Les équipes mobiles d’appui médico-social à la scolarisation (Emas), encadrées par circulaires [1], s’inscrivent dans l’action et les axes affichés du Comité interministériel du handicap (CIH) pour une société plus inclusive, dont l’école de la République pour tous. L’objectif affiché est d’augmenter le nombre d’enfants en situation de handicap scolarisés à l’école et de favoriser le décloisonnement entre les communautés éducatives et les acteurs du médico-social. Dans le contexte de transformation majeure des établissements et services médico-sociaux (ESMS) pour enfants – dispositif d’accompagnement médico-éducatif (Dame) rassemblant les services d'éducation spécialisée et de soins à domicile (Sessad) et les instituts médico-éducatifs (IME) – dont le développement de leurs fonctions de « ressources », les Emas ne sont-elles pas un nouveau dispositif qui vient se superposer au millefeuille déjà complexe d’actions et d’acteurs au service de l’inclusion ?
Développer l’école inclusive
Les Sessad assurent déjà cette fonction ressource dans les établissements scolaires, et des équipes mobiles en santé mentale interviennent dans les écoles lorsqu’un enfant se trouve en situation de « crise ». L’Éducation nationale, de son côté, met à disposition des enseignants de nombreuses outils pour accompagner un enfant à besoins éducatifs particuliers ou en situation de handicap, tels que le site Educscol, le recours aux conseillers pédagogiques rattachés à l’inspection de l'Éducation nationale chargée de l'adaptation scolaire et de la scolarisation (IEN-ASH), les enseignants ressources autisme, les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased). Et cette liste n’est pas exhaustive !
Alors ces équipes mobiles sont-elles qu'une proposition de plus ou un véritable levier d’un changement profond de notre société ? Et à quelles conditions ?
Les Emas entrent pleinement dans la définition du travail social issue du décret du 6 mai 2017 : « Le travail social vise à permettre l'accès des personnes à l'ensemble des droits fondamentaux, à faciliter leur inclusion sociale. » Elles ont pour objectif de sécuriser la scolarisation et le parcours des enfants en situation de handicap et par extension de ceux avec des besoins éducatifs particuliers non encore reconnus par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Ce en assurant un soutien aux enseignants, en favorisant une meilleure compréhension des besoins des élèves, et en augmentant progressivement le nombre d’élèves bénéficiant d’un projet personnalisé de scolarisation (PPS).
La secrétaire d’État Sophie Cluzel a clairement défini en 2018 les objectifs de l’école inclusive, notamment le taux de scolarisation en « école ordinaire » devant atteindre 80 % d’ici la rentrée 2022, par rapport à l’ensemble des enfants accompagnés en ESMS. L’enjeu majeur des Emas est donc, au travers d’actions indirectes, de participer à cette accélération.
Une expertise en appui de l’Éducation nationale
Ces objectifs ne peuvent être atteints que par l’appui du champ médico-social à l’Éducation nationale. Comme le décrit Denis Piveteau dans son rapport du 15 février 2022 « Experts, acteurs, ensemble pour une société qui change », les professionnels du secteur « sont au service de ce qui n’est pas autre chose que la mise en accessibilité de la société et de ses services de droit commun, au lieu d’être cantonnés dans la seule réponse aux besoins de compensation du handicap émanant de la personne elle-même ». Les Emas représentent ce changement de paradigme. Leur cahier des charges décrit bien des prestations indirectes auprès des communautés éducatives et, seulement exceptionnellement, elles peuvent intervenir directement auprès d’un enfant.
Les professionnels composant le plateau technique des Emas, ont développé une expertise de l’accompagnement de ces enfants. Les critères de recrutement sont souvent liés à une expérience de partenariat avec l’Éducation nationale. Par exemple, l’Emas, portée par l’Association départementale des pupilles de l'enseignement public du Loiret (ADPEP 45), compte aujourd’hui sept professionnels dont deux éducatrices spécialisées issues pour l’une d’un Sessad (20 ans d’ancienneté) et pour l’autre d’une unité d’enseignement maternelle autiste (UEMA).
L’enjeu pour les professionnels des Emas n’est pas de se positionner auprès des enseignants en « sachants », « donneurs de leçons » et porteurs de solutions toutes faites, mais bien de partager leur expertise, leur capacité d’analyse face à une situation décrite par un enseignant, leur capacité à émettre des hypothèses par la prise en compte globale de tous les éléments de la situation. Ils ont une lecture systémique des cas qu’ils communiquent à leurs interlocuteurs de l’Éducation nationale. Ainsi, ceux de l’Emas 45 s’inspirent de l’ingénierie de formation et des méthodes de codéveloppement pour aller vers les communautés éducatives et faire émerger les solutions d’elles-mêmes. Cette méthodologie d’action auprès des enseignants s’est développée progressivement, après avoir essuyé des échecs et s’être rendu compte que la difficulté résidait dans les représentations de chacun des acteurs, mais aussi dans la culture professionnelle et le manque d’informations et de formations.
Des cultures encore à rapprocher
La rencontre de ces deux cultures n’est pas aisée. Les objectifs et mode d’action ne sont pas les mêmes. Pour l’une, on parle d’enfant, pour l’autre, d’élève. Le vocabulaire ne résonne pas de la même façon selon que l’on est enseignant ou éducateur spécialisé (ES). L’un agit dans et pour le collectif – la classe ; l’autre en faveur d’objectifs inscrits dans un projet personnalisé d’accompagnement. Les Emas ont donc été pensées pour dépasser ces différences afin qu'elles se transforment en complémentarités au service d’une société inclusive.
Le facteur de réussite du décloisonnement Éducation nationale-champ médico-social pourrait tenir de principes d’action similaires de toutes les Emas. Les missions ont été clairement définies dans la circulaire, puis dans le cahier des charges publié en juin 2020. Cependant, la liberté a été laissée aux opérateurs tant dans la composition des équipes que dans les principes d’action. Les équipes expérimentales, puis celles qui se sont développées suite aux appels à projets, sont toutes singulières et ne procèdent pas de la même façon auprès des communautés éducatives. Dans la région Centre Val-de-Loire, certains opérateurs ont fait le choix de binômes (éducateur spécialisé/psychologue), d’autres ont misé sur la richesse d’une équipe pluriprofessionnelle (ES, neuropsychologue, psychologue, ergothérapeute, orthophoniste). D’autres encore ont choisi un seul coordinateur et des ressources sont sollicitées auprès d’établissements médico-sociaux partenaires.
Les principes d’action peuvent également différer. Certaines Emas appliquent un protocole précis quelle que soit la demande, alors que d’autres choisissent d’analyser la demande à travers la fiche de saisine, mais aussi à la suite d’entretiens avec les demandeurs. Ces différences peuvent s’expliquer par l’histoire et les pratiques de la structure à laquelle est rattachée l’Emas (Sessad, IME, groupement de coopération sociale et médico-sociale –GCSMS…), et par les caractéristiques du territoire. Cependant, ces principes différents ne représentent-ils pas un facteur de risque d’une trop grande hétérogénéité des services rendus ? L’agence régionale de santé (ARS) Centre Val-de-Loire a d’ailleurs initié un comité de pilotage (Copil) rassemblant tous les responsables des Emas de la région afin de créer un espace d’échanges et de baliser leurs modes d’action en mettant en commun les outils créés par les équipes.
Après trois années de fonctionnement, l’Emas des PEP 45 n’a pas encore élaboré d’outils d’évaluation de son action auprès des communautés éducatives, c’est un des objectifs d’amélioration cette année. Cependant des retours positifs sont régulièrement recueillis par le chargé de mission pour l'accompagnement des élèves à besoins spécifiques de la Direction des services départementaux de l'Éducation nationale (DSDEN) 45 ASH 1. Les enseignants témoignent en général qu’ils sont écoutés et se sentent moins seuls : « Vous avez su répondre à nos questions et nous aider pour la scolarisation de notre élève à besoin : réactivité, écoute, qualité d'échanges et aide proposée » selon une directrice d’une école de l’est du département. Et pour une autre d’une école située à Orléans : « Nous avons beaucoup apprécié la croisée des regards, le dialogue, l'écoute. À partir de l'écoute, des propositions concrètes et intéressantes, un regard bienveillant, chaque personne respectée dans ce qu'elle est et ce qu'elle dit : la mise en confiance de chaque personne, un regard de professionnel qui nous aide, des propositions de se revoir en nous laissant toute liberté, d'une réunion à l'autre la reprise de ce qui a été dit, une réunion structurée et qui sait où elle va. »
Pierre Gabert, inspecteur ASH de la DSDEN 45 renchérit : « L’Emas s'inscrit pleinement dans la logique de partenariat entre les acteurs de l’Éducation nationale et les personnels médico-sociaux. Avec pertinence et efficacité, cette équipe apporte aux enseignants son expertise. Dans le cadre de la transformation de l'offre médico-sociale, l'Emas participe activement au nouveau paradigme de l'école inclusive. »
Quant à la délégation départementale de l’ARS, elle confirme également : « Depuis 2019, l’Emas a su trouver sa place au sein du territoire du Loiret. C'est un véritable vecteur de l’inclusion scolaire et elle a permis de créer un lien entre le secteur médico-social et l’École. Complémentaire des dispositifs existants et ressource auprès des établissements scolaires, l’Emas facilite de par ses missions la coopération médico-social/Éducation nationale. »
Une courroie de transmission
Ce nouveau dispositif n’est pas encore connu de tous les acteurs du médico-social, de l’Éducation nationale, mais aussi du sanitaire (pédopsychiatrie) ou du droit commun. Cependant, elles sont mentionnées dans les récents cahiers des charges des communautés 360 et des plateformes de coordination et d’orientation (PCO) 7-12.
Les Emas sont donc reconnues comme un dispositif opérant, situées à la croisée des espaces ressources des Dame, de l’action des Sessad et de tous les opérateurs offrant des prestations en faveur des enfants en situation de handicap, qu’ils se situent dans le champ de la prévention ou dans l’accompagnement ponctuel et à plus long terme. Elles sont une courroie de transmission entre le médico-social et l’Éducation nationale, véritable levier du décloisonnement, vectrices de l’évolution des pratiques professionnelles.
Elles se situent donc bien dans leur rôle majeur de sécurisation et de développement de l’école inclusive et d’une société dans laquelle chacun est reconnu et a une place quel que soit ses besoins tel que le défini l’anthropologue Charles Gardou [2] : « L’humanité est une infinité de configurations de vie et une mosaïque d’étrangetés avec chacun les mêmes droits et devoirs. »
[1] Circulaires n° DGCS/SD3B/2019/138 du 14 juin 2019 et n° DGCS/SD3B/2021/109 du 26 mai 2021
[2] Charles Gardou, « La société inclusive. Parlons-en ! », Érès, 2018
Sophie Label
Carte d’identité
Nom. Sophie Label
Formation : Diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute, Caferuis, master 2 Management de la transformation des secteurs de la santé, du social et du médico-social à l’Université Paris Dauphine-École des Mines.
Parcours : Kinésithérapeute pendant 18 ans dans le secteur médico-social, cheffe de service responsable de site de la maison d'enfants à caractère social de la Fondation Val de Loire (FVL), directrice adjointe en fonction de direction à l’IME FVL, du Sassad de l’ADPEP 45.
Fonctions actuelles. Directrice adjointe en codirection du Sessad DTP, responsable de l’UEMA de Boigny et de l’Emas de l’ADPEP 45.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 208 - mai 2022