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Tribune
« L’État doit prendre ses responsabilités »

04/12/2024

Face à la crise que traverse le secteur social et médico-social, le dirigeant associatif Guillaume Préveraud plaide pour que les pouvoirs publics assument d’aligner les missions confiées aux établissements et services avec les moyens qu’ils leur accordent. Une nécessaire clarification afin de ne pas faire peser sur les opérateurs le choix des sacrifices à faire.

Les établissements et services privés à but non lucratif demeurent majoritaires dans le champ sanitaire, social et médico-social. En 2022, les fondations et associations gestionnaires intervenant dans ces domaines représentaient 58 % du secteur privé non lucratif en termes de nombre de salariés et de masse salariale [1]. Ces structures ont d’ailleurs directement contribué au développement de ces établissements et services dans la période de l’après-guerre, portées par l’implication de bénévoles et le volontarisme des pouvoirs publics, notamment en matière de financements. La prise d’initiative, les capacités d’innovation et la gestion désintéressée des porteurs constituaient autant de points d’attrait pour l’autorité publique. Elle a ainsi obtenu de pouvoir confier des services d’intérêt général à ces opérateurs privés non lucratifs sans avoir à craindre que des dérives mercantilistes ne viennent nuire aux conditions de délivrance des prestations apportées aux publics vulnérables. En parallèle, elle a déployé une réglementation et des outils de contrôle destinés à sécuriser la qualité et le coût des services rendus aux populations concernées. Le système mis en place a donc permis à l’État de décliner avantageusement des politiques sociales ambitieuses, en déléguant aux associations le soin d’en assurer la mise en œuvre, selon un principe de délégation de service public.

Objectifs et moyens : une distorsion préoccupante

Au fil du temps, les organisations gestionnaires ont vu leurs activités augmenter au gré d’une demande en progression constante. Elles ont structuré leur offre et leurs modèles de gestion en conséquence. De leur côté, les pouvoirs publics ont commencé à éprouver des difficultés pour accompagner la croissance des besoins, confrontés à des capacités de financement de plus en plus réduites. Le nombre d’usagers pris en charge par des établissements pour personnes handicapées a augmenté de 33 % entre 2006 et 2018 [2]. À cette augmentation quantitative de la demande s’est adjoint un effet d’intensification des besoins d’accompagnement, lié notamment au vieillissement des populations concernées. Entre 2006 et 2018, la part de personnes handicapées âgées de 60 ans ou plus accueillies en établissements est passée de 3 % à 9 % [2]. Les prestations sociales en faveur du handicap ont progressé de 2,3 % par an entre 2005 et 2014, des augmentations conséquentes, mais insuffisantes pour couvrir la réalité des besoins et de leur évolution [3].

Le secteur subit directement cette distorsion, confronté aujourd’hui à une situation de crise préoccupante [4]. Les structures affichent pour nombre d’entre elles des situations financières précaires. Elles rencontrent des difficultés de recrutement, principalement imputables à des conditions de travail qui se détériorent et à un affaissement des rémunérations proposées [5]. Elles peinent enfin à maintenir des modalités d’accueil satisfaisantes, devant revoir à la baisse les volumes d’accompagnement ou les conditions d’accueil proposées afin de maîtriser leurs coûts. Elles sont tenues d’assurer l’accueil de populations de plus en plus dépendantes, d’augmenter leurs plages d’ouverture, d’amortir les effets de l’inflation, sans que leurs moyens soient revus en conséquence. Il revient aux opérateurs de réaliser l’équation impossible, en prenant la responsabilité de dérives éventuelles, pour pouvoir maintenir leurs services dans un contexte de contraction des ressources. Les situations de maltraitance, les défaillances de prise en charge, les manquements aux obligations de sécurité trouvent bien souvent leur origine dans des problématiques de moyens.

Les associations menacées face au lucratif

D’un côté, le discours politique cherche à valoriser l’engagement public en faveur du handicap, du soin apporté aux personnes les plus vulnérables, et la continuité de ces orientations. De l’autre, ce sont les « prestataires » qui servent de variable d’ajustement et se doivent de concrétiser les engagements consentis, en dépit de financements insuffisants. Les donneurs d’ordre que sont l’État et les collectivités locales sont confortés dans leur posture par la situation de monopsone administré qui caractérise le « marché » sanitaire, social et médico-social : face à un nombre important de structures opératrices, ils déterminent librement leurs tarifs et leurs conditions d’intervention. Peu perméables aux risques de défaillance des gestionnaires, ils peuvent toujours tabler, au besoin, sur des transferts d’activité. Ils savent, par exemple, pouvoir recourir à des acteurs privés à but lucratif pour prendre le relais. Ces derniers savent proposer des conditions d’intervention compétitives pour capter des marchés, pour relever leurs prix par la suite, une fois les opérateurs associatifs éliminés du jeu.

Les associations et les intérêts qu’elles défendent se trouvent particulièrement menacés dans un tel contexte. Elles semblent condamnées à l’acceptation et la résilience, se devant pour assurer la continuité de leurs services d’accepter et d’endurer au mieux, en modérant leurs toussotements. Elles pensent bien souvent que le caractère essentiel de leur service contraindra les financeurs à leur venir en aide en dernier recours. Il se peut pourtant qu’elles fassent erreur.

Il est essentiel que des clarifications interviennent, et précisent les responsabilités des uns et des autres, et surtout placent les engagements politiques en adéquation avec les moyens mobilisables.

Les opérateurs ont tout lieu d’assumer les responsabilités qui leur incombent, à condition qu’aux missions qu’ils doivent couvrir correspondent les ressources adéquates. Il importe alors que leurs besoins exacts puissent être mesurés et objectivés à partir de référentiels, en tenant compte de leurs réalités d’intervention, et que les financements s’ajustent en conséquence.

Une volumétrie à revoir ?

L’émergence d’un décalage entre les moyens alloués et les attributions confiées est génératrice de risques pour les usagers comme pour les personnels. Des effectifs en nombre insuffisant pour assurer une prise en charge peuvent ainsi induire un défaut de soins pour le résident d'un établissement, ou exposer un salarié mobilisé à outrance à un accident du travail. Ce risque ne peut être raisonnablement assumé par des gestionnaires qui subissent une situation face à laquelle ils ont pu poser une alerte qui n’a pas été entendue. C’est bien au donneur d’ordre qu’il revient d’assumer la responsabilité du décalage observé et de ses conséquences éventuelles.

Le plus rationnel serait toutefois, dès lors que les moyens ne peuvent être portés à hauteur des fonctions assignées, que ces dernières puissent être revues de sorte à correspondre aux budgets alloués. Il conviendrait alors que la volumétrie de service confiée au prestataire soit remise en cohérence. Quand les moyens ne peuvent suivre, il reste possible d’ajuster la voilure en réduisant, par exemple, les amplitudes d’ouverture ou le nombre de places proposées.

Rétablir l’équilibre

Les associations gestionnaires ont tout intérêt à obtenir ces clarifications et imposer un choix clair à leurs tutelles, État ou collectivité territoriale. Ces dernières ne peuvent continuer à tenir un discours politique volontariste, à garantir une offre conforme aux besoins, si les moyens dont elles disposent ne le permettent pas. Elles doivent encore moins en faire peser la responsabilité sur les opérateurs, en usant ou abusant de leur position dominante.

À l’heure où les capacités de financement publiques atteignent leurs limites, où l’action sanitaire et sociale et ses porteurs sont mis en péril, il devient urgent de rétablir l’équilibre. Il sera toujours préférable de contenir l’offre proposée et de consentir à des aménagements que d’assister au naufrage des structures qui la portent. Une posture claire, courageuse et responsable est attendue de la part des pouvoirs publics, permettant d’aligner la commande avec les ressources disponibles et de l’assumer pleinement, sans avoir à faire peser les conséquences de l'écart sur les opérateurs. L’action sanitaire et sociale non lucrative est un bien précieux qu’il faut pouvoir préserver en usant de pragmatisme et en acceptant au besoin les sacrifices nécessaires.

[1] Bilan 2023 de l’emploi associatif sanitaire et social, Uniopss, Centre de ressources Solidarités-Santé et Recherches & Solidarités, septembre 2023

[2] 312 000 personnes sont accompagnées dans les établissements et services médico-sociaux pour adultes handicapés fin 2018, Vanessa Bellamy et Thomas Bergeron, Drees, Études et Résultats, novembre 2022, n° 1247 

[3] Les dépenses en faveur des personnes handicapées ont progressé de 13,5 milliards d’euros de 2005 à 2014, Thimothée Barnouin et Thibault Darcillon, Drees, Études et Résultats, mars 2017, n° 999

[4] Le secteur du médico-social en pleine crise, Solène Cordier et Claire Ané, Le Monde, 14 octobre 2022

[5] De la restriction des budgets des politiques sociales à la dégradation des conditions de travail dans le secteur médico-social, Annie Dussuet, Laura Nirello et Emmanuelle Puissant, La Revue de l’Ires, n° 91-92, 2017/1-2, pp. 185-211

Guillaume Préveraud

Carte d’identité

Nom. Guillaume Préveraud

Fonction. Directeur général de l’Adapei Charente

Publié dans le magazine Direction[s] N° 236 - décembre 2024






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