5e université du Syneas. De g. à dr. : Stéphane Racz et Philippe Launay (Syneas), Muriel Vidalenc Lejeune et Jean-Pierre Villerot (Fegapei)
« Rien ne serait plus mortifère que l’immobilisme. » C’est le message émis, dès septembre, par les deux organisations d’employeurs de la convention collective nationale du 15 mars 1966 (CCN 66), la Fédération nationale des associations gestionnaires au service des personnes handicapées et fragiles (Fegapei) et le Syndicat d’employeurs associatifs de l’action sociale et médico-sociale (Syneas), décidés à élaborer un nouvel espace conventionnel. Le signe d’un évident rapprochement politique (puis organisationnel ?) au service d’un projet « structurant » pour la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale (Bass), veulent croire les chambres patronales. Qui misent toujours sur la construction d’une convention collective unique étendue (CCUE).
Une boîte à outils pertinente
Presque cinquante ans après sa signature, la CCN 66 a visiblement fait son temps. « Elle n’est plus en phase avec les enjeux actuels du secteur, confirme Thierry Nouvel, directeur général de l’union Unapei. Outre les "nouveaux métiers" inexistants dans les classifications, émergent les thèmes de la progression à l’ancienneté, du manque de moyens pour maintenir les taux d’encadrement nécessaires ou du temps de travail. Tout cela pèse sur la qualité. » Et l’avalanche de réformes lancées en matière d’organisation territoriale, de droit des salariés ou de travail social, devraient encore sensiblement compliquer la tâche des gestionnaires. « Beaucoup d’adhérents se posent des questions sur leurs capacités à répondre aux besoins, résume à son tour Muriel Vidalenc Lejeune, directrice générale de la Fegapei. On ne peut accompagner intelligemment les changements en cours sans réinterroger nos organisations et nos classifications. » L’heure n’est donc plus aux tergiversations, encore moins aux retouches cosmétiques. « Nous voulons créer un nouveau cadre juridique moderne, ouvert et attractif, égrène Stéphane Racz, directeur général du Syneas. Une boîte à outils permettant aux associations d’assurer leurs missions d’intérêt général et dont le périmètre n’est pas un tabou : il doit intégrer nos adhérents issus du champ du handicap, comme ceux des centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), du secteur des personnes âgées… »
Un air de déjà vu
Le mot de « révision » n’est pas lâché. À dessein. Plus qu’une subtilité sémantique, un sujet hautement politique. Car en la matière, les partenaires sociaux de la CCN 66 n’en sont pas à leur coup d’essai : entre 2000 et 2010, les tentatives ont été aussi nombreuses que… vaines. Parmi les raisons de l’échec ? Les divergences patronales, n’oublie pas Jean-Marie Faure, secrétaire général adjoint de la CFTC. « Depuis la dissolution de la fédération des employeurs de la CCN 66 en 2007, les divisions étaient devenues récurrentes, se souvient-il. Ces différences de stratégies se sont retrouvées à la table des négociations, réduisant toute chance d’accord. » Cette fois, les organisations patronales l’assurent. Objectifs, méthodes, constats : le consensus est total.
Pour l’heure, les deux états-majors peaufinent leur plan d’action, qui devait être entériné par leurs conseils d’administration respectifs, fin novembre. Aux commandes des travaux ? Un comité stratégique constituera l’instance de validation politique des hypothèses opérationnelles élaborées par les équipes communes de négociateurs, avec l’appui technique de prestataires extérieurs. Des scénarios testés au fil de l’eau par des adhérents qui feront remonter leurs attentes. Une essentielle contribution du terrain, via la participation des délégations régionales placées en première ligne. « Les gestionnaires sont confrontés à des problématiques concrètes, comme la gestion des jours de congé ou les faibles rémunérations des jeunes professionnels, note Gérard Sanvicens, délégué régional du Syneas. Même s’ils ne sont pas experts en construction de CCN, leur mobilisation sera une des conditions de la réussite. »
Une fois ficelé et validé, le projet sera déposé sur la table en vue d’« une obligation de résultats » fixée au début 2017, au plus tard. Nul besoin de lire entre les lignes : la dénonciation n’est pas exclue. « Il s’agit juste d’un outil au service d’une finalité, tempère Philippe Launay, président du Syneas. Il ne doit être un recours que lorsque le dialogue n’est plus possible. » De quoi faire bondir la CGT : « Les employeurs pourraient être tentés d’emprunter les mêmes méthodes et voies que la fédération Fehap avec la CCN du 31 octobre 1951 […]. Ce serait une grave erreur… »
Turbulences en vue ?
L’annonce est parvenue jusque dans les établissements, pour lesquels la période qui s’ouvre pourrait rimer avec turbulences. « Tous les chantiers patronaux s’alignent sur le modèle européen du travail social, nouvelle version de la casse de nos métiers, s’agace André Giral, secrétaire fédéral de SUD Santé sociaux. Ils n’ont visiblement toujours pas pris la mesure du ras le bol des salariés. »« Outre la réalité du dialogue social déjà difficile sur le terrain, le contexte économique ne laissera que peu de marges de manœuvre aux employeurs », s’inquiète à son tour Gérard Sanvicens. Une analyse partagée dans les rangs syndicaux. « Travailler à un nouveau texte, pourquoi pas ?, avance prudent Jean-Marie Faure. Mais aucune enveloppe financière n’a été évoquée : or, sans cela les négociations achopperont. »
D’où l’intérêt d’associer tous les acteurs concernés (Assemblée des départements de France – ADF, ministères sociaux…) au processus. Message reçu. « L’un des scénarios construits devra au moins l’être à coût égal par rapport à 2014 (en euros constants), suggère Jean-Pierre Hardy, directeur délégué aux solidarités et au développement social de l'ADF. Les surcoûts des premières années liés aux revalorisations de bas de grilles devraient être étalés sur cinq ans et financés par les glissements vieillesse technicité (GVT) négatifs dus aux départs en retraite massifs des prochaines années. Sans compter une possible réflexion sur les temps de travail conventionnels issus des différentes annexes (autour de 1400 heures par an, contre 1607 heures pour le temps de travail légal). » Pas n’importe comment, prévient Bertrand Laisné, secrétaire fédéral de la CFDT : « Cette question est posée de façon récurrente par les employeurs et les financeurs. Cela ne pourra se faire sans réflexion préalable sur les raisons de ces congés supplémentaires et sur leurs différents types. » Déjà de premiers éléments de négociation ?
Un plan B
En réalité, si les deux organisations ont opté pour un tel chantier, c’est d’abord faute d’avoir obtenu un consensus sur le périmètre d'une CCUE au sein du collège employeurs Unifed… Dont les composantes restent invitées à prendre le train en marche. « Nous avons décidé de passer par une étape intermédiaire pour jeter les bases de ce cadre juridique commun, analyse Stéphane Racz. Il reste notre ambition pour la branche, avec la volonté d’attirer d’autres énergies. » La CCUE, le graal au service d’un projet politique dont la Bass doit urgemment se doter pour assurer son avenir… Échéance incontournable ? Le 1er janvier 2017, date d’entrée en vigueur des règles de représentativité patronale dans les branches, qui ont toutes intérêt, d’ici là, à disposer d'un texte unique, a fait savoir la Direction générale du travail. C’est dans ce contexte que des travaux de recomposition ont été lancés en septembre par le gouvernement. Ils devraient déboucher, en 2015, sur l’examen des branches dites atones. Avant autopsie ? En clair, a résumé le ministre François Rebsamen : « Une branche morte, ce sont autant […] d’employeurs qui échouent à se donner des règles commune dans un secteur donné. »
Gladys Lepasteur
Unifed à l’agonie ?
Et de quatre. L’adhésion de la fédération Unicancer à l’union d’employeurs Udes a été entérinée le 20 novembre : elle rejoint donc le Syneas, la Fegapei et la Croix-Rouge sur les bancs des organisations associatives intervenant dans le champ des structures sanitaires, sociales et médico-sociales. En revanche, pour la fédération Fehap, pas question de « se fondre dans un ensemble regroupant la totalité de l’économie sociale et solidaire (ESS), qui dissoudrait, de fait, [le secteur]», stipule son projet stratégique. Un nouveau point de divergence entre les composantes d'Unifed, dont l’avenir semble plus que jamais compromis. Pour l’heure, ce sont les modalités de fonctionnement du collège patronal, « inadaptées et dépassées », qui sont remises en cause par Philippe Launay, président du Syneas : le droit de veto de chaque membre et le principe de la présidence tournante sont dans le viseur.
Repères
- Avant début 2017 : finalisation des travaux
- Jean-Pierre Villerot, administrateur de la Fegapei : « Avant de parler de dénonciation, nous devons parvenir à construire un projet acceptable par tous. »
- Au moins 10 200 établissements et services, et leurs quelque 325 000 salariés, seront couverts par le nouveau projet conventionnel de la Fegapei et du Syneas.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 126 - décembre 2014