Les difficultés de recrutement du domicile s'aggravent selon votre observatoire annuel [1], malgré l'agrément de l'avenant 43. Comment l'expliquez-vous ?
Marie-Reine Tillon. Cet avenant, visant à revaloriser notre convention collective, a été négocié avant la crise. Depuis, le Ségur a fait rebasculer notre secteur derrière tous les autres. En 2022, 52 % des recrutements n’ont pas abouti, contre 19 % en 2018. La situation s'aggrave là où il manque déjà du personnel. Ce qui se traduit par des ruptures de prise en charge et des répercussions sur les équipes présentes. Sur la filière intervention, onze postes sont à pouvoir en moyenne par établissement, et 70 % des directeurs rapportent des départs vers d’autres structures ou pour une évolution professionnelle. On observe aussi une montée des burn-out chez les cadres. Nous n’avons plus aucune réunion nationale sans que ce sujet ne soit évoqué. Il est difficile de le mesurer exactement, mais nous ne sommes sûrement pas loin des 40 % chiffrés par la fédération nationale des associations de directeurs Fnadepa.
Quelle est l'urgence ?
M-R.T. Nous demandons un plan de sauvetage de 100 millions d’euros pour l’ensemble de la branche. Il s’agit de remettre les trésoreries à flot. L'attractivité n'a de sens que si les structures sont vivantes. Or, 25 % de nos adhérents sont en très grande difficulté avec un risque de disparition. Les services ne peuvent pas tenir les objectifs de leur plan de redressement ou de restructuration. La baisse d’activité n’aide pas et les problèmes de tarification encore moins ! Il s’agit donc aussi de revoir le système de tarification totalement obsolète. Le tarif plancher est en-dessous du coût de revient. On nous taxe de mauvais gestionnaires mais nous travaillons à perte !
La nouvelle conférence des financeurs a-t-elle permis des avancées côté départements ?
M-R.T. C’est très décevant. On voit même un recul dans certains avec des détarifications de services. Beaucoup ont encore une forte méconnaissance de notre travail. Nous développons donc des « Vie ma vie » pour montrer aux élus à quoi servent nos services, quel public l’on accompagne…
Votre baromètre montre justement que les structures innovent pour remédier au manque d'attractivité. Quelles solutions fonctionnent ?
M-R.T. Innovations managériales avec des équipes du matin et du soir, par exemple, communication sur les réseaux, recours à des alternants… Si les solutions sont très variables, la notion d'équipe reste essentiel avec un travail de fond sur le sentiment d'appartenance. Un autre s'engage aussi sur l'accompagnement des nouveaux arrivants. Le domicile est un monde à part. Face à l'isolement, un tuteur ou une marraine permet de conseiller sans juger.
Mais, tous ces changements doivent être accompagnés par les pouvoirs publics avec notamment une meilleure prise en compte des temps d'échanges, primordiaux. Aujourd’hui, seuls 15 % du budget de la CNSA va au domicile. Ce n’est pas normal au regard de l’ensemble de la prise en charge des usagers. L’idée n’est pas de retirer des financements aux établissements mais bien d’abonder notre volet. Surtout si l’on veut construire de véritables services Autonomie. Cette transformation n’aura de sens que s’ils assurent de nouvelles missions comme la prévention, aujourd’hui payée à coup de lance-pierre ou financée par des appels à projets non pérennes. Les astreintes le week-end aussi se paye ! Les structures ne pourront se transformer à budget constant.
[1] Enquête menée par OpinionWay auprès d'un échantillon de 131 adhérents de l'UNA, du 25 octobre 2022 au 10 janvier 2023.
Propos recueillis par Laura Taillandier
Publié dans le magazine Direction[s] N° 218 - avril 2023