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Droit du travail
Congés : la nouvelle donne

31/10/2023

La Cour de cassation a mis un terme à plusieurs années de non-conformité du droit français avec le droit européen en matière de calcul des droits à congés payés. Un revirement décisif qui emporte d’importantes conséquences pour les employeurs.

1) Un Code du travail pas si protecteur ?

En droit français, le salarié bénéficie d'un congé de 2,5 jours ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur [1]. Si la loi assimile certaines absences à du temps de travail effectif pour le calcul des droits à congé, ce n’est pas le cas de l’arrêt de travail. Tout au plus, s’il est causé par un accident du travail ou une maladie professionnelle, le salarié acquiert des congés dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an [2]. Jusqu’alors, la Cour de cassation précisait que le point de départ du délai de prescription de trois ans de l’indemnité de congés payés (CP) était fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle de prise de ces congés [3].

Toutefois, et comme avait déjà alerté plusieurs fois la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), ces dispositions n’étaient pas conformes au droit européen dès lors que les absences pour des motifs indépendants de la volonté du salarié doivent donner lieu à l’acquisition de CP. Ainsi, le salarié malade qui ne peut pas prendre ses congés a droit à leur report ou à une indemnité compensatrice en cas de rupture du contrat [4].

Face à l’inertie du législateur malgré plusieurs alertes sur la nécessaire mise en conformité du droit français, la Cour de cassation a transformé l'essai.

2) Quelles sont les nouveautés?

Le salarié dont le contrat de travail est suspendu pour cause de maladie, qu’elle soit d’origine professionnelle ou non, acquiert des CP au titre de cette période sans limitation de délai pour cette acquisition. Certaines conventions collectives prévoyaient déjà une assimilation partielle de l’absence pour maladie à du temps de travail effectif pour les droits à CP. Par exemple, celle du 15 mars 1966 prévoit qu’ouvrent droit à une telle acquisition les absences pour maladie non rémunérées d'une durée totale cumulée inférieure à trente jours, et celles donnant lieu à la rémunération par l'employeur [5]. Il en va de même pour celle du 31 octobre 1951 qui prévoit que les trente premiers jours d'absence consécutifs ou non (pendant la période de référence) justifiée par la maladie ne réduisent pas la durée du congé [6].

Ensuite, la Cour de cassation précise que le point de départ du délai de prescription de l’indemnité de CP doit être fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris, sous réserve – et c’est là la nouveauté – que l’employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d’assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit, ce qui lui appartient d’établir. L’affaire concernait une personne ayant obtenu une requalification de son contrat de prestataire en contrat de travail et un rappel de salaire de quatorze ans au titre des CP acquis et non pris…

Enfin, la chambre sociale pose le principe selon lequel le salarié qui s’est trouvé dans l’impossibilité de prendre ses CP au cours de l’année de référence, en raison de l’exercice de son congé parental, doit bénéficier de leur report à la date de sa reprise. Attention. S’agissant d’une absence volontaire, il n’y a aucune modification quant à l’absence d’acquisition de congés pendant cette période.

3) Quels effets immédiats?

En pratique, il est indispensable de modifier dès à présent le paramétrage du logiciel de suivi du temps de travail et de paie pour ne plus neutraliser les arrêts maladie dans l’acquisition des droits à CP. Ces évolutions s’appliquent aux congés légaux mais également conventionnels, tels que les congés d’ancienneté ou les congés trimestriels – qui, en présence d’un arrêt sur toute la période, n’auraient plus alors de trimestriels que le nom. En revanche, ne sont pas concernés les jours de repos liés à un mode d’aménagement du temps de travail, les jours de réduction du temps de travail ou encore les repos des salariés en forfait-jours.

4) Quid du passé ?

La jurisprudence s’applique de façon immédiate et surtout rétroactive. L’arrêt le plus problématique est celui portant sur la prescription. En particulier, il appartiendra aux juges de préciser ce qui doit être entendu par le fait que l’employeur doit « avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d’assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé » : en effet, les employeurs ont jusqu’alors mis les salariés en mesure d’exercer leurs droits à congés… tels que légalement prévus. La non-conformité au droit européen devra-t-elle conduire à exclure toute prescription ? Seul l’avenir jurisprudentiel le dira. En attendant, la vigilance est de mise, tout comme la provision budgétaire.

À ce stade, quatre options s’offrent aux gestionnaires.

- Reconstituer l’ensemble du droit à congé payé des salariés en poste et leur demander de les poser et/ou, s’il existe, de les affecter au compte épargne-temps. Attention, il n’est pas possible de remplacer l’acquisition des congés par le versement d’une indemnité compensatrice, laquelle ne concerne que les salariés ayant quitté les effectifs. Cette solution, outre son impact budgétaire considérable, risque également de poser problème pour les salariés ayant une forte ancienneté et pour lesquels il ne serait pas aisé de reconstituer l’ensemble des périodes d’arrêt maladie.

-  Reconstituer le compteur de congés payés pour la période d’acquisition en cours.

-  Opérer une régularisation sur trois ans en considérant que, pour le reliquat de droits à congé acquis durant une année considérée, l’organisation de la prise des CP de manière générale au sein de la structure (respect des règles d’information sur la période de référence et l'ordre des départs), l’obligation a été remplie et que le délai de prescription avait commencé à courir.

- Le statu quo, via un nouveau paramétrage pour l’avenir mais en ne pratiquant aucune régularisation pour le passé, dans l’attente des contentieux futurs.

Quelle que soit la stratégie retenue, il apparaît nécessaire de mener un audit afin de procéder à une évaluation des coûts et risques potentiels, sachant que sont concernés les salariés présents comme ceux ayant quitté les effectifs.

5) Comment limiter les conséquences ?

D’un point de vue collectif, la jurisprudence accepte que le report des congés acquis soit limité dans le temps par la loi ou une convention collective (et par extension, un accord collectif) car la finalité du droit au congé annuel payé ne requiert pas d’accorder un droit à un cumul illimité de jours de congé. En pratique, la période de report des congés doit dépasser substantiellement la durée de la période de référence [7]. Par exemple, la CJUE a jugé conforme une période de report de quinze mois [8]. Dans l’attente d’un éventuel coup de pouce du législateur, la négociation collective peut donc adapter, seulement pour l’avenir, les effets du nouveau cadre jurisprudentiel.

D’un point de vue individuel, une solution pourrait se trouver, lors de la rupture du contrat de travail, dans l’effet libératoire du reçu pour solde de tout compte. Ce dernier peut être dénoncé par le salarié dans les six mois qui suivent sa signature. Au-delà, le reçu devient libératoire pour l’employeur sur les sommes mentionnées [9]. Il est donc fortement préconisé de tenir à disposition du salarié ces documents de fin de contrat : une remise en main propre permettra plus facilement une signature du reçu par le salarié. Passé six mois, il ne pourra plus contester le montant de l’indemnité compensatrice de CP y figurant.

Par ailleurs, un salarié ayant d’ores et déjà signé une transaction portant renonciation à agir au titre de l’exécution de son contrat ne devrait pas être fondé à revenir sur cette dernière, quand bien même elle ne se référerait pas expressément aux CP.

Enfin, même si cette solution n'est pas satisfaisante, en cas de condamnation prud’homale la responsabilité de l’État pourrait être engagée par l’employeur devant le juge administratif compte tenu de l’absence de mise en conformité du Code du travail au droit européen.

[1] C. trav., art. L. 3141-3

[2] C. trav., art. L. 3141-5

[3] Cass. soc. 14 nov. 2013, n° 12-17.409

[4] CJUE 20 janv. 2009, aff. C-350/06 ; CJUE 24 janv. 2012, aff. C-282/10

[5] CCN 66, art. 22

[6] CCN 51, art. 9.2.3

[7] Cass soc. 21 sept. 2017, n° 16-24.022

[8] CJUE 22 nov. 2011, aff. 214/10

[9] Cass. soc. 18 déc. 2013, n° 12-24.985

Cécile Noël, avocate counsel, Picard avocats

D’autres revirements sont-ils à prévoir ?

Le temps de travail et le droit au repos constituent des sujets de prédilection du droit européen. Il n’est pas à exclure que le droit français soit à nouveau jugé non conforme sur d’autres thématiques d’ores et déjà identifiées. Il pourrait en être ainsi du mode de décompte des heures supplémentaires et de leur taux de majoration, la période de congés payés du salarié n’étant à ce jour pas assimilée à du temps de travail effectif [1]. Il en va de même de la qualification par le Code du travail, sans réserve ni nuance, de toute période d’astreinte comme du temps de repos, ne permettant ainsi pas une appréciation in concreto selon les circonstances de chaque situation [2]. À suivre !

[1] CJUE 13 janv. 2022, aff. C-514/20

[2] CJUE 9 mars 2021, aff. C-344/19

Références

Cass. soc. 13 sept. 2023, nos 22-17.638 et 22-17.340

Cass. soc. 13 sept. 2023, nos 22-10.529 et 22-11.106

Cass. soc. 13 sept. 2023, n° 22-14.043

Publié dans le magazine Direction[s] N° 224 - novembre 2023






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