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Crise sanitaire

Les jours d'après

04/06/2020 -  L’épidémie de Covid-19 a confirmé les forces et faiblesses du secteur social et médico-social : l’engagement des professionnels, les inégalités territoriales, l’insuffisance des financements… Mais en soulignant l’adaptabilité des acteurs, elle a dopé leur désir d’autonomie, et pourrait accélérer le remodelage du secteur.

SOMMAIRE DU DOSSIER :

  • Les jours d’après
  • « Un soutien adapté aux directions »
  • Quoi qu’il en coûte ?
  • Des directeurs solidaires

Crise sanitaire
Les jours d’après

03/06/2020

L’épidémie de Covid-19 a confirmé les forces et faiblesses du secteur social et médico-social : l’engagement des professionnels, les inégalités territoriales, l’insuffisance des financements… Mais en soulignant l’adaptabilité des acteurs, elle a dopé leur désir d’autonomie, et pourrait accélérer le remodelage du secteur.

À l’heure où nous bouclons ces lignes. » En temps normal, voilà une facilité de rédaction dont on préfère se passer. Sauf que la période est extraordinaire, au sens propre du terme, susceptible d’évoluer chaque jour dans un sens inédit. Et tout peut basculer entre l’impression du magazine et sa lecture… À l’heure où nous bouclons ces lignes, donc, le déconfinement est à peine commencé. Une période à hauts risques s’est ouverte pour les personnels et les usagers des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), et un casse-tête pour celles et ceux qui les dirigent. Certes, l’échéance a été annoncée un mois à l’avance, laissant davantage de marges d’anticipation que la fermeture, décrétée un jeudi soir pour le lundi suivant. Mais quantité d’inconnues demeurent : l’organisation des transports, le fonctionnement des établissements scolaires sur la durée, le financement des surcoûts générés par la crise (lire p. 20), les besoins sanitaires et d’accompagnement des usagers après deux mois de vie au ralenti… Et puis, encore et toujours, la disponibilité des tests de dépistage, l’approvisionnement en équipements de protection ou la possible survenue d’une deuxième vague de contagion.

À l’heure où nous bouclons ces lignes également, le gouvernement a annoncé le versement d’une prime aux professionnels des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), des structures accompagnant des personnes en situation de handicap ou encore du champ de l’accueil, de l’hébergement et de l’insertion (AHI). Une prime promise aussi pour la protection de l’enfance et l’aide à domicile, dont le financement était suspendu à l’issue des « échanges avec les départements »…  Et ces derniers d’annoncer le 18 mai, après une bronca des acteurs,  un « plan de valorisation des métiers du domicile » pour répondre aux demandes. Preuve que le « monde d’après » n’émergera pas spontanément, et qu’il ne suffira pas de faire reconnaître les prodigieux efforts des ESSMS : pour que la crise sanitaire débouche sur des changements structurels, les acteurs vont devoir se mobiliser.

Une réactivité sans précédent

Une chose est sûre, les structures font preuve d’une réactivité et d’une adaptabilité sans précédent. Dans un secteur qui se sent souvent bridé par les normes et les injonctions, parfois bloqué dans la routine ou l’autocensure, le confinement a entraîné une réorganisation des activités en un temps record. Directeur général de l’Association Gaston-Mialaret, dans le Calvados (quatre centres d’action médico-sociale précoce – Camsp, deux centres médico-psycho-pédagogiques – CMPP – et un bureau d’aide psychologique), Samuel Cochet se souvient du 16 mars comme d’une « journée complètement folle », passée à « organiser la fermeture complète de tous les centres » : mettre en place une plateforme informatique pour le télétravail, basculer le standard sur des téléphones portables achetés en urgence, informer les 750 familles du fichier, proposer un accompagnement à distance… En Gironde, il a fallu moins d’une semaine au Diaconat de Bordeaux, l’un des gros acteurs de l’hébergement et de l’insertion, pour monter un centre de desserrement destiné aux personnes sans abri présentant des symptômes du Covid-19. « Nous avons l’habitude de répondre très vite à des commandes tardives pour une mise en œuvre immédiate », souligne le directeur général, Philippe Rix. Installée dans la résidence hôtelière à vocation sociale de l’association, en partie libérée par les jeunes locataires rentrés dans leurs familles, la structure disposait dès le 23 mars d’une équipe complète, recrutée pour une capacité de 60 places.

Les exemples sont légion, dans toutes les régions et pour tous les publics. Dans le Nord, les Papillons blancs de Lille ont inventé de nouvelles formes d’accompagnement, en particulier auprès des usagers des externats (provisoirement fermés) et des personnes isolées : visites à domicile, livraison de repas, de courses, de matériel pédagogique aux enfants de l’institut médico-éducatif (IME), conférences téléphoniques pour rompre l’isolement… En Auvergne, pour répondre à l’augmentation des signalements de violences conjugales, l’association d’entraide Anef 63 est parvenue à capter et aménager en urgence sept appartements, et à ouvrir de nouvelles places d’hébergement. À Paris, le service d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad) Abrapa a créé une cellule de soutien et de veille pour les personnes vulnérables, ouverte aux habitants du 7e arrondissement, sur simple signalement de l’entourage (médecins, pharmaciens, voisins…). Autant d’actions de transformations de l’offre centrées sur les besoins des publics, mises en place avec une efficacité record… Et l’imprimatur des autorités.

Désirs d’émancipation

C’est ainsi que le gouvernement a inscrit dans la loi portant mesures d’urgence la possibilité de déroger à l’autorisation et au fonctionnement habituel des structures. Et accompli « de nombreuses actions volontaristes, que l’on disait hier impossibles », souligne le Collectif des associations unies : création de 21 000 places d’hébergement supplémentaires, déblocage de 65 millions d’euros par le ministère de la Cohésion des territoires, prolongation de la trêve hivernale… Qu’en restera-t-il après la crise ? Difficile à dire. Mais après avoir prouvé qu’ils étaient capables de tenir la barre, les professionnels formulent des désirs d’émancipation, à rebours des logiques de la commande publique. « En temps normal, le pilotage des politiques sociales et médico-sociales est majoritairement descendant. En période de crise, c’est l’inverse : un tiers de consignes nationales, le reste procédant d’initiatives des acteurs qui associent les parties prenantes. Il faudra en tirer des leçons », pressent la présidente de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), Marie-Anne Montchamp. « Beaucoup d’innovations ont vu le jour à l’initiative de l’État ou des territoires (collectivités, associations…). Nous les étudions pour voir lesquelles pourraient être pérennisées », indiquait mi-mai Virginie Lasserre, directrice générale de la Cohésion sociale (DGCS).

Sur le terrain, les pratiques et les relations aussi ont été chamboulées. Procurant parfois aux équipes le sentiment de renouer avec l’essence du travail éducatif ou social. « Avec la suspension des synthèses, des réunions de projets, des échéances institutionnelles, on vit les choses au lieu de passer notre temps à en rendre compte », résume une éducatrice, heureuse de « larguer le contrôle ». En polyvalence, une assistante de service social salue des échanges « plus vrais », de la bienveillance et des procédures allégées allant « à l’essentiel ». Un changement palpable jusque dans les Ehpad, même durement éprouvés, où les infirmiers s’improvisent animateurs de couloir, où les aides-soignants guident les résidents dans l’utilisation de tablettes numériques, où les directeurs mettent en scène des chorégraphies qu’ils publient sur les réseaux sociaux sous une profusion de hashtags combatifs. « Ne pas être astreint et limité aux seuls gestes techniques, c’est exactement ce que les soignants réclament et que nous voulons voir advenir dans nos établissements depuis des années », remarque Jean-Pierre Riso, président de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa). Là aussi, reste à savoir à quelle vitesse les habitudes et les administrations reprendront le dessus.

« La solidarité, base de l’engagement »

Ce bouillonnement n’est pas passé inaperçu. La période confirme « le fort potentiel d’innovation sociale, organisationnelle et territoriale du secteur », confirme la CNSA. Au point de lancer un appel à projets destiné à tirer les enseignements de la crise pour améliorer l’offre et les pratiques. Parmi les axes retenus ? La coopération et la solidarité entre acteurs, y compris au-delà des interlocuteurs naturels des ESSMS. Un peu partout, des personnels de structures fermées se sont portés volontaires pour assurer de nouvelles missions, ou prêter main-forte aux collègues. Ainsi, en Ille-et-Vilaine, les membres du Groupe de recherche et d’actions des associations locales (Graal 35) – 20 organisations et une centaine d’ESSMS – ont mutualisé leurs besoins en ressources humaines. « La solidarité, c’est la base de notre engagement. Quand j’ai su que l’association Alaph avait besoin de renforts, je me suis manifesté immédiatement », témoigne Jean-Paul Morel, moniteur de menuiserie-ébénisterie aux Ateliers de Mabilais, un établissement et service d’aide par le travail (Esat), qui a fait office d’agent d’entretien et de restauration dans un foyer d’hébergement. Ailleurs, des supermarchés ont réservé des créneaux horaires aux personnes âgées et aux aides à domicile pour leur épargner les files d’attente. Des organisations de l’économie sociale et solidaire ont assuré la distribution de courses et de repas, et des hôpitaux ont mis sur pied des équipes mobiles de dépistage ouvertes aux ESSMS. « Je pense qu’on n’a jamais autant travaillé en réseau », confirme Pétula Yao, cheffe de service aide humaine à l’APF France Handicap des Alpes-Maritimes. Au sein du Cersap 06, un club de dirigeants de services à la personne dont elle fait partie, « toute notion de concurrence a disparu, constate-t-elle. Chacun fait profiter les autres de son expérience, de ses bons plans pour se procurer des équipements, répercute les demandes d’intervention qu’il ne peut pas satisfaire… Nous parlons d’une seule voix, cela renforce aussi notre visibilité et notre poids. »

Des coopérations hétérogènes

Remarquables, ces succès ne doivent pas occulter une autre réalité. Toutes les institutions n’ont pas connu le même sursaut. Tous les territoires n’ont pas vu éclore d’aussi fructueuses coopérations. Dans l’Est, le directeur d’une maison d’enfants à caractère social (Mecs) confie sa déception : « Pendant deux mois, nous n’avons eu pratiquement aucune nouvelle des professionnels d’IME ou d’instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (Itep). Peut-être ont-ils pensé que la Mecs gérait, et se sont-ils concentrés sur le soutien aux familles ? En attendant, c’est une vraie perte de chance pour les enfants concernés. »

Dans une note sur l’impact de l’épidémie, la commission sociale et médico-sociale de la Haute Autorité de santé (HAS) relève « des pratiques suggérant la vigilance ou réclamant l’alerte », dont « le manque d’aide » exprimé par les aidants familiaux. Largement vantée, la réserve sanitaire – absorbée par les besoins des hôpitaux – semble avoir peu profité au médico-social, et le recours à l’hospitalisation à domicile « a parfois été très compliqué », selon Nathalie Maubourguet, présidente de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en Ehpad (Ffamco), interrogée fin avril par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. « Nous avons beaucoup utilisé la télémédecine, mais les possibilités d’hospitalisation ont été quasi nulles, témoignait aussi son collègue Pascal Meyvaert. Cela nous a été refusé sur des critères discutables (âge des résidents, niveau de dépendance…), alors que nous manquions d’oxygène et de sédatifs. » Au-delà des différences liées au degré de diffusion du Covid, les coopérations semblent s’être mises en place de manière très hétérogène. Rien de très étonnant, tant l’accès aux soins des publics fragiles et l’articulation avec les acteurs du sanitaire constituent des sujets de préoccupation récurrents.

Ces écarts risquent de peser aussi sur le déconfinement. Loin d’un retour à la normale, le redémarrage de l’activité devrait en effet s’accompagner d’une hausse des besoins : rattrapage des soins courants, reprise des rééducations fonctionnelles, évaluation des ruptures de parcours et de leurs impacts (notamment sur le plan de la santé mentale), réamorçage des suivis éducatifs à domicile en protection de l’enfance, traitement des informations préoccupantes en suspens, réadaptation à la vie en collectivité des personnes handicapées confinées avec leurs proches… Dans les services sociaux de polyvalence et les centres communaux d’action sociale (CCAS), les professionnels s’attendent pour leur part à voir arriver de nouvelles populations en demande d’aide : artisans, commerçants, micro-entrepreneurs ruinés par la perte de chiffre d’affaires ou salariés appauvris par le chômage partiel.

Les équipes tiendront-elles le choc ? Dans certains ESSMS, l’absentéisme grimpe jusqu’à 40-50 %. Les signes d’épuisement se multiplient. Aux arrêts de travail et à la fatigue accumulée s’ajoute un sentiment d’abandon par les pouvoirs publics. « L’engagement, l’ingéniosité, d’accord, c’est formidable. Mais la raison d’être de tout ça, c’est un système complètement délité par manque de soutien de l’État », dénonce Sarah Bessière, cheffe de service de l’association d’aide à domicile Novavie, dans le Puy-de-Dôme. Pour garantir la continuité de l’activité, nombre de professionnels ont revu leur temps de travail. Les quotas d’heures supplémentaires pour l’année sont déjà épuisés. « Les professionnels sont à la limite de la rupture », avertissaient début avril des associations de dirigeants et gestionnaires (GNDA, Gepso, ADC, Uniopss) dans une lettre commune, pointant « l’absence de reconnaissance en actes depuis plusieurs années de la part de l’État ». Leur crainte ? Une aggravation de la perte d’attractivité des métiers du travail social, déjà plombés par le faible niveau de salaire. À tort ou à raison, chaque métier, chaque champ, chaque public se vit comme « le grand oublié » ou « l’invisible » de la période. Les petites mains du secteur n’y font pas exception.

Le manque de lisibilité de la gestion de crise, perçue comme incohérente, n’a rien arrangé. « Les consignes viennent de partout à la fois, créant des interférences », regrette Nathalie Maubourguet. Avec parfois, des effets de communication dévastateurs. Ainsi « les recommandations d’accompagnement de la fin de vie qui sont arrivées avant les masques ». Il faut dire que les notes, communiqués, consignes ont été produits à un rythme effréné. Donnant aux cadres et directeurs l’impression d’être ensevelis sous une avalanche technocratique. « Il doit y avoir un type dans un bureau qui pense qu’on s’ennuie, que ça nous occupera de changer de procédure à l’échelle de 300 personnes tous les quatre matins », raille une directrice de Saad. Le directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine, Michel Laforcade, reconnaît la profusion de « mémos administratifs ». Mais, soutient-il, « c’est aussi un moyen de maintenir le contact avec les structures au fur et à mesure que la doctrine s’élabore, et de les accompagner dans son application ». Insuffisant pour dissiper l’impression de tâtonnements. « Quand les masques ont enfin été disponibles, tous les établissements relevant de l’ARS ont été dotés. Y compris ceux qui étaient fermés, comme les Esat ou les IME », s’amuse par exemple un directeur francilien. Comme ses collègues, plutôt que de relever l’incohérence, il a réceptionné les livraisons sans broncher. Et redistribué les protections tant attendues.

Des ARS hyper présentes, des départements effacés ?

Face à des ARS hyper présentes, les conseils départementaux ont perdu quelques points de crédibilité. Non pas qu’ils aient fait défaut sur le plan opérationnel : les efforts colossaux déployés pour fournir les masques, faciliter le recours aux renforts de personnels, mettre leurs agents inoccupés à disposition des ESSMS, déployer des outils numériques, soutenir l’aide alimentaire, les campagnes de dépistage, sont salués. Mais s’agissant du pilotage, dans nombre de territoires, les départements ont semblé s’effacer derrière les ARS. Comme si l’origine sanitaire de la crise prenait le pas sur tout le reste, au point même de laisser la main sur des missions relevant de leurs compétences, comme la scolarisation ou l’accompagnement. Alors que refont surface avec une acuité accrue les débats sur la double tutelle des structures médico-sociales, le constat ne joue pas en la faveur des départements. « Nous avons toute légitimité pour porter encore plus fortement tout le périmètre, voire une partie du sanitaire qui pourrait nous être déléguée », a pourtant revendiqué Frédéric Bierry, le président de la commission Solidarité et affaires sociales de l’Assemblée des départements de France (ADF), lors de son audition parlementaire fin avril.

Faut-il s’attendre à de grandes manœuvres ? La crise a en tout cas montré l’inopérance d’une politique de santé qui néglige le domicile et positionne systématiquement le médico-social comme subsidiaire du sanitaire. Tout comme l’ampleur du drame vécu dans les Ehpad a rappelé l’urgence d’une véritable politique du vieillissement. Alors qu’on l’avait crue renvoyée sine die, la loi Grand âge et autonomie pourrait ainsi voir le jour à la faveur de la crise. « Les prochaines semaines seront décisives », affirme Jean-Pierre Riso. Après les rapports Fiat-Iborra, El Khomri, Libault, Dufeu-Schubert, « la volonté politique doit s’exprimer, elle emportera la réponse budgétaire », martèle Marie-Anne Montchamp. Qui prévient : « On ne peut pas imaginer qu’on nous recycle la loi d’avant ; l’approche administrativo-technique ne convient plus. Il nous faut un manifeste. »

Dossier réalisé par Clémence Dellangnol

Prévenir l’effondrement des équipes

Après des semaines de tension et de ressentis anxieux le risque d’effondrement des professionnels est réel. « En période de stress, le corps se met en état d’hypervigilance, c’est sa réponse physiologique ; après coup, il peut s’autoriser à lâcher, comme un effet boomerang », décrit Marie-Émilie Delmas, psychologue au Centre régional de psychotraumatisme de Bordeaux. Avec le retour à une activité moins intense, le risque est donc de voir proliférer les arrêts de travail. D’autant que l’expérience de la crise est favorable au traumatisme vicariant – l’usure par compassion. Ce qui fera la différence ? « L’effet de groupe et la résilience. » Beaucoup d’encadrants ont multiplié les gestes d’attention : achat de crèmes hydratantes pour les mains des aides à domicile, accueil le matin avec des viennoiseries, partage de messages positifs… Anecdotique ? « Pas du tout. C’est une marque d’intérêt pour le bien-être des équipes qui est perçue très positivement. » Mais cela ne suffit pas. « Les cadres doivent se montrer à l’écoute, fournir des espaces de parole, et si besoin orienter vers les plateformes de soutien ou une aide spécialisée, conseille la psychologue. Il peut y avoir de la rancœur. Cela fait partie des interactions normales. Mais les cadres devront les mettre en mots pour désamorcer les tensions et assurer la cohésion. »

« Un testing massif est nécessaire »

Gilles Nion, directeur général de l’association Altia (Yvelines) 

« Le 9 avril, nous avons réalisé un testing massif des salariés et résidents de l’association, par PCR et sérologie. C’était indispensable pour disposer d’un tableau clinique complet. Les premiers cas s’étaient déclarés dès le 11 mars ; après quoi, malgré le confinement en chambre et le port de masque par tous les professionnels, nous avons compté jusqu’à 50 malades sur un site, et déploré trois décès. La veille de la date prévue, l’ARS a autorisé les tests PCR, mais pas la sérologie. Le conseil d’administration a décidé de régler la facture (6 500 euros) sur les fonds propres de l’association, et nous avons transporté nous-mêmes les tubes à un laboratoire de Nancy. Les prélèvements ont révélé que 84 % des résidents avaient été en contact avec le Covid. Côté professionnels, seulement 18 % : comme quoi, nous avons eu raison de les équiper davantage que ce qui était prescrit. Ces résultats nous ont permis de déconfiner 17 résidents porteurs d’anticorps, d’écarter temporairement une salariée et d’isoler 9 personnes asymptomatiques. Sans cela, impossible d’atteindre cette finesse de décision. »

« Être attentif aux aidants familiaux »

Thierry Calvat, sociologue et cofondateur du Cercle Vulnérabilités et société

« La crise sanitaire et le confinement ont mis en tension le quotidien des aidants familiaux. Les établissements et services doivent être attentifs à leurs demandes de soutien. Attention : tous ne seront pas dans la même situation. Ceux confinés avec leur proche ont dû improviser, réaliser des gestes techniques, sans les aides habituelles. Ils ont besoin d’être soulagés. Mais mieux vaut privilégier un retour progressif des interventions, un accueil séquentiel, plutôt qu’une séparation rapide. Sinon, cela pourrait être vécu comme brutal. Les aidants des personnes restées en hébergement, en revanche, n’ont pas pu jouer leur rôle. Ils se sont souvent sentis impuissants et coupables. Il est possible que certains compensent en se surinvestissant, en étant démesurément présents… alors que les protocoles restreignent toujours les visites. Aux structures d’imaginer des espaces pour accueillir et canaliser cet élan, par exemple des groupes de parole entre aidants. »

Publié dans le magazine Direction[s] N° 187 - juin 2020






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