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Vacances adaptées
Sous haute surveillance

19/06/2024

Un an après le décès de personnes handicapées lors d’un séjour de vacances adaptées, les grands départs approchent. Les premières mesures décidées pour renforcer la sécurité ont mis sous tension ce secteur d’activité, au cœur de réflexions nationales. Le futur exécutif procédera-t-il à de nouveaux ajustements ? L’enjeu in fine : le droit aux vacances pour tous.

Les organisateurs de VAO, comme ici l’Apajh, sont désormais tenus de recueillir auprès des lieux d’hébergement les pièces justifiant du respect des normes de sécurité.

« Les structures qui sont investies dans la coordination de séjours n’ont ni le temps ni les moyens de se rendre sur chaque lieu d’hébergement, reconnaît une responsable associative. Ce jour-là, comme d’autres, nous nous sommes dit que cela aurait pu être nous… » En août 2023, dix personnes handicapées et un de leurs accompagnateurs périssaient dans l’incendie de deux gîtes lors d’un séjour de vacances adaptées organisées (VAO) à Wintzenheim (Alsace). En cause, a très vite conclu l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) saisie [1] ? Une succession de défaillances repérées dans la chaîne de responsabilités des opérateurs et des administrations. « Ce drame a mis en lumière la manière avec laquelle les VAO n'ont pas été suffisamment encadrées, normées et pensées », avait alors résumé l’ex-ministre des Solidarités et des Familles, Aurore Bergé. L’occasion pour l’État de renforcer les obligations des organisateurs de ces séjours pour adultes, galaxie d’acteurs aux statuts divers (associations, entreprises, structures médico-sociales…) et de lancer une large réflexion. Un an plus tard, la vigilance est maximale chez les acteurs du tourisme adapté qui attendent, voire redoutent, de nouvelles mesures susceptibles de corseter le dispositif.

Transfert de charges 

Sitôt connus les résultats de l’enquête administrative, la réponse du politique s’est concentrée sur une cible unique pour pallier les défaillances, pourtant jugées « systémiques ». Les organisateurs de VAO sont désormais tenus de recueillir, auprès des lieux d’hébergement, les pièces justifiant du respect des normes de sécurité incendie : à savoir leur dernier arrêté d’autorisation et, pour les établissements recevant du public (ERP), une récente attestation de passage de la commission de sécurité [2]. La mise en œuvre de ces nouvelles exigences, parues en pleine préparation des vacances de fin d’année, s’est révélée plus complexe que prévu. « Il nous faut mettre la pression aux hébergeurs pour tout obtenir, confirme Christophe Roy, directeur d’APF Évasion France handicap. Quand on y parvient, les attestations sont parfois datées d’il y a plus de cinq ans ! Or, face à la demande, les commissions de sécurité ne peuvent pas être toutes réunies à temps. »

Et quid des plus petits hébergements (moins de quinze places), assujettis, eux, à une réglementation minimale ? Leur propriétaire doit formaliser par écrit « les raisons pour lesquelles le lieu n’est pas soumis à la réglementation ERP ». Un vrai casse-tête pour les professionnels de VAO. « Nous avons dû contacter tout le monde. À savoir tous ceux qui ne sont pas ERP, soit la moitié du parc de notre réseau, pour savoir pourquoi ; mais aussi apprendre à certains propriétaires, qui tiennent parfois leur gîte depuis plus de vingt ans, qu’ils sont maintenant tenus de passer une commission de sécurité pour nous accueillir… », énumère Sébastien Bort, vice-président du Conseil national des loisirs et du tourisme adapté (CNLTA). « Est-ce vraiment à nous de faire ça ? reprend Christophe Roy, dubitatif. Les pouvoirs publics attendent que nous renseignions les préfectures sur la conformité de certains ERP… qu’elles ont elles-mêmes autorisés à ouvrir ! C’est clairement un transfert de charges. » Réponse du berger à la bergère : « L’État demande juste aux organisateurs l’application de leurs responsabilités – à savoir s’assurer que les endroits sont sécurisés pour des gens qui paient très cher leur séjour, tacle Guilhem Sarlandie, représentant du Syndicat national des affaires sanitaires et sociales-CGT (Snass-CGT). C’est une mission qu’ils auraient dû prendre en main de façon bien plus importante ! »« Il n’est évidemment pas question de transiger sur la sécurité, temporise Alain Dupré, administrateur de l’union des associations Unapei et membre du CNLTA. Mais là, on retombe dans un travers bien français : l’avalanche de normes qui donne le sentiment que l’État cherche à se couvrir ! »

À la manœuvre pour s’assurer du respect de ces exigences déclaratives, les directions départementales de l’emploi, du travail et des solidarités – et en particulier leurs inspecteurs de l’action sanitaire et sociale chargés des contrôles – sont aussi mises sous pression. Pour les épauler, un doublement des moyens humains a été annoncé à l’automne 2023. « Seuls vingt-deux des cinquante-cinq postes promis ont été ouverts et ce, dans les directions régionales, alors que c’est le préfet du département qui est compétent pour lancer des inspections…, objecte Guilhem Sarlandie. En outre, ces collègues seront certes dédiés à l’inspection et au contrôle, mais pas des seules VAO ! Leurs contrôles devront désormais aussi vérifier les aspects de sécurité incendie, pour lesquels de nouveaux outils ont été élaborés pour les lieux de moins de quinze places. »

Quel leviers d’amélioration ?

« L’organisation et le fonctionnement des séjours soulèvent des questions majeures de conciliation du droit aux vacances avec les impératifs de sécurité », a très tôt prévenu l’Igas. C’est pourquoi, fin octobre, une nouvelle mission, plus globale cette fois, a été lancée par le Gouvernement notamment afin d’identifier des « leviers d’amélioration » des VAO. Voire une évolution de leur cadre réglementaire, aujourd’hui fixé par un décret énumérant « de simples recommandations d’organisation », souligne le CNLTA. Lequel pourrait bien, demain, prendre un tour bien plus contraignant au nom de la sécurité ? « Le drame de Wintzenheim a montré qu’un renforcement réglementaire s’avère nécessaire, particulièrement sur les modalités d’agrément et les contours des contrôles », a ainsi fait valoir devant la mission le Snass-CGT.

Pour les acteurs du tourisme adapté, l’essentiel est ailleurs : attention à ne pas rigidifier le dispositif, en imposant des normes uniformisées. « Selon la réglementation, il revient à l’organisateur d’évaluer l’encadrement nécessaire en fonction du niveau d’autonomie et du type de handicap des participants, rappelle Sébastien Bort. Comment envisager que soit exigé demain un taux d’encadrement unique, voire un seul type de qualifications ou d’hébergement, pour un groupe de personnes polyhandicapées comme pour des déficients visuels très autonomes ? »

Droit aux vacances menacé

Et Jean-Louis Garcia, président de la fédération Apajh, qui organise un millier de journées de vacances chaque été, d’enfoncer le clou : « Si l’État décidait de faire ceinture et bretelles en surréglementant, cela aurait un coût susceptible de remettre en cause les possibilités de séjours, en particulier des plus vulnérables. Nous devons trouver des aménagements par la concertation, comme nous avons déjà réussi à le faire pendant la crise sanitaire malgré les normes exigeantes de sécurité. »

La surenchère normative, un risque supplémentaire de voir grimper en flèche des factures déjà plombées par le « surcoût handicap » (de + 34,7 % à + 64,6 % de la facture, selon le niveau d’autonomie des vacanciers [3]) ? Transport, hébergement, location du véhicule, salaires des accompagnants, activités… Aucune ligne budgétaire n’a échappé à l’inflation ces dernières années. De quoi sérieusement relativiser, au vu du montant de l’allocation pour adultes handicapés, le principe du droit aux vacances et au répit, pilier d’une société inclusive... « Ces dernières années, on assiste à une dérive dont il nous faut comprendre l’origine, témoigne Pierre-Yves Lavallade, délégué général de Paralysie cérébrale France, signataire d’un partenariat renouvelé avec l’Agence nationale pour les chèques-vacances. Ces échelles tarifaires tordent l’esprit des dispositifs d’aide destinés, à l’origine, à amortir le surcoût pour rendre les voyages possibles. Aujourd’hui, environ 25 % des personnes accompagnées par notre réseau ne partent plus en vacances, notamment pour des raisons financières. L’État doit se pencher sur le sujet car, à ce rythme-là, demain ces publics qui ont justement besoin de sortir des établissements ne le pourront plus ! La société se doit de leur trouver des réponses à leur besoin de vacances. » Autre piste pour maîtriser les coûts ? « Outre l’accessibilité des aides financières, il est aussi urgent de soutenir l’entretien du patrimoine immobilier des organisations, avance Isabelle Monforte, directrice de l’animation des secteurs et programmes à la Fédération générale des PEP, qui organisent la majorité de leurs séjours dans leurs propres centres de vacances. Les besoins sont importants et les aides à la rénovation tendent à se réduire. »

Concertations nécessaires

Quelles options seront finalement retenues par l’État ? Difficile à ce stade de savoir si le dossier restera sur la pile des priorités du Gouvernement qui sera nommé à l’issue des élections législatives. Reste que, mi-juin, le fruit des derniers travaux de l’Igas, pourtant attendus en février selon la lettre de mission, n’était toujours pas publié. Du côté des acteurs du tourisme adapté, on redoute les décisions venues d’en haut. « On l’a vu, les premières mesures ont amené des contraintes supplémentaires pour les hébergeurs qui, désormais, considèrent parfois le handicap comme une source de problèmes, reprend Sébastien Bort. Tout cela complique encore la question de l’inclusion. »

« Visiblement, au ministère, personne ne semblait avoir réfléchi à ces conséquences, y compris sur les personnes handicapées, renchérit René Moullec, président du CNLTA. Si la réglementation doit évoluer, l’État et l’administration ne doivent pas agir seuls. Les acteurs ne peuvent pas être réunis seulement en situation de crise. »

[1] Enquête administrative n° 2023-080R, septembre 2023

[2] Circulaire interministérielle n° DGCS/3B/2023/153 du 6 octobre 2023

[3] Surcoût lié au handicap, MAJ 2024, UFCV

Gladys Lepasteur

Repères

17 550 vacanciers et 4 500 animateurs mobilisés dans le réseau du CNLTA (été 2023).

22 : c’est le nombre de postes ouverts pour renforcer l’inspection et le contrôle, selon le Snass-CGT.

43 % des personnes handicapées ne peuvent s’offrir une semaine de vacances par an, contre 22 % dans le reste de la population (Drees, 2021).

« L’autodétermination, une priorité »

Stéf Bonnot-Briey, pilote de la commission Accompagnement des personnes du CNCPH

« Les droits spécifiques créés pour les personnes en situation de handicap doivent demeurer au service des droits fondamentaux. Les transferts, qui consistent à faire passer un résident d’un établissement à un autre pendant l’été, ne peuvent en aucun cas être considérés comme des vacances ! Les VAO sont une possibilité et doivent le rester. Même dans ce cadre, le choix de la personne doit être respecté. Est-elle impliquée dans la sélection du séjour et dans le choix des activités sur place ou les VAO sont-elles complètement pilotées par les organisateurs ? A-t-elle pu opter pour un lieu de vacances pour tous quand c’est possible ? Tout cela suppose que les organisateurs mènent aussi des démarches en direction des lieux dits ordinaires pour évaluer cette possibilité. Cela permettrait, en outre, de désengorger les demandes de VAO, au profit de ceux qui ne peuvent ou ne souhaitent pas envisager d’autres solutions à ce jour. Au CNCPH de poursuivre le travail en faveur du droit commun et de l’accessibilité universelle. »

Publié dans le magazine Direction[s] N° 232 - juillet 2024






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