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EPRD
La révolution culturelle

20/05/2020

Crise sanitaire oblige, le dépôt des états prévisionnels de résultat et de dépenses (EPRD) 2020 a été repoussé pour les gestionnaires concernés. L’occasion de revenir sur les bouleversements introduits, dans le secteur médico-social, par cet instrument budgétaire et comptable en termes de pilotage des organisations, comme de relations avec leurs autorités.

Virage à 180 degrés. L’état prévisionnel de résultat et de dépenses (EPRD), nouvel instrument budgétaire et comptable, a fait en 2017 son entrée dans le champ médico-social et bousculé les pratiques. Avec lui, exit la vision annuelle et comptable attachée à la gestion des structures. Les opérateurs sont sommés d’adopter une approche financière sur plusieurs années de leurs activités dans une visée plus prospective.

L’ambition de ce bras armé du contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) ? Servir le mouvement de transformation de l’offre nécessitant, pour réussir, de nouvelles modalités de dialogue entre gestionnaires et autorités, expliquait en février dernier au Sénat Cécile Tagliana, cheffe du service des politiques sociales et médico-sociales à la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) : "Les EPRD et les CPOM permettent de dépasser les questions budgétaires et financières pour s’intéresser aux projets de vie des personnes, et à leurs incidences pour les établissements en termes organisationnels, fonctionnels et budgétaires." Trois ans plus tard, l’objectif est-il atteint ?

Un outil complexe à manier

Dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les petites unités de vie (PUV) et les structures du handicap signataires d’un CPOM, l’usage de l’EPRD devient progressivement la norme. Pour leur direction, cette mécanique déjà bien connue du sanitaire a remplacé les comptes administratifs (CA) et budgets prévisionnels (BP) annuels. Parfois non sans mal. Car, inutile de se mentir : qui ne s’est pas encore penché sur cet ensemble de fichiers Excel portant des maquettes financières interdépendantes en sous-estime probablement… l’aridité. "L’EPRD permet de dresser un tableau des flux de trésorerie prenant en compte l’exploitation, la variation du besoin en fonds de roulement et l’investissement, détaille Jacques Grolier, formateur en analyse et gestion financière des établissements sanitaires et sociaux. Il favorise l’estimation de la santé financière de l’établissement, à la fois à court terme, par la détermination de la trésorerie nette, comme à moyen et long termes, grâce au calcul de la capacité d’autofinancement. " "Cela va bien au-delà d’un simple ajustement des cadres antérieurs, confirme Simon Kieffer, ancien directeur des établissements et services médico-sociaux à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA)(1). Pour les structures, il ne s’agit plus d’établir chaque année un niveau de dépenses et de négocier les ressources correspondantes. C’est désormais aux gestionnaires de s’interroger sur l’emploi des crédits alloués, tout en ayant une vision, à long terme, de la façon dont se traduisent financièrement et budgétairement les objectifs fixés par le CPOM."

« La fin d’un système maternant »

Une logique qui, au passage, fait peser sur leurs épaules une responsabilité bien plus grande. Une fois la ressource attribuée, à eux d’en arbitrer la ventilation. Mieux : avec l’EPRD, nombre d’entre eux ont aussi fait l’expérience de la fin de la reprise des résultats… y compris négatifs. "Les structures sont donc tenues d’assurer un suivi plus fin de leur gestion pour être à même de réajuster en cours d’exercice si les dépenses dérapent, analyse Marc Clouvel, commissaire aux comptes et expert-comptable associé au cabinet Axiome Dis. Cela leur impose de se poser de nouvelles questions de fond, comme l’assignation d’objectifs aux établissements ou la mutualisation des résultats." " C’est la fin d’un système un peu maternant, résume à son tour Marc Bourquin, conseiller Stratégie à la Fédération hospitalière de France (FHF). Le rôle des pouvoirs publics se limitant, une fois les calibres de financement établis, à co-élaborer un CPOM dont ils contrôlent la mise en œuvre." Une autonomie gestionnaire accrue qui ne va pas sans contreparties, en particulier face aux équipes, prédit Marc Clouvel. "Les gestionnaires sont aussi davantage mis face à leurs responsabilités en matière de choix de gestion. Car outre une meilleure maîtrise des ressources, cette réforme revient aussi à leur faire endosser les mauvaises nouvelles. Plus questions de mettre sur le dos de l’autorité le rejet d’une demande de postes supplémentaires ou d’une augmentation salariale… " Liberté et responsabilité donc, les deux faces d’une même médaille.

Nécessaire montée en gamme

Sur le terrain, rares sont les pionniers qui ont oublié leur baptême du feu. "La signature d’un avenant à notre CPOM en mai 2017 nous a brutalement fait basculer dans le nouveau système, impliquant la remise d’un EPRD un mois plus tard ! se souvient Martine Errbai, directrice administrative et financière (DAF) de l’association Acodège, à Dijon. L’outil est si complexe qu’il nécessite de réelles notions de bilan et d’analyse financière pour pouvoir contrôler les états, le fonds de roulement… Personne dans mon équipe n’étant à l’époque formé pour cela, j’ai dû m’y atteler seule de façon artisanale, forte de mon expérience dans le secteur marchand."

Pour certains opérateurs, la marche à franchir est donc haute. Très haute. "L’exercice est bien plus technique qu’avant, reconnaît Marc Clouvel. D’abord, parce que le changement de périmètre nécessite de disposer, pour chaque établissement, d’éléments consolidés, soit potentiellement d’un grand volume de données. Mais aussi parce que la pluriannualité demande une capacité de projection sur l’évolution de la situation budgétaire et financière à six ans." D’autant que, pour ne rien arranger, les cadres budgétaires du "vieux monde" sont loin d’avoir été enterrés. Résultat pour les signataires d’un CPOM ne couvrant pas l’intégralité de leurs activités ? Un véritable casse-tête les contraignant à jongler aussi avec l’annualité budgétaire. Exemple à l’Association départementale de parents et amis de personnes handicapées mentales d’Eure-et-Loir (Adapei 28), où seul le pôle Enfance est concerné par l’EPRD. "La charge de travail de l’équipe comptable a augmenté, même si elle a jusque-là été absorbée à moyens constants, assure sa DAF, Marlène Mayet. Outre l’EPRD qui doit normalement être déposé avant le 30 juin, les BP des structures qui n’en relèvent pas doivent toujours être réalisés en octobre. Le dépôt de leur CA respectif reste aussi fixé pour la fin avril, au même moment que l’ERRD ! Sans compter, pour nous, le rendu à l’ARS du rapport infra-annuel prévu par notre  plan de retour à l’équilibre." Un chantier à mener en ces temps de simplification ?

Pas étonnant, dans ces conditions, que depuis quatre ans, les formations sur le sujet font le plein, tant le besoin de pédagogie persiste. Même si les structures pour personnes âgées, premières à s’être lancées, ont clairement pris de l’avance. "Au début, il fallait les accompagner sur la saisine, la complétude et la cohérence des données transmises, se souvient Élodie Couaillier, à la tête de la direction des financements à l’ARS Nouvelle-Aquitaine. Aujourd’hui, l’enjeu est leur capacité à se projeter dans une approche globale, à définir la fiabilité et la sincérité des données." En la matière, une bonne nouvelle, indique la CNSA : sauf nouveaux changements réglementaires, l’heure est à la stabilité des cadres normalisés qui, ces dernières années, ont souvent fait l’objet d’adaptations sur la base des remontées du terrain.

Dialogue 3.0

De l’autre côté de la table du dialogue de gestion, les ARS ont, elles aussi, dû passer par la case formation pour assumer ce que certaines ont qualifié de "nouveau métier". "Discuter d’une trajectoire financière sur cinq ans n’a rien à voir avec l’analyse d’un CA et les échanges autour d’un BP, justifie Élodie Couaillier. Il nous a fallu accompagner les équipes pour qu’elles s’approprient les nouvelles logiques. En outre, même si on peut encore rejeter certaines dépenses, ne plus gérer l’affectation des ressources renouvelle les échanges, davantage concentrés sur la capacité d’autofinancement." Suffisant pour parvenir au changement de posture "plus agentielle" attendu des ARS ? " Là, on est encore au milieu du gué, reconnaît l’ex-directeur de l’autonomie à l’ARS Ile-de-France, Marc Bourquin. Il y a encore trop souvent, dans les agences, la culture du contrôle tatillon, alors qu’il faudrait davantage investir dans les compétences pour une posture moins régalienne."

Au-delà de ces embûches, la pertinence des analyses produites n’a échappé à personne. Et surtout pas aux premiers concernés. "L’EPRD nous permet d’avoir une vision à long terme de nos marges de manœuvre et d’anticiper au mieux nos affectations de ressources, explique Marlène Mayet. Face à des besoins complémentaires, nous pouvons apprécier immédiatement l’impact de nos décisions et des projections sont possibles en termes d’investissement ou de ressources humaines (évolution des effectifs, vieillissement des personnels…). Mis en lien avec les fiches actions du CPOM, c’est un outil de gestion très fin." "Tout ce travail a rapproché le siège et la DAF de nos préoccupations de terrain, poursuit Paolo Zambon, directeur du pôle Enfance. Et à l’inverse, nous nous sommes rapprochés des stratégies financières globales." Un enthousiasme partagé à l’Acodège qui a décidé d’étendre l’exercice à ses établissements et services exclus de l’EPRD obligatoire. "Compiler au même endroit des données essentielles, comme la projection de la trésorerie ou l’impact des emprunts, donne un autre éclairage que le seul résultat budgétaire détenu jusque-là, explique Martine Errbai. Les éléments obtenus permettent, en outre, de faire toucher du doigt certaines réalités aux administrateurs, voire aux directeurs d’établissement. C’est une révolution en termes de pilotage interne !"

L’industrialisation des CPOM

"Si le tournant de l’EPRD est pris, celui du CPOM est toujours en cours, souligne Antoine Perrin, directeur général de la fédération patronale Fehap. Or, pour la transformation de l’offre, c’est lui qui est le cœur du réacteur ! L’évolution actuelle se heurte au nombre de contrats encore à conclure : si les plus grosses structures, priorisées par la puissance publique, ont pu en signer rapidement, pour les autres c’est plus compliqué." "Les pouvoirs publics sont plus focalisés par le mouvement de contractualisation que par le suivi des contrats en cours, confirme Alexis Roger, adjoint au sein du pôle gestion des organisations de la fédération d’employeurs Nexem. Pour retrouver un vrai dialogue de gestion, une révision de ce calendrier trop ambitieux est nécessaire et des moyens doivent y être consacrés." Un sujet qui pourrait prendre encore plus d’importance demain, avec le déploiement de la réforme tarifaire Sérafin PH, s’inquiète Antoine Perrin. "Pour que les EPRD/CPOM aient tout leur sens politique, ils doivent permettre une vraie responsabilisation, y compris des personnes accompagnées qui auront un droit de tirage. Pour répondre à la demande, les établissements devront être en capacité de revoir leur offre, en s’appuyant sur des CPOM permettant des modifications structurelles. Faute de quoi, ils seront piégés dans un carcan."

Quatre ans après le déploiement de l’EPRD, du chemin reste donc à parcourir. "On est encore loin de connaître toutes les finesses de ce cadre normalisé qui reste à découvrir, assure Alexis Roger. En termes de pratique et d’exploitation, nous sommes toujours en rodage. Il faudra sûrement attendre un cycle complet, à savoir 2021, pour en tirer les vraies leçons."

 

[1] Il a quitté la CNSA début mars où il a été remplacé par Gaël Hilleret en mai.

Gladys Lepasteur

"Améliorer la qualité des données"

Simon Kieffer, ancien directeur des établissements et services médico-sociaux à la CNSA

"Au bout de quatre exercices, la quasi-totalité des Ehpad sont passés à l’EPRD, et ce sans difficulté majeure constatée. L’enjeu aujourd’hui reste d’améliorer la qualité, mais aussi la complétude, des données qui nous sont transmises par les gestionnaires, via le système d’information (SI) Import ERRD. Près de 30 % des états réalisés (ERRD) portant sur l’année 2018 comportaient au moins une anomalie, réduisant ainsi l’exploitabilité des données. Des incohérences entre les informations produites sont aussi relevées sur une majorité des dossiers ou sur les documents qui doivent être renvoyés avec l’ERRD. Ainsi, 11 % des Ehpad avaient omis d’y adjoindre au moins une des trois annexes obligatoires, autre limite à l’analyse des données. Nous sommes donc face à un double défi : aller encore plus loin dans l’accompagnement des acteurs et dans l’adaptation du SI. C’est d’autant plus important que cela permettra de renforcer les connaissances sur le secteur et sur sa santé financière. "

 

Repères

  • 31 août 2020 : date limite de dépôt des dossiers ERRD au titre de 2019 (hors activités sociales et médico-sociales des établissements publics de santé à transmettre d’ici au 8 juillet).
  • L’EPRD 2020 doit être déposé dans les 60 jours suivant la réception de la dernière notification de financement, si l’autorité n’a pas fixé ses produits de la tarification avant le 31 mars.
  • 5 022 dossiers ont été déposés dans le cadre de la campagne ERRD 2018 (soit 6 483 établissements).

 

Aller plus loin

• Instruction interministérielle n°DGCS/5C/DGCL/DGFIP/170 du 12 juillet 2018 relative à l’EPRD des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) publics gérés en M22

• Les outils Import EPRD, Import ERRD et Import CA, mis en place par la CNSA, sur www.cnsa.fr

• Ordonnance n° 2020-560 du 13 mai 2020 relative aux adaptations des règles d’organisation et de fonctionnement des ESSMS

Publié dans le magazine Direction[s] N° 187 - juin 2020






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