« Remarquable », « excellent », « courageux », « ingénieux », « exigeant »… Les louanges ont plu sur le rapport [1] rendu par le conseiller d’État Denis Piveteau à la ministre Marisol Touraine et à la secrétaire d’État Ségolène Neuville le 20 juin dernier. Associées à son élaboration, les principales associations et fédérations du secteur du handicap ont salué un travail placé sous le signe de la concertation… et surtout l'ambition de ses 131 propositions. « Denis Piveteau était déterminé à ne pas signer un rapport à l’eau tiède : pari réussi ! », s’enthousiasme Jean-Louis Garcia, président de la Fédération des Associations pour adultes et jeunes handicapés (Apajh).
Missionné en décembre 2013, dans la foulée de l’affaire Amélie Loquet [2], Denis Piveteau l’affirme noir sur blanc : « L’objectif du zéro sans solution est atteignable. » Et écarte au passage la pertinence d’un dispositif spécifique aux situations critiques (lire l’encadré), au profit d’une refonte globale du système actuel, trop rigide. « Ce rapport propose un changement de paradigme. Il éclaire la notion de parcours et invite à ne plus raisonner en termes de places, mais de solutions correspondant au projet de vie des personnes », juge Muriel Vidalenc-Le Jeune, directrice générale de la fédération d’employeurs Fegapei. Mais comment y parvenir ? Et dans quelle mesure les pistes avancées sont-elles réalisables ?
Le rôle pivot des MDPH
Piliers de l’ambitieuse réforme présentée : les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), dont la responsabilité d’« assembleurs » est affirmée. Outre qu’elles doivent « avoir l’appui sans faille » des agences régionales de santé (ARS) et des conseils généraux, elles devraient pouvoir les saisir d’éventuelles dérogations budgétaires dans les cas qui l’exigent. De plus, la mission suggère de leur accorder un « droit de convocation souple » des acteurs susceptibles d’intervenir dans l’accompagnement, notamment les établissements et services médico-sociaux (ESMS). Ce, pour répondre aux situations complexes de personnes, en leur présence, dans le cadre de « groupes opérationnels de synthèse ». « L’ambition est de passer de la logique d’"entonnoir" à celle de "sablier", analyse Igor Dupin, président de l’association des directeurs de MDPH, à la tête de celle des Ardennes. Actuellement, le recueil des informations pour l’évaluation de cas individuels conduit vers le goulot d’étranglement qu’est la décision de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH). L’idée ici serait de mobiliser l’énergie collective créée lors de cette phase pour la mise en œuvre d’un accompagnement plus efficace. »
Des conditions sine qua non
Intention louable, néanmoins soumise à un préalable de simplification : « Les MDPH sont asphyxiées par un volume conséquent de demandes qui ne sont pas toujours en rapport avec la croissance du nombre d’usagers, mais qui relèvent de la pure justification administrative », poursuit Igor Dupin. Qui préconise par exemple, à l’instar de Denis Piveteau, de laisser la CDAPH libre de fixer la durée des droits selon les situations individuelles.
Autres conditions pour que les MDPH assurent ce rôle de coordination renforcé, d’après Malika Boubekeur, conseillère nationale Compensation et autonomie à l’Association des paralysés de France (APF) : « Préserver leur statut autonome de groupement d’intérêt public (GIP) et garantir les moyens d’un fonctionnement optimal. » En clair, « il faut renforcer les personnels des MDPH et les former à accomplir des missions de veille et de suivi de parcours », renchérit Adeline Leberche, directrice du secteur social et médico-social à la fédération d’employeurs Fehap.
Sans oublier l’impératif de les doter d’un système d’information [3] performant. « Le rapport pointe le manque de connaissance réelle des besoins et insiste sur la nécessité d’outiller les MDPH d’un système de données partagé avec les établissements », relève Thierry Nouvel, directeur général de l’union des associations Unapei. Un point déjà souligné en octobre 2012 par le rapport Jeannet-Vachey, qui dessinait les contours d’une révision du financement des structures. « Or, cela fait plus d’un an que nous attendons que la réforme de la tarification s'engage », rappelle Adeline Leberche.
Le souhaitable et le faisable
Mais c’est aussi à la refonte du processus d’orientation proprement dit que s’attaque la mission. Au cœur de ses recommandations ? Un mécanisme de « double décision » au niveau de la MDPH. La première définirait les souhaits de l’usager, tandis que la seconde consisterait en un plan d’accompagnement global traduisant la volonté initiale « en l’inscrivant dans l’offre disponible ».
« L’optique d’une orientation par défaut dans un premier temps est assumée, dans l’attente d’atteindre le souhaitable, décrypte Adeline Leberche. Ce système à double détente constituera parallèlement un outil essentiel pour recenser les demandes des usagers et ainsi mieux planifier l’offre. » Car là réside l’enjeu à terme : faire tendre l’existant vers le souhaitable. Ce qui impliquera tout de même d’ajuster les capacités des établissements, avance Thierry Nouvel, pour qui « vouloir tout résoudre sans places supplémentaires est illusoire ». « Répondre uniquement par des créations de places reviendrait à une fuite en avant, argue pour sa part Marie-Sophie Desaulle, présidente du collège des directeurs généraux d’ARS, à la tête de celle des Pays de la Loire. Dans un contexte budgétaire tendu, il faut aussi réorganiser et réorienter l’offre. »
Quant au « processus d’orientation permanent » prôné par la mission Pivetau, il serait ponctué de points d’étape avec l’usager, selon un rythme adapté à sa situation. Surtout, le plan d’accompagnement global mériterait d’être rendu opposable sans réserve aux ESMS désignés nominativement. « Cela fait sauter le verrou de l’absence d’opposabilité des décisions de la CDAPH aux établissements et services. Ce qui est souhaitable, dans la mesure où ceux-ci auront été associés en amont à la définition du plan », estime Jean-Louis Garcia.
En cours d'expertise
Dans l’immédiat, une question se pose : quelles suites seront données au rapport ? Seule information du ministère des Affaires sociales et de la Santé au cours de l’été : le document est en cours d’expertise. Certaines propositions, notamment celles relatives à l’extension des missions des MDPH, nécessitent des aménagements législatifs. « Le projet de loi Santé, dont l’une des grandes orientations est la mise en place d’un service territorial de santé, constitue un véhicule dont il faut se saisir », suggère Muriel Vidalenc-Le Jeune. Qui espère en outre, tout comme le reste du secteur, que la Conférence nationale du handicap de décembre prochain aborde les pistes de la mission. « Leur traduction concrète exigera en tout cas une réelle volonté politique », souligne Adeline Leberche. Le gouvernement est donc attendu au tournant. « S’il ne s’empare pas de ces préconisations, l’Unapei repartira dans une logique de combat, prévient Thierry Nouvel, en portant de nouveaux contentieux au tribunal administratif si nécessaire. L’affaire Amélie n’a pas éteint l’ensemble des cas sans solution à ce jour. »
[1] « Zéro sans solution : le devoir collectif de permettre un parcours de vie sans rupture pour les personnes en situation de handicap et pour leurs proches », juin 2014.
[2] Lire Direction[s] n°113, p. 14
[3] Lire Direction[s] n°106, p. 22
Justine Canonne
Un dispositif d’urgence pertinent ?
Mise en place fin 2013 par Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée des Personnes handicapées, la procédure visant à répondre aux situations critiques repose sur des commissions spécifiques au sein des MDPH [1]. Le cas échéant, l’ARS prend le relais. En dernier recours intervient la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Saisie d’une dizaine de cas en six mois, celle-ci indique avoir contribué à trouver une place en établissement hors de la région, soit à bâtir une réponse sur mesure. Un dispositif que l'association des directeurs de MDPH juge néanmoins « inadapté à long terme ». « Sans être la panacée, il s’inscrit dans une logique de concertation des acteurs, d’ailleurs prônée par la mission Piveteau », nuance Marie-Sophie Desaulle, présidente du collège des directeurs généraux d’ARS.
[1] Circulaire n° DGCS/SD3B/CNSA/2013/381 du 22 novembre 2013. Lire Direction[s] n°116, p. 10
Repères
7 octobre 2013 Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise enjoint l’ARS d'Ile-de-France d’assurer en 15 jours la prise en charge effective d’Amélie Loquet par une structure adaptée à son état.
131 propositions du rapport Piveateau, articulées autour de trois mots d’ordre : vigilance, coordination, soutien.
Jean-Louis Garcia, président de l’Apajh : « Les carences de l’accompagnement sont notamment incarnées par les quelque 5000 ressortissants français en situation de handicap résidant en Belgique. »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 123 - octobre 2014