Selon vous, qu'impliquerait une recentralisation ?
Robert Lafore. Cela nécessiterait d’agir sur trois grandes activités actuellement dévolues aux départements : le recueil des informations préoccupantes, l’évaluation des situations familiales, la prise en charge administrative et pénale dans les établissements et services. L'État récupérerait ainsi ce qu'il a cédé en 1983 lors de la décentralisation. Il lui faudrait mettre en place des services déconcentrés visant une protection stricte du mineur, en minimisant les considérations relatives au milieu social et au territoire. Un tel choix stratégique se rapprocherait de celui de la Grande-Bretagne, où le système neutralise la famille et comporte des mesures autoritaires de retrait de l’enfant de son environnement.
Avec quelles conséquences organisationnelles ?
R. L. Il faudrait transférer les services des départements vers l'État, mais vers quelle structure juridique ? Les services déconcentrés chargés de la cohésion sociale, désormais regroupés au sein des Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités, qui sont sinistrés ? La création d’agences, sur le modèle des agences régionales de santé, serait aussi possible. Leur intérêt serait d’ouvrir des perspectives de coopération et de garder une dynamique territorialisée, faisant l'interface entre une politique nationale descendante et un ancrage territorial renforcé. Et pourquoi ne pas leur ajouter d'autres compétences, comme l'insertion sociale et professionnelle des populations en difficulté ? Le département n'ayant aucune ressource, compétence, ou aptitude à agir sur le tissu économique, seulement celle de délivrer des prestations dans une logique de guichets.
Une telle refonte vous semble-t-elle envisageable ?
R. L. La tension actuelle s’inscrit dans une décentralisation qui n’a pas été réussie et n’a cessé d’ajouter des problèmes plutôt que de les régler. On a divisé toutes les compétences et on redécouvre constamment qu’elles sont interdépendantes. Les intercommunalités, tout comme les régions, sont ainsi montées en puissance sans toucher au système communal (sauf à la marge avec les métropoles), ni départemental. Tout cela parce que le système est contrôlé par la logique notabiliaire dont la clé de voûte, le Sénat, bloque toute évolution nécessaire pour simplifier le modèle. Résultat : il y a trop de niveaux, en compétition les uns avec les autres.
L’efficacité de cette politique publique en serait-elle améliorée ?
R. L. La tradition française a toujours recherché un équilibre entre l'enfant, la cellule familiale et les activités préventives afin d'éviter l’apparition ou l’aggravation de situations dégradées. Les départements gèrent cette tension, certes de façon différenciée, mais un transfert vers l'État risque d’atténuer, voire de supprimer, cette visée préventive de la protection des enfants. Il existe aujourd’hui un lot de dysfonctionnements parce que chaque acteur (juges, départements, etc.) a ses logiques, auxquelles s’ajoute la question financière. Mais je ne vois pas en quoi homogénéiser une gestion qui partirait du niveau central réglerait les difficultés. Et la résolution du problème financier n'est que théorique. L'État mettra-t-il beaucoup plus d'argent ? Cela reste à prouver.
Propos recueillis par Laetitia Delhon
Publié dans le magazine Direction[s] N° 225 - décembre 2023