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Politique salariale
2017, le point de rupture ?

22/02/2017

Cette année encore, les structures du privé non lucratif disposeront de peu de marges de manœuvre pour négocier des revalorisations de rémunération significatives. Les syndicats invitent les salariés à se saisir de la fenêtre de tir que constitue la période électorale pour se faire entendre.

« Jusque-là, la question des conditions de travail constituait notre principal cheval de bataille, avant celle des salaires, hormis dans les secteurs sinistrés comme l’aide à domicile, reconnaît Bruno Lamy, secrétaire national de la CFDT Santé sociaux. Mais aujourd’hui, le sujet est devenu central : la rémunération doit être un marqueur fort de l’intérêt porté aux salariés. » La coupe semble donc pleine pour les personnels des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) du champ privé non lucratif, excédés par des salaires jugés en berne depuis trop longtemps. Et le maigre taux d’évolution de la masse salariale annoncé début février laisse déjà augurer d’une année 2017 sans réelle marge de manœuvre. Plusieurs syndicats appelaient le 7 mars les professionnels à mettre à profit la période électorale pour « faire du bruit » lors d’une mobilisation à Paris.

Peau de chagrin

La « Sécu est sauvée », s’est en substance félicitée en septembre dernier la ministre Marisol Touraine. Pour autant, pas d’illusion : les ESSMS associatifs devront continuer à se serrer la ceinture, et leurs personnels avec. La revalorisation des salaires est cette année encore verrouillée à +1%, a indiqué le 3 février la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Appliqué aux principales conventions collectives nationales (CCN) [1], l’effort (évalué à 202 millions d’euros) devra aussi intégrer les taux de glissement-vieillesse-technicité (GVT), et surtout les éventuels « effets reports » de textes signés en 2016. Une double peine incompréhensible pour Dorothée Bedok, directrice du pôle Relations sociales de Nexem : « Soit nous sommes dans une logique annuelle et on ne peut nous opposer un quelconque effet report ; soit elle est pluriannuelle, et auquel cas, quid des enveloppes partiellement consommées antérieurement dans la CCN de 1966 [CCN 66] ? » Car la chambre patronale le sait, elle qui avait milité pour une augmentation de la valeur du point au moins comparable à ce qu’ont récemment obtenu les personnels publics [2] et pour un relèvement des coefficients de la CCN immergés sous le Smic : la marge de négociation sera réduite. La CCN 66 devra-t-elle se contenter de la seule revalorisation, décidée unilatéralement fin 2016 par les employeurs (en cours d’instruction) ? « Ces deux centimes supplémentaires n’y changeront rien, estime Xavier Guillot, secrétaire fédéral de l’Ufas-CGT. On assiste à une casse programmée des CCN du secteur, où les négociations peinent à avancer. Une réévaluation de 20 à 25 % des salaires permettrait juste de compenser la perte de pouvoir d’achat subie depuis 1999. »

Dans la branche de l’aide à domicile (BAD), 2017 s’annonce tout aussi délicate. Toujours confrontés à la bombe à retardement que constitue le non-remboursement total des frais professionnels [3], les partenaires sociaux s’impatientent après le report d’examen en décembre de leur accord sur la valeur du point [4]. « Nous avions pourtant insisté sur l’urgence de ce texte à effet rétroactif, rappelle Manuella Pinto, responsable des relations sociales à l’union nationale UNA. Une application tardive serait source de difficultés pour les services. » L’instruction du texte était promise pour le 23 février.

Demain, on rase gratis ?

L’année avait pourtant bien commencé, avec l’obtention du crédit d’impôt de taxe sur les salaires - CITS [5]. Une bouffée d’oxygène dont l’utilisation sera scrutée dans chaque structure, prévient le camp syndical qui compte bien la voir allouée à la politique salariale. À la fédération d’employeurs Fehap [6], la décision est prise : « Une partie y sera bien consacrée dans la CCN 51, sous réserve d’obtenir des pouvoirs publics les garanties nécessaires, détaille Sylvie Amzaleg, directrice des relations du travail. Outre des mesures pour les nouveaux métiers, un avenant en cours de négociation comportera un volet consacré à la valeur du point et un autre à des mesures catégorielles, notamment en faveur des premiers niveaux de rémunération. »

D’autant que le gouvernement s’y est maintes fois engagé : il n’y aura pas de « reprise » dans les budgets. Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent, ironise déjà le secrétaire général de la Fnas-FO, Pascal Corbex : « La parole de l’État ne concerne pas les départements, pour qui la pression budgétaire est permanente. Or, ce sont d’abord eux qui détermineront les tarifs. » Réponse des principaux intéressés : « Sous réserve d’être bien négocié, en particulier dans le cadre des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM), ce dispositif doit permettre aux collectivités et à leurs partenaires de retrouver des marges de manœuvre, promeut Jean-Michel Rapinat, directeur délégué aux politiques sociales à l’Assemblée des départements de France (ADF). Mais, on le sait, les temps sont difficiles : dans les cas les plus critiques, il permettra au mieux de passer ce moment compliqué. » Message reçu à l’Union intersyndicale Unisss. « Le CITS rendra surtout de la souplesse aux organisations, prédit son président Jean-Michel Bec. En particulier dans cette période de restructuration, où la réforme tarifaire du secteur du handicap entraînera sans doute une modification des organigrammes et une réduction des budgets. »

Précarisation rampante

Au-delà, c’est l’attractivité du secteur qui se joue. « Pour la première fois, en 2017, une de nos grilles est en-dessous du Smic, reprend Jean-Michel Bec. Sans compter que de plus en plus de jeunes professionnels sont aujourd’hui contraints de prendre un deuxième boulot. La précarisation du secteur, où les plans sociaux se multiplient, est réelle. » Ce qui pour Nexem légitime plus que jamais son projet conventionnel, en passe d’entrer dans la phase de négociation d’un accord-cadre. Avant le dossier structurant – et toujours clivant – des classifications… et des rémunérations ? « Nous sommes parvenus au bout d’un système, analyse Dorothée Bedok. Nous ne pourrons nous faire entendre et nous en sortir qu’en étant regroupés. » Suffisant pour envisager un front commun des partenaires sociaux qui, autour de la table des paritaires, affichent la même inquiétude ? « Les employeurs versent des larmes de crocodile, balaie Mathieu Piotrowski, membre de la commission exécutive de l’Ufas-CGT. Ils s’engouffrent dans la politique d’austérité menée par l’État, en appliquant les méthodes managériales du lucratif et en faisant du chantage à l’emploi. » 

Pourtant, le temps presse, et les centrales syndicales sont bien décidées à donner de la visibilité aux mouvements locaux à la veille des présidentielles. « Nous atteignons un point de rupture, estime Pascal Corbex. La question de l’éthique professionnelle et des moyens est posée. »« Les décideurs doivent comprendre que la succession d’annonces salariales quasi nulles est un message grave lancé aux usagers et aux professionnels, prévient à son tour Bruno Lamy. Le risque est de voir demain ces citoyens poussés vers des courants politiques extrémistes, prêts à absorber toute cette colère qui ne trouve pas de réponse ailleurs. »


L’activité d’agrément en 2016 

L’an dernier, 544 textes ont été soumis à l’agrément (en commission nationale – CNA – ou dans le cadre de la procédure « Silence vaut acceptation »). Parmi les 17 accords nationaux validés ? La mise en conformité des régimes de complémentaire santé ou de prévoyance dans la CCN 66 ou à la Croix-Rouge française notamment, l’organisation du temps de travail dans l’aide à domicile, la réévaluation du minimum conventionnel dans la CCN 51 ou encore la revalorisation de la valeur du point dans la CCN 65. Du côté des avenants locaux, qui en 2017 bénéficieront de la dématérialisation de la procédure lancée par la DGCS, les 170 textes agréés ont principalement porté sur la prévoyance et la complémentaire santé (48 %). L’activité de la CNA devrait, cette année encore, rester soutenue, compte tenu notamment de l’impact sur la négociation collective de l’entrée en vigueur de la loi Travail, envisage l’administration.

[1] Celles de la Bass, de l’Unisss et de la BAD.

[2] Lire dans ce numéro p. 8

[3] Seul le paiement des séquences consécutives de travail est prévu par la convention collective de la branche.

[4] Fixée à 5,38 euros au 1er août 2016.

[5] Lire Direction[s] n° 150, p. 9

[6] La demande unilatérale revalorisant le minimum conventionnel est en cours d’agrément (1485 euros au 1er  janvier 2017)

Gladys Lepasteur

Publié dans le magazine Direction[s] N° 151 - mars 2017






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