Mathieu Burger travaille en fonction des publics sur la communication ou la stimulation cognitive.
Les animateurs de théâtre social constituent une catégorie professionnelle assez inclassable. Ces professionnels revêtent des profils et des statuts très divers : certains sont salariés ; d’autres intermittents du spectacle ; d’autres encore, indépendants. Tous ont pour point commun d’animer des ateliers théâtraux à destination de publics fragilisés (personnes en situation de handicap mental et psychique, détenus de longue peine, migrants, jeunes en errance, bénéficiaires du RSA...). Des animations commandées par des associations, des municipalités ou des organismes culturels et sociaux, le plus souvent gratuites pour les bénéficiaires.
Les ateliers comptent un nombre variable de séances, généralement par groupes d’une quinzaine de personnes au maximum. Parfois, ces séances donnent lieu à un spectacle. « Ce qui compte, c’est de remobiliser les personnes, de leur redonner confiance en elles et de les valoriser », pointe Mathieu Burger, auteur et animateur en théâtre social dans le Grand Est.
Les contenus des sessions sont adaptés en fonction des problématiques de chaque public. « Avec les demandeurs d’emploi et les jeunes en décrochage scolaire, on travaille sur la communication envers autrui, la résistance au stress ou la concentration, témoigne Mathieu Burger. J’apprends aux détenus en fin de peine à réapprendre à regarder les gens en face et à se préparer à affronter des situations de la vie courante. Et aux résidents d’Ehpad, souvent en situation de polyhandicap, à stimuler atouts cognitifs et valorisation de soi. »
Mobiliser les énergies
Pour y arriver, à chacun sa méthode. « Je mets les personnes en mouvement de manière ludique pour mobiliser leur énergie. Je m’appuie aussi beaucoup sur l’improvisation, sur la base de leurs écrits, questions ou souvenirs », évoque Gérard Gallego, metteur en scène et formateur en théâtre social à l’association Théâtre Instant Présent à Vincennes (Val-de-Marne). « Je mobilise les jeux de regards, le toucher, les émotions, pour créer du lien et favoriser la rencontre mutuelle, rappelle Amanda Iriarte, à Jurançon (Pyrénées-Atlantiques). J’organise souvent les restitutions sous forme de chœur antique, qui consiste à donner vie de manière collective à un texte par la voix et par le corps. Ce qui permet de faire participer les personnes avec difficultés d’expression orale ou de mémoire. »
L’exigence de nombreuses qualités humaines
Des défis qui nécessitent, outre des bases techniques en jeu théâtral et en mise en scène, des qualités humaines aiguisées. « Empathie, écoute et bienveillance sont de mise, mais aussi sens de la communication pour arriver à apprivoiser et mobiliser un public très éloigné de l’univers théâtral. Ainsi que pour traiter avec les différents partenaires : organismes, travailleurs sociaux et autres artistes, en amont, pendant et en aval des séances », indique Mathieu Burger.
La fonction exige forme physique et solidité psychologique pour affronter des personnes en souffrance et une vraie humilité, car cette forme de théâtre n’a de sens que si on se met au service des autres. « Elle rime aussi avec travail incessant, car il faut s’informer en continu aux plans artistique comme social », ajoute Gérard Gallego. « On ne peut pas faire ce métier sans aimer profondément les gens », appuie Amanda Iriarte. D’autant plus que les rétributions de ces intervenants sont généralement alignées sur les budgets – restreints – des structures sociales. Tous se disent pourtant largement payés en retour. « Il n’y a pas une journée où l’on n’est pas surpris, voire émerveillés, des réactions et de la force de résilience des personnes », sourit Mathieu Burger.
Catherine Piraud-Rouet
« Une profession cachée »
Jérôme Spick, responsable Qualité de l’association Théâtre Instant Présent (Vincennes, Val-de-Marne)
« Les intervenants de théâtre social font partie des animateurs sociaux. Certains relèvent de l’univers artistique (metteurs en scène, comédiens, auteurs…) mais la plupart sont des intervenants sociaux (éducateurs, psychologues, chargés d’insertion professionnelle…). D’où une absence de nomenclature professionnelle spécifique, car si certains en ont fait leur métier à part entière, pour nombre d’entre eux le théâtre n’est qu’une technique d’animation parmi d’autres. Cette visibilité limitée rend difficile de les quantifier, d’autant plus qu’il n’existe aucune formation "officielle" en la matière. On estime toutefois aujourd’hui le nombre de ces praticiens à plusieurs milliers. Un chiffre qui devrait encore augmenter à l’avenir, tant cet outil social s’avère efficace pour mieux accompagner des personnes en difficultés. »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 222 - septembre 2023