les pratiques. « Recruter un public aussi éloigné de l’emploi demande plus d’adaptation et d’individualisation, en particulier pour les managers qui doivent composer avec les retards fréquents ou les absences, explique June Choquin, directrice de l’association Val’Trions, gestionnaire de deux chantiers impliqués à Lyon. Le travail est ici avant tout un support : c’est l’accompagnement réalisé autour qui permet de travailler sur les freins, avant d’envisager la possibilité d’un emploi durable. »
La clé du succès pour ces équipes mutualisées ? Leur fine connaissance du fonctionnement des structures. « Au début, la priorité a été de créer des liens pour mieux comprendre leurs besoins, voire parfois pour rassurer, tant le programme fait bouger les lignes des organisations qui doivent s’adapter, revoir des postes ou encore leurs modes d’accompagnement, raconte Sirin Ozveren, coordinatrice Convergence à Strasbourg. Cette totale immersion et la proximité qui en découle font aujourd’hui notre force : nous sommes désormais en mesure de les soutenir via des accompagnements individuels, des appuis techniques ou encore des temps collectifs au bénéfice des salariés en parcours, comme des permanents. » De quoi favoriser la coopération entre structures de l'IAE (SIAE) et l’émergence d’une culture commune.
Écosystème en mouvement
Coopération, le maître mot du dispositif. Temps réguliers de rencontre entre CIP, entre directeurs comme entre acteurs institutionnels : direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (Ddets), Pôle emploi, agence régionale de santé (ARS), collectivités… Mais aussi entre partenaires opérationnels. Car au-delà du mouvement impulsé au sein de l’IAE, c’est l’ensemble de l’écosystème de la lutte contre l’exclusion qui a vu bouger ses fondamentaux. Exemple au service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) de la métropole lilloise, géré par la Coordination mobile CMAO. Depuis peu, toutes les offres d’emploi des ACI transitent par ici et leurs équipes sont invités à venir se présenter lors des commissions mensuelles. « L’enjeu est double, résume Jennifer Grember, cheffe de service. Favoriser l’accès des publics hébergés à l’IAE, mais aussi accompagner les chantiers dans les besoins de leurs salariés en situation de mal-logement. Ce partenariat fait aussi évoluer nos propres pratiques : jusque-là, la question de l’insertion professionnelle n’était pas abordée lors de nos commissions. Convergence nous permet de penser au-delà du seul hébergement quand il y a un besoin global. » Ou quand les spécialistes du Logement d’abord unissent leurs forces à celles des experts de « l’emploi d’abord »… ? « Renforcer davantage leurs liens reste un enjeu pour parvenir à proposer plus de parcours aux publics du champ Accueil, Hébergement, Insertion (AHI), promeut Coline Derrey-Favre. La récente ouverture de la prescription aux acteurs AHI constitue à ce titre une opportunité. »
Vers le droit commun ?
Quelle suite sera donnée au dispositif ? Six millions d’euros ont été inscrits au budget 2023 pour conforter l’existant et pour un déploiement dans quatre nouveaux territoires (2600 salariés) d’ici à la fin d’année. Dont acte, saluent ses promoteurs qui aujourd’hui plaident surtout pour une entrée dans le droit commun. « D’accord, mais l’action ne devra pas être banalisée, prévient Amelle Belmihoub, responsable du service Emploi Insertion à Nantes Métropole, qui s’apprête à reconduire en 2023 son soutien au programme. Il ne faudrait pas que cela revienne à terme à prototyper de nouveau les parcours des personnes en situation d’exclusion. Dans tous les cas, un financement distinct devra être préservé pour les structures qui choisiraient de proposer de tels accompagnements. » Du côté du ministère, on temporise : « Des analyses sont en cours et 2023 doit permettre d’y travailler dans un souci d’établir un modèle de financement. Néanmoins, il est certain que Convergence, comme le dispositif Premières heures (lire l'encadré), sont structurants et doivent contribuer à faciliter une intervention élargie et massive en faveur de la remobilisation par le travail des grands exclus. » Et ainsi inspirer les évolutions attendues dans le cadre des travaux lancés dans le cadre de France Travail ou du Pacte des solidarités ?
[1] « Évaluation du programme Convergence », rapport final sur www.convergence-france.org
Gladys Lepasteur
Premières heures, le sas d’entrée
Deux programmes pour une même proposition intégrée. En 2020, le déploiement national de Premières heures en chantier (PHC), onze ans après la création de son ancêtre à Paris par l’association Emmaüs Défi [1], a été validé pour deux ans à titre expérimental. Il vise la remobilisation par le travail de publics en grande exclusion ne pouvant accéder d’emblée à un chantier d’insertion classique. 84 % des entrants ont connu ou connaissent encore un parcours de rue. Aucune sélection ni prérequis à l’entrée du programme, l’objectif n’étant pas une logique de production ni de professionnalisation. PHC est pensé autour d'une activité support dont l'intensité augmente progressivement (de 4 heures à 20 heures par semaine) et d’une durée de parcours modulable en fonction des besoins (12 mois au plus). Outre le référent extérieur en charge de l’accompagnement social (en général l’orienteur issu de l’AHI), un éducateur socio-professionnel, recruté à ces fins par le chantier d’insertion, assure le suivi sur l’activité. Aujourd’hui, plus de la moitié des sorties se font vers l’emploi, dont une majorité en CDDI au sein du même ACI.
[1] Lire direction[s] n° 212, p. 12
Repères
- 8 territoires et une cinquantaine de chantiers d’insertion engagés.
- + de 3000 parcours ont été accompagnés depuis 2011.
- 6millions d’euros sont prévus pour la poursuite et le déploiement du programme en 2023.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 215 - janvier 2023