Un jour, votre supérieur s’apercevra qu’il aurait dû recruter quelqu’un d’autre. Votre conjoint se rendra compte qu’il est trop bien pour vous… Si l’une de ces ruminations vous a déjà traversé l’esprit, peut-être souffrez-vous du syndrome de l’imposteur. Théorisé en 1978 par les psychologues américaines Pauline Rose Clance et Suzanne Imes, il se définit par l’impression de duper son entourage et la crainte d’être démasqué. Et se fonde sur une erreur de raisonnement : au lieu d’imputer son succès à ses capacités, « l’imposteur » l’attribue aux circonstances ou à la chance… Quant à l’échec, il serait a contrario la preuve qu’on ne vaut rien. Un phénomène qui concernerait jusqu’à 70 % de la population [1].
Des facteurs et signes multiples
Les femmes étant souvent frappées d’une présomption d’incompétence – stéréotype oblige –, on peut penser que celles qui en souffrent redoutent, plus que les hommes, des situations d’évaluation propres à révéler la mystification. Or, sous pression, les hommes dans ce cas sont davantage affectés dans leurs performances [2].
D’où vient ce syndrome ? « D’une part, des facteurs endogènes renvoyant à l’intime, à
l’estime de soi, à des fragilités narcissiques, indépendantes de sa fonction. Dans cette sphère, le discours que l’on peut se tenir est "Je ne mérite pas mon statut" ou "Je ne suis pas à la hauteur" »…, analyse Philippe Gaudon, coach et délégué général du cabinet Efects. D’autre part, des facteurs exogènes liés à l’environnement. Ici, la croyance type est "Les équipes refusent mon autorité" ou "Je ne suis pas accepté "… L’interaction entre ces catégories favorisera l’apparition et le développement de ce sentiment et ses diverses expressions. » Ces dernières peuvent être de l’ordre de l’intime (anxiété, dépression…). « Mais aussi plus extériorisées : irritabilité, autoritarisme, perte de créativité, repli sur soi ou encore adoption de conduites d’échec, poursuit Philippe Gaudon. Les signes se manifestent lorsqu’on entreprend une action dont on sait inconsciemment qu’elle ne fonctionnera pas, car elle se heurtera à des rejets essentiellement culturels. Pour un directeur, ce peut être proposer un accord revenant sur des acquis sociaux dans une entité à forte représentation syndicale. C’est une façon de "valider" son échec. »
Ne pas se renier
Un syndrome auquel chacun peut être exposé, et qui peut être avivé à certains moments clés d’une carrière : lors d’une bifurcation professionnelle, d’une prise de poste, d’une bascule de gouvernance, pouvant engendrer doutes et fragilités… « À chaque étape de son parcours, on peut y être confronté : suis-je à ma place ? Si l’on se sent légitime immédiatement, c’en est presque inquiétant, nuance Élisabeth Liotard, directrice de Viffil SOS Femmes, dans le Rhône. Ne connaissant pas le sujet des violences conjugales en arrivant dans l’association, je me suis appuyée sur mon adjointe et les équipes. »« Issu du secteur commercial, j’ai dit à mes collaborateurs que j’avais tout à apprendre d’eux », abonde Patrick Colomina, directeur général de Solincité (Lot-et-Garonne). « Il faut un temps d’immersion pour intégrer les codes et valeurs de l’environnement professionnel, si ceux-ci ne sont pas en opposition fondamentale avec ce que l’on est », reprend Philippe Gaudon. Et si c’est le cas, il vaut mieux songer au départ.
« Ce qui peut se révéler positif à terme. Il est préférable d’être en phase avec la structure à laquelle on collabore. »« Après un changement de direction générale dans une grande institution, il m’a été dit que j’étais trop bienveillante, témoigne Élisabeth Liotard. J’ai compris que je n’y avais plus ma place, je suis partie. Cela m’a enseigné qu’il faut adhérer au projet de l’organisation. »
[1] P. R. Clance, « Le complexe d’imposture », Flammarion, 1986
[2] R. Badawy et al, « Are all impostors created equal ? Exploring gender differences in the impostor phenomenon-performance link », Personality and Individual Differences, vol. 31, avril 2018
Justine Canonne
« J’ai trouvé ma place »
Claire Le Men, illustratrice [1]
« Je dessine depuis l’enfance. Quand j’ai débuté mon internat en psychiatrie dans une unité pour malades difficiles, j’ai pensé qu’il y avait matière à réaliser une BD sur le sujet, mais je ne m’étais jamais dit que j’arrêterais la médecine pour cela. Après un stage particulièrement lourd, j’ai fait une pause, pris du recul et du temps pour dessiner l’album que j’avais en tête. J’avais la sensation de ne pas être à ma place en médecine. Alors que j’étais moins légitime à mes débuts, je me sentais plus fière de mon travail d’illustratrice. Le titre du livre a été une façon de généraliser mon expérience, car je me suis rendu compte que le syndrome de l’imposteur est assez fréquent. »
[1] Auteure du Syndrome de l’imposteur. Parcours d’une interne en psychiatrie, La Découverte, 2019.
Aller plus loin
« Traiter la dépréciation de soi. Le syndrome de l’imposteur » et « Cessez de vous déprécier ! Se libérer du syndrome de l’imposteur », Kevin Chassangre et Stacey Callahan, Dunod.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 188 - juillet 2020