« Voter permet de se sentir appartenir à la société. Les personnes handicapées commencent à prendre conscience de ce droit. Les professionnels doivent les accompagner dans cette démarche », plaide Lahcen Er Rajaoui, président de l'association de personnes handicapées intellectuelles Nous aussi. À la veille d’échéances électorales majeures, comment les gestionnaires répondent-ils à cette revendication ? Plus globalement, l'ensemble des personnes accompagnées par les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) pourront-elles participer à ce temps fort de la vie de la cité ? Au niveau national, toutes les organisations représentatives du secteur hissent la citoyenneté des personnes au rang de leurs priorités. Pour autant, rares sont celles qui ont formalisé une position sur la façon dont les équipes doivent s’en saisir concrètement. Du côté des pouvoirs publics, les efforts pour rendre la campagne électorale et les bureaux de vote accessibles restent timides. Et aucune directive n’est donnée aux candidats pour faciliter l'appropriation des programmes par les personnes vulnérables. En février, le Défenseur des droits a d’ailleurs écrit à chacun d’eux pour les alerter sur le sujet.
Des verrous juridique et psychologique
Résultat ? « Les personnes handicapées pensent qu’elles ne sont pas concernées et ne s’intéressent pas aux élections. Ce n'est pas une habitude », explique Jacques Serpette, administrateur de l’association de directeurs Andicat. L’entourage n'y est d’ailleurs pas toujours favorable. « Les proches et parfois aussi les professionnels peuvent juger que ce n'est pas pour eux, qu’ils n’en sont pas capables », poursuit-il. Le 25 janvier dernier, l’Union nationale des associations Unapei a fustigé les difficultés d’accès au vote et réclamé que toutes les personnes handicapées intellectuelles puissent jouir de ce droit. Car même si depuis le 1er janvier 2009, les majeurs protégés (personnes handicapées ou âgées) disposent de ce droit civique, mais le juge peut encore s’y opposer [1]. Un verrou juridique également jugé discriminatoire par la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) [2].
Pour le public en insertion, le frein est avant tout psychologique. « Les personnes laissées pour compte ne se sentent pas autorisées à participer », explique Geneviève Colinet, chargée de mission Participation à la Fédération des acteurs de la solidarité. Quant aux jeunes majeurs « difficilement mobilisables, beaucoup ne s’intéressent pas à la politique », estime Stéphanie Etcheberry, éducatrice spécialisée à la maison d’enfants à caractère social (Mecs) Castillon, dans les Landes.
L’appui des volontaires en service civique
Malgré ces obstacles, des professionnels ont pris le sujet à bras-le-corps. L’enjeu ? Donner des clés de compréhension aux usagers, sans les influencer, afin de leur permettre de faire un choix éclairé. Certains ont saisi l’opportunité du recrutement d’un volontaire en service civique. C’est le cas de la Mecs Castillon où, depuis décembre 2016 (et jusqu’en juin prochain), une jeune femme vient en soutien de l’équipe sur l’accompagnement à la citoyenneté. « Avec les contraintes du quotidien, les éducateurs n’ont pas toujours le temps de réaliser un travail approfondi sur ce sujet. Là, cette personne se consacre à cette mission », explique Élisa Rouziès, directrice de la structure. Au programme ? Sensibilisation à l’inscription sur les listes, échanges autour des différents candidats ou encore organisation d’un débat entre les deux tours.
De même pour l'Association départementale de parents et amis de personnes handicapées mentales (Adapei) du Doubs où un volontaire en service civique est chargé de déployer une démarche en plusieurs étapes : affichage des échéances, réunions dans les foyers autour du rôle du président de la République et du député, rencontre avec les sections locales des candidats. Principal point de vigilance ? Garantir l’équité de traitement entre les prétendants et ainsi éviter le piège de l’information partisane. « Nous sollicitons tous les représentants des candidats et leur posons à tous les mêmes questions préparées en amont avec les usagers », explique Romaric Vieille, coordinateur du service Loisirs, culture et vacances qui porte l’opération. De ces rencontres, les propositions de chacun sont synthétisées en langage facile à lire et à comprendre (FALC) [3].
Des structures prévoient aussi de reconstituer un bureau de vote fictif pour mettre les usagers en situation. C’est le cas des services d'accompagnement des personnes handicapées (SAVS-Samsah) Sud-Seine-et-Marne de la Fondation des Amis de l’atelier : des saynètes où les usagers jouent différents rôles (le candidat, l’électeur, le conseiller municipal…) et s’entraînent pour le jour J.
Une question d’organisation…
Qu’en est-il des personnes âgées ? Si pour des questions de sécurité, il est impossible d’installer un bureau de vote dans les maisons de retraite. « Nous établissons donc une liste des personnes qui souhaitent voter. Deux semaines avant le premier tour, les gendarmes passent dans l’établissement pour relever les procurations. Rarement, ils ne la valident pas, s'ils estiment que la personne est trop dépendante et risque de voir son vote détourné par sa famille », explique Francis Delor, directeur de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) Cité Saint-Joseph (Gers). Il précise que des bénévoles proposent également de conduire les plus mobiles au bureau le jour du vote.
Sensibiliser les jeunes dès l’adolescence, c’est le pari de certains établissements accueillant des mineurs. Ainsi, l’institut médico-éducatif (IME) du Pech-Blanc de la Croix-Rouge (Tarn-et-Garonne), organise depuis 2013 un cycle d’ateliers pour les 13-17 ans. Le programme permet d’expliquer les grands principes de la démocratie et de simuler une campagne électorale. À la Mecs La Providence à Nîmes, la députée Françoise Dumas (PS) s’est déplacée pour parler citoyenneté avec les enfants. Enfin à l’Institut Les Hauts Thébaudières (Loire-Atlantique) qui accueille des jeunes handicapés (visuels et troubles associés) jusqu’à 20 ans, ceux qui vont avoir 18 ans dans l’année bénéficie d’un « protocole majorité ». Le principe ? Des réunions d’information sur ce que signifie ce cap et la remise, à l’occasion d’une fête au début de l’été, d’un passeport du citoyen qui regroupe toutes les notions importantes.
… et de temps
Enfin, certains centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) s'appuient sur les outils proposés par la Fédération des acteurs de l’insertion pour encourager les usagers à se rendre aux urnes (mode d’emploi pour l’inscription sur les listes et guide à destination des professionnels). Sans aller plus loin dans le décryptage des programmes, « probablement faute de temps », relève Geneviève Colinet.
Ces opérations porteront-elles leurs fruits les 23 avril et 7 mai prochains ? La démarche de sensibilisation au droit de vote est « très longue, prévient Romaric Vieille. Si elle ne représentera pas forcément un succès en terme de participation, elle l'est déjà en terme de vie citoyenne ». Reste que pour Roland Janvier, coprésident du groupement national des directeurs généraux d’associations GNDA, « si ces initiatives montrent que la question du vote des personnes accueillies est en phase de montée en puissance, il reste du chemin à parcourir ».
[1] Article 12 de la loi du 5 mars 2007
[2] Avis du 26 janvier 2017
[3] Lire Direction[s] n° 145, p. 36
Noémie Colomb
« La citoyenneté n’est pas un sujet prioritaire »
Yves Matho, formateur et membre du collectif Repolitiser l’action sociale [1]
« La question de la citoyenneté des usagers a émergé dans le secteur social et médico-social dès les années 1980. Les conseils d'établissement ont rapproché les élus locaux, les usagers et les professionnels et engagé une dynamique. Si les lois de janvier 2002 et de février 2005 ont permis de rééquilibrer le rapport entre les personnes accueillies et les équipes, les progrès en matière de citoyenneté n'ont pas été à la hauteur de cette dynamique. Il semblerait que la question ne soit plus considérée comme prioritaire. Le respect de la législation occupe le devant de la scène, au détriment de la réflexion sur son sens. D’ailleurs, les formations des équipes comme des directeurs gagneraient à mieux intégrer cette dimension politique. »
[1] www.repolitiserlactionsociale.org
Repères
- 350 000. C'est le nombre de majeurs sous tutelle soumis à une évaluation de leur capacité électorale par le juge (source : CNCDH)
- « Pour sensibiliser les usagers, la participation à l’élection des représentants au conseil de la vie sociale est une première marche », Geneviève Colinet (Fédération des acteurs de la solidarité).
- 58 % des personnes handicapées et de leurs proches ont l’intention d’aller voter aux élections. (sondage Ifop pour l’APF, mars 2017)
Publié dans le magazine Direction[s] N° 152 - avril 2017