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Qualité de vie au travail : de la théorie à la pratique

08/02/2017

La qualité de vie au travail dans le secteur vient de faire l’objet d’une stratégie nationale lancée par le ministère. Les employeurs doivent aussi négocier annuellement sur le sujet. Mots d’ordre pour une démarche constructive ? Participation des équipes, planification et créativité.

Introduite par l’accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juin 2013, puis relayée en partie par la loi dite Rebsamen du 17 août 2015, enfin reprise par le plan Santé au travail 2016-2020, la qualité de vie au travail (QVT) débarque dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS). Sans compter la récente stratégie nationale lancée en décembre dernier par la ministre Marisol Touraine au bénéfice des personnels du champ de la santé et du médico-social [1]. Loin d’être un nouveau gadget ou une mode passagère, la recherche d’amélioration de la QVT constitue une authentique proposition de changement paradigmatique pour le management stratégique des ESSMS. Il s’agit de transformer le travail pour le mettre au service du développement des personnels et des structures. La qualité de vie au travail des professionnels nourrissant celle des services rendus aux bénéficiaires et au territoire. Et inversement. À quelles conditions passer de l’utopie à la réalité ?

1 Cinq conditions préalables

Relevant de logiques différentes, ces dispositions sont indispensables au succès de l’opération. Au point qu’il est vain de démarrer trop vite si ces aspects ne sont pas d’abord consolidés.

● Une inscription dans la stratégie associative ou gestionnaire

L’ANI l’indique bien : la QVT doit être placée « au cœur des enjeux stratégiques de l’établissement ». Cela suppose l’accord des gouvernants (association, présidence…) mais aussi leur engagement éclairé. Si elle atteint ses objectifs de transformation organisationnelle, le changement ne pourra pas s’appuyer sur un simple assentiment passif du conseil d'administration (CA), et à l’inverse celui-ci ne devra pas être en possibilité de prétexter qu’il ne savait pas. Ce qui ne signifie aucunement que le CA doit s’investir dans la démarche, dont la mise en œuvre et le management relèvent du directeur général ou du directeur d’établissement, avec son encadrement. Mais si la gouvernance n’est pas favorable au principe, mieux vaut ne pas prendre le risque d’être désavoué ou de décevoir les équipes. Il en va des directions comme des partenaires sociaux. Il est donc urgent que celles-ci (de même les instances représentatives) reçoivent de leurs organisations toutes les informations sur la question.

Une démarche 100 % participative

Autre principe élémentaire : « Personne ne sait à la place des autres ce qui est bon pour eux ». Aucun directeur ou syndicat ne peut prétendre faire le bonheur des salariés, thème subjectif s’il en est. Alors comment faire ? La réponse est simple : leur demander ! Sans confondre consultation et participation, ni participation et autogestion. L’expression des professionnels n’est pas comparable aux réclamations émanant du personnel, aux revendications ou aux remontées de propositions, dont la pertinence serait laissée à l’appréciation du management. La participation signifie que les salariés sont appelés à exprimer, mais aussi à partager la recherche de solutions réalistes, et associés à leur mise en œuvre.
Ceci requiert une acceptation du changement, tant de la part du management dans l’aménagement de son style que de celle des syndicats dans le questionnement du sens de leur représentation. Il ne s’agit pas de confier les clés de la maison aux personnels, ni de renoncer à la distribution des rôles : le management continue à manager, les décisions sont assumées par la direction, et de leur côté les syndicats restent les seuls interlocuteurs qualifiés, à la fois dans les négociations annuelles, le comanagement général du dispositif QVT et la signature de l’accord final d’entreprise.

Une approche systémique interactive

L’efficience est de rigueur : choisir d’améliorer une relation de fonctionnalité, qui va se répercuter en profondeur sur toute la structure (par exemple la révision des procédures d’information ou l’implication des personnels dans la réflexion budgétaire), plutôt qu’une solution répondant à une situation apparente mais qui aurait des conséquences négatives sur d’autres aspects (ainsi un aménagement social qui endetterait la gestion ou une économie qui entraverait la mission). C’est bien dans la concertation et les interactions (comité de pilotage – Copil, débats sur le travail), et non dans la décision unilatérale que les ciblages et les actions de la QVT seront définis.

L’innovation en matière de négociation sociale

Tout s’organise autour de l’acceptation des partenaires sociaux de mettre en place une nouvelle forme de négociation. C'est-à-dire de passer du rapport de force au rapport de coopération (même s’il s’agit d’une  « coopération conflictuelle » selon le bon mot du psychologue du travail Yves Clot). Soit de céder sur le terrain de l’appropriation du pouvoir pour construire un autre terrain d’enjeux, celui de la coconstruction démocratique d’une nouvelle réalité organisationnelle, qu’aucun des deux partenaires n’aurait pu imaginer seul. Ce que l’on peut résumer par le célèbre axiome systémique : 1 + 1 = 3. Condition que l’on peut difficilement rencontrer dans un contexte de tension sociale aiguë ou de stratégie d’instrumentalisation compétitive.

Le souci de l’inclusion et de l’égalité

Deux principes indissolubles : d’une part, le pragmatisme et l’économie de moyens, de l’autre, la lutte contre toutes les discriminations. Deux notions liées par celle de l’inclusion, selon laquelle on cherche à intégrer positivement toutes les formes de contraintes et de différences. Concrètement : 

a) on inclut comme parties intégrantes de la démarche QVT tous les aspects dynamiques des projets en cours (de type « démarche qualité, « pénibilité » ou « prévention des risques psychosociaux ») : Copil conjoint, utilisation des données actuelles satisfaisantes, conjonction des plans d’action…

b) on met en évidence, comme cibles d’action, toutes les formes d’inégalités et d’injustices au travail. Les textes insistent notamment sur l’égalité hommes-femmes, mais pls largement sur l’ensemble des discriminations relatives à tous les salariés dans tous les aspects de la vie au travail. 

2 Une méthodologie rigoureuse de projet

Il faut insister sur la nécessité de suivre une méthodologie stricte dans le déroulement de ce qui doit être abordé comme une véritable démarche de projet global. Une formation devrait être systématique pour tous les acteurs engagés, au premier rang desquels les partenaires sociaux et le Copil. Quatre axes majeurs sont à retenir.

L’organisation du pilotage de la démarche, loin de n’être qu'une simple formalité technique

Le Copil n’est pas seulement un organe de coordination. Dans toute la durée du processus beaucoup plus que l’aboutissement (il n’y a pas de référentiel à atteindre mais des améliorations continues), le comité s’investira, prendra des décisions, choisira des modalités du faire faire, évaluera… Ses membres interviendront de façon déterminante dans au moins trois phases essentielles : la détermination du « périmètre » institutionnel dans lequel les améliorations seront déterminées et mises en œuvre, la définition et le suivi des méthodes diagnostiques, et surtout la décision des actions et l’écriture du plan constituant la colonne vertébrale de l’accord final.

La réalisation du diagnostic partagé à mener attentivement

Le passage par un diagnostic est consubstantiel à la démarche. Les techniques généralement employées ? Réunions, questionnaires, entretiens, analyses documentaires… Sans entrer dans la technicité ou l’opportunité de chacune, deux recommandations sont à suivre.

a) chacun de ces outils, pour être parlant, utile et exprimer réellement la réalité du terrain, doit faire l’objet d’une attention technique sérieuse. Les effets inductifs ou manipulatoires, les artefacts, sont potentiellement trop nombreux pour ne pas se garantir d’un avis expert, même ponctuel.

b) le diagnostic doit être mené au plus près du terrain. Il est totalement exclu d’appliquer un outil standard, comme un questionnaire, s’il n’est pas relié à l’objet à analyser et adapté précisément aux mesures de l’établissement. Cela suppose donc un travail de re-création concerté au sein du Copil.

L’appropriation du diagnostic par ses membres commence donc par l’outillage. Et c'est d’autant plus important que les préconisations devront refléter la situation des personnes et de l’organisation.

Un plan d’action innovant

C'est l’aboutissement de la démarche d’investigation et de planification, et le début de la réalisation des améliorations socio-organisationnelles. Il demande le plus grand soin de la part du Copil, qui y consacre plusieurs réunions. Les principes à observer : énoncé des actions suggérées par le personnel ou émanant du Copil, puis sélection selon des critères fixés par le Copil en matière d’efficience (rapport des actions aux effets déployés), de faisabilité (réalisme, coût, accessibilité) et d’urgence (gravité des situations, liens avec des souffrances au travail ou des dysqualités sérieuses).
La plus grande créativité est de rigueur, jusqu’à accepter, sur les domaines qui concernent le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), des « dispositions dérogatoires ». La profondeur de la transformation culturelle du modèle organisationnel dépend de l’audace manifestée par les partenaires au profit de tous.

Autre préconisation ? Ne retenir que les actions qui peuvent faire l’objet d’évaluations argumentées, et autant que possible objectivables. Les actions sont détaillées dans leur contenu et leur mise en œuvre, les pilotes étant les professionnels qui ont manifesté le souhait de s’impliquer, ou sollicités par le Copil. Dont les membres soutiennent les actions, et apportent tous les moyens techniques requis, mais en s’en tenant à un rôle de coordination, suivi, évaluation, laissant aux personnels les plus grandes latitude et autonomie possible. Ce plan d’action, programmé dans le temps de l’accord QVT, limité par les textes à trois ans d’expérimentations, constitue le socle fondamental de l’accord à signer par les partenaires sociaux.

Les évaluations et le suivi, des temps incontournables

Pour que la démarche porte ses fruits, les actions du plan doivent être étroitement suivies, aidées s’il le faut, le cas échéant ajustées. Le pilote de chacune est en première ligne, mais le Copil reste l’organe de référence. Le suivi du plan peut être effectué, par exemple, sous forme de réunions trimestrielles du Copil, faisant suite à celles des salariés, portant sur les actions en cours ou achevées. Quel que soit le modèle adopté, le Copil doit être conscient que la réalité de l’amélioration de la QVT sur le terrain repose sur celles objectives du travail, de sa qualité, et de l’organisation, assorties d’évolutions favorables du sentiment de bien-être au travail des salariés.

 

[1] Lire Direction[s] n° 149, p. 8

Jean-Philippe Toutut, docteur en psychosociologie, consultant et formateur

Une démarche aux multiples bénéfices

Bien menée, et de bout en bout, par des partenaires sociaux motivés et constants, une démarche d’amélioration de la QVT transforme la façon dont le travail est effectué dans un ESSMS, mais aussi l’état d’esprit des professionnels et la qualité des prestations. Son maintien dans le temps est de nature à modifier en profondeur les représentations et les conditions de chacun au travail, les relations et la compréhension des professionnels entre eux, le sens donné aux missions et aux relations avec les bénéficiaires, les dispositifs et le fonctionnement de l’organisation, et en définitive la pertinence de l’établissement dans son environnement. Comment ? Dans « l’élargissement des points de vue » sur le travail que génère la démarche systémique inclusive. Au-delà d’un simple appel à considérer les vœux du personnel, toute démarche de QVT inaugure une redéfinition des préoccupations institutionnelles. Elle place la structure sur une nouvelle organisation, elle débloque des possibilités nouvelles d’innovation dans tous les domaines, et au passage elle entraîne les partenaires sociaux à réviser leurs positionnements traditionnels.

 

En savoir plus
Analyser les données sociales, kit de l’Anact pour aider les employeurs dans leur démarche de QVT, à télécharger sur www.anact.fr
Management d’équipes et qualité de vie au travail, Les Cahiers de l’actif n° 484-487, sept.-déc. 2016

Publié dans le magazine Direction[s] N° 150 - février 2017






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