En cette fin d’été, les Jeux olympiques et paralympiques auront donc apporté à la France une cohésion d’autant plus réconfortante qu’elle vient à la suite d’une succession d’épisodes politiques et sociaux particulièrement déstructurants, avec un quasi-traumatisme d’une dissolution de l’Assemblée nationale incomprise. Ces Jeux ont aussi démontré, par une organisation maîtrisée et des cérémonies enthousiasmantes, la capacité de notre pays à se dépasser pour accueillir le monde et, pour tout dire, une fierté généreuse d’être Français. Et, comme à l’habitude dans les moments les plus marquants de notre histoire, c’est en tenant un message universel que la France a de nouveau été elle-même. À cela, il faut ajouter le principal : des performances sportives exceptionnelles de femmes et d’hommes qui ont concouru, valides comme en situation de handicap, capables de se dépasser pour aller vers le meilleur, tout en respectant leurs concurrents.
Mais maintenant, une fois que la fièvre positive sera retombée, que faire de ce moment ? Car bien évidemment ces Jeux ne règlent rien. Ni les manques, ni les besoins essentiels du quotidien, ni les peurs, ni les colères, ni les inquiétudes n’ont durablement disparu. Ni les paroles et actes racistes, antisémites ou homophobes, largement désinhibés ces derniers temps, tout aussi violents pour celles et ceux qui les subissent qu’ils sont indignes des valeurs de notre pays.
De nouveaux obstacles à franchir
Devant les défis de tous ordres qui sont devant nous – sociaux, économiques comme environnementaux – la voie est encore à tracer pour permettre à la France de franchir de nouveaux obstacles, de se projeter, elle aussi, dans une nouvelle olympiade.
En effet, où en serons-nous dans quatre ans, en 2028 ? Beaucoup de femmes et d’hommes se posent cette question pour eux-mêmes, pour leurs enfants et leurs proches en général, et pour le pays tout entier. Sortir de la fatigue sociale, du ressentiment généralisé demande un nouveau récit national qui rassemble et qui, pour cela, doit partir du vécu concret dans tous les territoires, être clairement énoncé et débattu. Là est aussi le rôle des acteurs de la société civile organisée, en particulier des associations des solidarités et de la santé qui font vivre au quotidien le prendre soin. Il faut prendre la mesure des évènements de ces derniers mois dans ce qu’ils ont aussi de potentiellement déstabilisateurs pour le secteur non lucratif et les projets associatifs qui portent nos actions. Et prendre alors l’exacte mesure de nos responsabilités assumées comme corps intermédiaires.
Aucune association, fondation ou mutuelle ne s’est créée dans le seul but de gérer au mieux des établissements ou des services. Les volontés collectives qui ont amené des personnes différentes à s’unir et à faire ensemble reposent toujours sur une vision de la réponse à apporter aux besoins de personnes en situation de vulnérabilité. Et cette vision, quels que soient les engagements philosophiques des acteurs associatifs, s’appuie sur le caractère non négociable des droits inaliénables des personnes, en particulier sur l’objectif de dignité tout au long de la vie, quelles que soient les circonstances.
Assumer le rôle de phare et de balise
C’est pourquoi il est important de prendre garde à faire respecter et à défendre ce que nous sommes. Tout en revendiquant le fait que nous mettons en œuvre des politiques publiques qui n’existeraient pas sans notre action, il nous faut refuser d’être considérés seulement comme des opérateurs de l’action publique. Et il ne s’agit pas en cela que d’une clause de style. Un sous-traitant privé de l’action publique a peu à dire sur le contenu du projet pour lequel il candidate. Il doit décrire les moyens qu’il compte mettre en œuvre pour le réaliser...et bien souvent tenter d’être surtout moins cher que son concurrent. Certains responsables publics verraient bien cela se généraliser au champ des solidarités quand, localement notamment, on nous demande d’en rabattre sur nos exigences de qualité de l’accompagnement. Or, si nous nous enfermons, de gré ou de force, dans cette posture, pourquoi s’offusquer de voir des entreprises lucratives s’intéresser à ce qui est un marché en expansion, elles qui, par nature, ne revendiquent pas une vision de l’action publique assise sur un projet de société ?
Alors, évidemment, assumer ce rôle de phare et de balise des réponses aux enjeux sociaux demande de prendre des risques quand des questions majeures parcourent la société. C’est ce que nous sommes plusieurs à avoir fait, notamment à l’occasion des élections législatives, en respectant pleinement le caractère non partisan de notre action tout en assumant le devoir de ne pas rester neutres quant aux enjeux en cours. Et il y a fort à parier que, dans les mois à venir, c’est sur cette ligne de crête que les associations des solidarités et de la santé devront continuer de cheminer, d’autant qu’il faut penser – et panser – les fractures de notre société. Aussi, dans la période qui s’ouvre, pour le moins faite d’incertitudes, être déterminé, fort et efficace est sans doute le meilleur service que le secteur non lucratif peut se rendre à lui-même, comme à l’ensemble de la société française.
Cela d’autant que, entre les contraintes budgétaires européennes et une Assemblée nationale éparpillée, avec comme conséquence une navigation gouvernementale possiblement encore plus à vue que ces dernières années, les projets de budgets PLF et PLFSS pour 2025, qui devaient être des rendez-vous majeurs du quinquennat, risquent de se transformer en triangles des Bermudes dans lesquels les solidarités peuvent se perdre.
Or, les secteurs social, médico-social et sanitaire sont un bon exemple de ce qu’il faut faire à l’échelle de l’ensemble de la société française pour la remettre d’aplomb et solide sur ses bases, ce de par leur vocation de réponse universelle aux vulnérabilités de l’existence que chacun rencontre pour soi-même ou pour un proche. En effet, il s’agit là de problèmes qui touchent une large partie de la population, d’enjeux de modèle économique, de financements importants, de revalorisation d’activités professionnelles insuffisamment considérées dans leur utilité sociale, de formation initiale et continue alors que les besoins sont croissants, auxquels on pourrait ajouter des fractures territoriales et sociales grandissantes dans l’accès à l’accompagnement.
Des compromis entre le souhaitable et le possible
Si nous voulons être utiles, nous devons exiger de partir des besoins au plus près du terrain pour ensuite, et ensuite seulement, discuter des moyens à mettre en œuvre, de leurs coûts et de leur financement. Commençons donc par obtenir des états des lieux partagés des solidarités à l’échelle des territoires associant, chacun dans leurs responsabilités, l’État, les régions, les départements, les communes ainsi que les associations pour leur expertise de terrain, cela afin de décrire les besoins présents et à venir. Un débat national pourrait s’en suivre en collectant ainsi des situations par nature disparates, tout en ayant des dominantes communes. Alors pourraient se construire des compromis entre le souhaitable et le possible, avec une gouvernance claire et compréhensible pour tous les acteurs et pour chaque citoyen, avec des budgets sécurisés sur le long terme puisque les priorités d’actions auront été définies, avec également une régulation des acteurs qui permettrait de définir ce qui relèverait ou non de la lucrativité. C’est le sens d’une démocratie adulte, loin des discours moralisateurs ou de sachants déconnectés. C’est aussi une conception exigeante de la République qui replace le citoyen non pas comme consommateur de l’action publique, piochant dans des droits qu’il n’a pas participé à construire, mais comme celui qui la façonne et l’expertise.
Cette position de co-constructeurs de l’action publique, qui est la raison d’être de l’Uniopss depuis sa création, participe pleinement à une reconnaissance du fait associatif. Cette posture est d’autant plus essentielle aujourd’hui que les associations sont des lieux de sociabilité à la fois préventifs et curatifs de la montée des extrêmes : préventifs car elles permettent de rencontrer l’autre plutôt que de le fantasmer négativement, curatifs car elles agissent concrètement au quotidien pour résoudre des problèmes, accompagner et redonner du pouvoir d’agir à chacun. Aussi, les trois quarts des députés élus ou réélus par un front républicain doivent avoir bien conscience qu’ils ont avec nous un moyen d’agir : en renforçant les associations du secteur, ils participent à construire un front des solidarités bien plus solide et plus pérenne que des sauvetages d’entre deux tours, certes nécessaires, mais insuffisants. Par notre action qui s’adresse à toute la population en rendant plus effectifs des droits proclamés, nous sommes celles et ceux qui peuvent faire reculer l’extrême droite, plutôt que de laisser le sentiment de délaissement l’emporter.
Éviter une nouvelle dislocation sociale
A contrario, si, une nouvelle fois, alors que le souffle de l’élection est passé, les associations de solidarités sont poliment écoutées à l’aune de concertations qui n’en sont pas vraiment, cela participerait à défaire un peu plus les liens d’une société déjà distendue. Dans les semaines à venir, tous les discours sur la maîtrise des finances publiques seront entendables s’ils sont assortis des moyens d’éviter une nouvelle dislocation sociale. L’enjeu de la période est surtout de savoir comment continuer de faire ensemble. Ce front des solidarités est en fait l’antidote à une sécession possible, et trop souvent déjà palpable, entre les plus aisés de notre société qui auront toujours une réponse à leurs besoins d’accompagnement tout au long de la vie, et la grande majorité qui voit subvenir chaque évènement de la vie comme une remise en cause complète de son équilibre personnel et de sa capacité à se projeter.
Les enjeux communs à bâtir sont le ciment du front des solidarités qui permettra alors le plus essentiel : la conviction par la preuve que chacun sera plus fort et résilient si nous affrontons ensemble les défis d’aujourd’hui et de demain. Si elles le décident, les associations des solidarités et de la santé ont la légitimité d’en être tout à la fois les actrices et les garantes.
Daniel Goldberg
Carte d’identité
Nom. Daniel Goldberg
Fonctions. Président de l’Uniopss.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 233 - septembre 2024