Comment faire vivre la flamme de l’engagement au poste de directeur, face aux contraintes administratives, financières, managériales ? La fonction transforme-t-elle ce besoin d'implication initial de la jeunesse ? Comment être et rester engagé ? Dans le secteur médico-social, la réponse peut paraître évidente : il s’agit d’être garant du projet des personnes accompagnées, de faire vivre le projet associatif, de s’assurer du bien-être du personnel. Simple, en apparence. Vraiment ? Animateur de colonies de vacances à 17 ans, directeur de centre aéré à 21 ans, Jacques Serpette, aujourd’hui directeur général de l’association des amis et parents de personnes handicapées mentales Adapei 27, dans l'Eure, a découvert le travail social via l’éducation populaire : « Les adolescents étaient issus de toutes les catégories sociales, il y avait des enfants en situation de handicap, cette mixité était intéressante. » Après un début de carrière dans le champ de l'éducation populaire à l'UFCV, il devient directeur d’établissement et service d'aide par le travail (Esat) en Normandie. « Le cœur de l’engagement, c’est le projet et l’action éducative et pédagogique, souligne-t-il. Très tôt dans mon parcours, je disais aux directeurs que les histoires de comptabilité et de gestion, c’était de la quincaillerie. Aujourd’hui encore, lors des recrutements, je ne m’intéresse pas à quelqu’un qui me parle process qualité et tableaux excel. »
Trouver du sens
Est-ce compatible avec le cadre administratif, la lourdeur des normes, des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) ? « Bien sûr, car il nous faut des outils pour avancer. Parfois c’est pénible, cela représente des dizaines de réunions, mais ce n’est pas plombant, assure-t-il. À de multiples moments, nous pouvons trouver du sens. Et s’arrêter de pédaler tous les cinq ans pour voir où nous en sommes, c’est important. » Le plus complexe selon lui reste le management : « C’est à la fois passionnant et usant, car l’humain est complexe. Il faut réussir à faire travailler les gens dans de bonnes conditions, entretenir leur motivation. Ce n’est pas toujours simple, car il faut un patron et la lutte des classes est encore présente. »
Un sujet que connaît bien Philippe Fournier, éducateur spécialisé, longtemps engagé puis salarié à la CGT, aujourd’hui directeur d’un dispositif d'institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Ditep) dans le Var, géré par l’association L’Essor. « Il ne s’agissait pas tant de lutte de classe que de lutte pour l’amélioration des prises en charge et de bonne utilisation de l’argent public, réagit-il. Quand je vois encore aujourd’hui la gabegie de certains dirigeants associatifs, je constate que cette lutte n’est pas finie. » Lui qui ne se considère pas comme patron, mais comme « unsalarié d’une association apprenante, militante et ouverte », garde sa fibre syndicale dans l’attention aux personnels. « Le respect de la convention collective, la justice et l’équité, c’est important. Si les professionnels sont heureux dans l’établissement, ils seront heureux de s’occuper des enfants, c’est aussi simple que cela », analyse-t-il. Il regrette aussi la tendance de certains dirigeants du secteur à ne parler « que de gestion ». « Moi, j’ai des phares dans mon travail, comme Fernand Deligny. Où sont aujourd’hui, les Deligny ? » s’interroge-t-il.
Résister
Côté gestion et rentabilité, Dominique Driollet en connaît un rayon : directeur d’une chaîne de restaurant de la grande distribution pendant douze ans, il dirige aujourd’hui un institut médico-éducatif (IME) et un service d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) au sein de l’association Le Nid Basque, à Anglet (Pyrénées-Atlantiques). Autant dire le grand écart. « Ma famille avait une fibre sociale, et dans la grande distribution, je me suis beaucoup occupé d’inclusion avec des jeunes en rupture, se souvient-il. Il dirige d’abord un Esat, se forme, passe son certificat d'aptitude aux fonctions de directeur Cafdes, fait une analyse : « À part le faire exprès, il n’y a aucune raison d’avoir des difficultés à gérer nos institutions. La difficulté est ailleurs, dans le "prendre soin" de l’équipe, le respect du projet des usagers, la défense du sens de notre action, la résistance aux autorités de tutelle quand des décisions sont inadaptées aux personnes accompagnées. » Mais être « en cohérence avec ses convictions » impose une discipline : « Il faut les incarner,être droit tous les jours. »
Formée à la gestion hospitalière, avec un début de carrière dans une mutuelle puis à la tête d’une conserverie, Nathalie Gyomlai n’était pas prédestinée à travailler dans le secteur. Directrice du pôle médico-social adultes de l’association Traits d’union, à Fourmies (Nord), elle a pourtant aujourd’hui le sentiment de travailler « pour une cause juste ». Devenir vice-présidente de l’Association nationale des directeurs et cadres d'Esat (Andicat), où elle défend le rôle des établissements dans la valorisation des personnes « par le travail, pour qu’ils accèdent plus facilement à leurs droits fondamentaux et à la citoyenneté », constituait une suite logique. Une action bénévole et chronophage, mais « nécessaire pour avancer » au niveau national. « Afin que lehandicap ne définisse pas entièrement les personnes accompagnées. » Un engagement complet, « absolument essentiel, qui donne du sens à ma vie et qui est un carburant aussi », conclut-elle.
Laetitia Delhon
Publié dans le magazine Direction[s] N° 190 - octobre 2020