Lorsque les usagers ne disposent pas des ressources suffisantes pour régler les frais afférents à leur accueil, les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) se voient contraints de récupérer les sommes dues auprès des « obligés alimentaires ». Les articles 205 et 206 du Code civil prévoient ainsi que les enfants, mais aussi les gendres et belles-filles, « doivent des aliments » à leur père et mère ou beau-père et belle-mère qui se trouvent dans un état de besoin. Quelle procédure les structures, quel que soit leur statut, peuvent-elles mettre en œuvre pour recouvrer ces impayés ?
Sur quel fondement agir ?
Aucune action propre n’est ouverte aux Ehpad. En effet, celle résultant des dispositions de l’article L132-7 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) est réservée au représentant de l’État et aux présidents des conseils départementaux. De la même manière, l’action prévue à l’article L6145-11 du Code de la santé publique ne concerne que les établissements publics de santé. Dès lors, les Ehpad n’ont d’autre possibilité que d’agir sur le fondement subsidiaire de l’enrichissement sans cause, procédure ne pouvant être introduite qu’à défaut de toute autre action ouverte. Ce qui est le cas en l’espèce.
La Cour de cassation a depuis longtemps admis la recevabilité de l’action des établissements d’hébergement des personnes âgées sur ce fondement [1]. Une jurisprudence récemment réaffirmée lors d’un arrêt rendu le 19 janvier 2017 par la cour d’appel de Douai pour un centre communal d’action sociale (CCAS) [2].
Les Ehpad peuvent donc saisir le juge aux affaires familiales compétent pour solliciter la condamnation des obligés alimentaires à régler les sommes dues au titre d’impayés relatifs aux frais d’hébergement.
Quelles preuves produire ?
L’action des établissements revêt un caractère hybride, en ce que le fondement pour le créancier est celui de l’enrichissement sans cause, sans pour autant faire disparaître le caractère alimentaire de l’obligation pesant sur les débiteurs et donc les règles découlant des articles 205 et suivants du Code civil. S'appuyant sur ce principe, la Cour de cassation considère que l’adage « aliments ne s’arréragent pas » s’applique au recours exercé par les établissements de santé contre les obligés alimentaires [3]. Ce faisant, les établissements de santé ne peuvent, dans ce cas, solliciter le paiement de sommes dues antérieurement au dépôt de la requête auprès du juge aux affaires familiales.
Toutefois, cette règle jurisprudentielle repose sur une présomption simple qui peut être renversée si l’Ehpad apporte la preuve de l’état de besoin des obligés alimentaires d’une part, ainsi que celle qu’il n’est pas resté inactif dans le recouvrement de ses impayés en accomplissant les diligences nécessaires auprès de ceux-ci d’autre part.
Ces preuves sont notamment :
- l’envoi de lettres recommandées avec accusé de réception rappelant aux créanciers alimentaires leur obligation de régler les sommes dues et précisant également la somme qu’ils doivent payer au travers d’états récapitulatifs de la dette,
- un engagement signé lors de l’entrée dans l’établissement par un obligé alimentaire d'assurer les frais d’hébergement,
- des mises en demeure.
Lorsque l'établissement apporte la preuve de l’accomplissement de ces formalités – ce qui ressort de l’appréciation souveraine des juges du fond – l’adage « aliments ne s’arréragent pas » peut alors être écarté et l’Ehpad pourra être jugé fondé à récupérer les sommes avancées par lui auprès de la famille. Néanmoins, ce recours ne peut s’exercer que dans la limite des moyens des obligés alimentaires, lesquels ne sont pas solidairement tenus au paiement de l’intégralité de la dette, les juges fixant la part contributive de chacun en fonction de leurs ressources financières.
[1] Cass. Civ. 1re, 14 novembre 2007, n° 06-21.697
[2] CA Douai, 19 janvier 2017, n° 15-07348
[3] Cass. Civ. 1re, 14 janvier 2003, n° 00-20.267
Claire-Marie Dubois-Spaenle et Nadia Taillebois Zaiger, avocates au Barreau de Paris, associée et collaboratrice au sein du cabinet Seban et Associés
L'essentiel à retenir
- Les enfants et beaux-enfants « doivent des aliments » à leurs parents ou beaux-parents qui se trouvent dans un état de besoin.
- Lorsqu’un résident est dans cette situation, les Ehpad peuvent agir sur le fondement de l’enrichissement sans cause pour recouvrer les sommes dues au titre des frais d’hébergement auprès des obligés alimentaires.
- Les établissements doivent apporter la preuve qu’ils ne sont pas restés inactifs dans le recouvrement de leur créance.
- L’action des Ehpad ne pourra s’exercer que dans la limite des ressources de chaque obligé alimentaire.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 160 - janvier 2018