Le terme inclusion est aujourd’hui utilisé partout et par tous. En témoignent les dernières communications ministérielles sur l’« école inclusive » ou encore « l’inclusion scolaire » de Geneviève Darrieussecq (ministre déléguée auprès du ministre des Solidarités, en charge des personnes handicapées) et de son homologue à l’Éducation nationale, Pap Ndiaye. Tout comme d’ailleurs les programmes de colloques et communications des acteurs mêmes du secteur.
Insertion, intégration puis inclusion
Mais cela n’a pas toujours été le cas. En 2001, Lionel Jospin présentait un plan triennal d’amélioration de l’intégration des handicapés devant le Conseil national consultatif des Personnes handicapées (CNCPH). En juillet 2002, le Président de la République Jacques Chirac annonçait vouloir faire de l’insertion des personnes handicapées l’un des trois grands chantiers de son quinquennat. Ce n’est qu’à partir de la loi du 8 juillet 2013, que le principe de l’inclusion scolaire de tous les enfants sans aucune distinction est inscrit au code de l’éducation. Et il faut attendre la loi sur l'école de la confiance du 26 juillet 2019 portée par le ministre Jean-Michel Blanquer pour que soit introduite officiellement le mot inclusion en substitution d’intégration dans le champ de la scolarité.
Si cette terminologie se retrouve désormais dans toutes les politiques publiques relatives aux handicaps, elle s’est progressivement implantée dans le discours concernant le secteur de la lutte contre les exclusions. En témoigne, par exemple, le changement de dénomination en 2013, au sein de feu l’Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux, de sa section « exclusion » en section « inclusion sociale » ; sémantique désormais utilisée dans toutes les recommandations de bonnes pratiques applicables aux établissements et services du secteur.
Une avancée lente mais indéniable
Ce changement de vocabulaire dans les politiques publiques est tardif au regard de la plupart des rapports de l’Organisation des Nations unies, qui l’employaient dès les années 1990, ou de ceux de l’Union européenne depuis les années 2000 [1]. Mais il constitue pour autant indéniablement une avancée. En effet, cette préférence pour le concept d’inclusion sociale, utilisée par le sociologue allemand Niklas (1927-1998) pour caractériser les rapports entre les individus et les systèmes sociaux, traduit la volonté d’adapter la société à la personne quand l’intégration implique pour une personne éloignée de la norme, des efforts pour prétendre y rentrer [2].
La logique inclusive sous-tend la nécessité que ce soient les institutions qui s’adaptent aux besoins spécifiques des personnes éloignées de la norme. L’accessibilité des bâtiments et des transports en est l’exemple le plus connu. Cette évolution du vocabulaire implique un véritable changement de paradigme. Elle induit de ne plus demander aux individus de se conformer à une norme, mais à la société de s’adapter aux différences considérées comme une richesse. Et donc de développer la capacité collective à accepter les singularités. Et c’est bien là que le bât blesse…
De la théorie à la pratique ?
Ce changement de sémantique s’est-il réellement traduit par une évolution de la société et des institutions ? Il serait plaisant de répondre oui, et nombreux sont ceux qui appellent à sa mise en œuvre, comme Roland Janvier dans un texte intitulé « Zéro déchet » [3]. Malheureusement, nous en sommes encore loin.
Déléguée générale des Petits Frères des Pauvres, j’alertais déjà sur les dangers d’une société qui promeut la performance, renonce à dire « vieux » au profit de « senior » et qui, incapable d’adapter les logements, les transports et les services publics à la perte d’autonomie, contraint les aînés les plus pauvres à des choix d’habitat par défaut. Dans le secteur de l’insertion professionnelle, les dispositifs pour permettre aux personnes les plus éloignées de l’emploi de s’en rapprocher prolifèrent. Des espaces dynamiques d’insertion (EDI) destinés aux jeunes décrocheurs en Île-de-France (aujourd’hui menacés faute de financement de la région), dispositifs Convergence et déploiement national de Premières heures en chantier (PHC), en passant par les ateliers, chantiers et entreprises d’insertion… Leur nombre interroge la capacité des entreprises à intégrer les personnes en recherche d’emploi.
Dans le secteur du handicap, la rentrée 2022 a été extrêmement violente pour les enseignants comme pour certains enfants handicapés « inclus » sans aucun accompagnement dans des classes ordinaires. L’insuffisance de places dans les dispositifs spécialisés comme les classes externalisées ou les unités d’enseignement a en effet conduit des parents à faire respecter le droit de leurs enfants à la scolarité quitte à ce que ceux-ci se retrouvent dans des classes avec des professionnels démunis.
Combattre le culte de la performance
Si le constat est sombre, les solutions existent mais leur mise en œuvre passe par un changement sociétal bien plus complexe que l’empilement sans fin de dispositifs. Les médias ont à cet égard un rôle fondamental à jouer. Rendre visible ceux qui sortent de la norme de par leur âge, leur situation sociale ou leur santé est indispensable, sans quoi le culte de la beauté, de la jeunesse et de la performance continuera d’exclure.
L’Éducation nationale a elle aussi un rôle important pour que l’inclusion des enfants en situation de handicap soit une réalité. Les campagnes sur la prévention du harcèlement montrent bien les dangers que représentent la vie en collectivité pour tous ceux qui s’écartent même un tant soit peu de la norme. Quand la couleur du cartable ou la marque des vêtements peuvent être sujet à moqueries, comment ne pas penser que les cours de récréation doivent être particulièrement éprouvantes pour les jeunes en situation de handicap « inclus » sans préparation de leurs camarades et des adultes à l’acceptation de leurs différences ?
En matière d’insertion professionnelle, les expérimentations Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) vérifient l’hypothèse de l’association ATD Quart Monde : personne n’est inemployable. Nombreuses sont les personnes qui, après une courte période dans une entreprise à but d’emploi (EBE), trouvent un travail dans une entreprise du secteur marchand : mais est-ce à ce secteur de révéler les talents de ceux qui ont été écartés du marché du travail ? N’est-ce pas du ressort des employeurs, surtout dans une période où ils peinent à trouver de la main d’œuvre, de former ceux qui n’ont pas immédiatement les compétences attendues ?
Les tiers-lieux pour contribuer au changement de regard
Les évolutions positives sont lentes à émerger mais elles peuvent être parfois très inspirantes comme ces nouveaux tiers lieux solidaires. Ils proposent une inclusion inversée. Ces lieux comme Coco Velten à Marseille, les Amarres à Paris ou le projet porté par APF France handicap, à Amiens, permettent à des personnes qui n’auraient pas forcément été à la rencontre d’une personne dite vulnérable, de partager un moment dans un lieu convivial et donc de changer le regard sur elle. Ces espaces sont des moyens concrets de rendre la société plus inclusive à l’échelle d’un quartier. Et c’est déjà énorme.
Nous, acteurs du secteur social et médico-social, pouvons donc directement participer à rendre la société plus inclusive en ouvrant les dispositifs et en pensant la multiplicité de leurs usages chaque fois qu’un nouveau service est créé.
[1] Inclusion sociale et gouvernance européenne : quels sont les effets de la Méthode ouverte de coordination ? Marie-Pierre Hamel, Informations sociales 2013/1 (n° 175). Sur
[2] Former à accueillir les élèves en situation de handicap, Recherche et formation, Éric Plaisance, 2009.
[3] Virage inclusif : vers une société sans rejet ?, texte du 24 novembre 2022 sur son blog
Armelle de Guibert
Carte d’identité
Nom. Armelle de Guibert
Formation. Double DESS en Économie et gestion des services de santé (Paris-Dauphine) et Communication sociale et gestion des ressources humaines (Celsa)
Parcours. Fonctions RH au sein du secteur numérique, directrice adjointe d’un CHRS, directrice d’un pôle hébergement « jeunes », déléguée générale des Petites Frères des pauvres, directrice générale adjointe de l’association Aurore, coprésidente du groupement des directeurs GNDA.
Fonctions actuelles. Responsable du master Gouverner les solidarités territoriales (GSOT) porté par Sciences Po Rennes (Grande École des solidarités), chercheure associée à la chaire Territoire et mutations de l’action publique et directrice de structures dans le champ du handicap.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 217 - mars 2023