Le déficit public pourrait atteindre 5,6 % du PIB fin 2024. L’exécutif aura-t-il beaucoup de marges de manœuvre vu les équilibres politiques ?
Bruno Palier. S’il est difficile de savoir quels choix seront faits, on peut toutefois souligner certaines lignes rouges mises en avant par les uns ou les autres. Le Premier ministre est pris entre le Rassemblement national qui souhaite des avancées ailleurs que sur les politiques sociales, comme sur l’immigration, et le centre qui refuse toute hausse d’impôts. Donc, même si Michel Barnier parle de santé, d’école ou de fiscalité plus juste, il hésitera peut-être à aller sur le terrain de l’augmentation des prélèvements obligatoires pour résoudre le déficit.
Le secteur social et médico-social pourrait-il en faire les frais, comme le craignent ses acteurs ?
B. P. Possible, si la solution retenue par le Gouvernement est de privilégier les économies. Rappelons qu’en partant, le ministre démissionnaire de l’Économie a tout de même ciblé les collectivités territoriales, financeurs importants du secteur... Une chose est sûre : ces professionnels ont tout intérêt à se faire entendre. Leurs métiers, aux conditions souvent difficiles et mal rémunérés faute d’investissement, sont au cœur d’un grand paradoxe : on a mesuré leur importance durant la crise sanitaire et, pourtant, on « mesure » les fonds qu’on leur accorde.
Quelles devraient être les priorités du Gouvernement ?
B. P. Beaucoup d’argent n’est pas employé au bon endroit et pourrait être réinvesti dans les dépenses d’investissement social au bénéfice des crèches, des écoles, de la prise en charge des personnes âgées dépendantes... Avec Clément Carbonnier [1], nous avons montré qu’on pourrait réduire de 36 milliards les exonérations de cotisations sociales, dont il est prouvé qu’elles ne créent pas d’emplois et engendrent des trappes à bas salaires dans lesquelles sont notamment enfermés ceux qui s’occupent des autres.
Autre piste : un impôt sur la fortune majoré rapporterait entre 10 et 14 milliards d’euros, les 378 archimillionnaires français ne payant en impôt que l’équivalent de 2 % de leur patrimoine. Il y a là une profonde injustice à laquelle on ne remédiera probablement pas tant que l’idéologie du ruissellement persistera à la tête du pouvoir. Et pendant ce temps, le secteur social et médico-social reste en grande difficulté pour répondre aux besoins et offrir des conditions d’emploi décentes à ses équipes…
[1] Co-auteurs de Les femmes, les jeunes et les enfants d’abord, PUF, 2022
Propos recueillis par Gladys Lepasteur
Des pistes d’économies
Parmi les propositions des inspections Igas-IGF en matière de soutien à l’emploi [1] ?
- Maîtriser la croissance du volume des dispositifs d’insertion par l’activité économique et de Territoires zéro chômeur de longue durée pour en garantir la soutenabilité et la viabilité sur 2025-2027 ;
- Maintenir le volume des entrées en contrat d’engagement jeunes préférentiellement au parcours d’accompagnement contractualisé Pacea, moins intensif, et resserrer ses critères pour mieux cibler les plus éloignés de l’emploi ;
- Prévoir une dégressivité de l’aide au poste en entreprise adaptée au-delà de cinq ans, par exemple ;
- Pour les emplois francs, passer d’un système d’aide dans la durée à une prime ponctuelle. Pour maintenir la qualité de l’emploi, elle pourrait être d’un montant supérieur en cas de CDI et remboursable en cas de rupture dans un délai déterminé.
[1] Sur www.igf.finances.gouv.fr
Publié dans le magazine Direction[s] N° 234 - octobre 2024