La tribune d’Olivier Poinsot habilement intitulée « A-t-on le droit de critiquer Serafin-PH ? » parue dans le numéro 214 (décembre 2022) de Direction[s], n’a pas manqué de susciter de nombreuses réactions, en particulier sur les réseaux sociaux professionnels. La plupart allaient dans le même sens : la réforme tarifaire Seraphin-PH ne serait finalement qu’une tarification à l’activité (T2A) appliquée aux établissements services médico-sociaux pour personnes handicapées (ESMS-PH), dont l’objectif stratégique consisterait en une libéralisation du secteur, doublée d’un renforcement des restrictions budgétaires.
L’habileté (coutumière des travaux et réflexions d’Olivier Poinsot qui, précisons le, est un de mes « vieux compagnons de route »…) de son titre réside principalement dans le fait qu’il « décale » la question. Car, bien entendu, il est possible, pour ne pas dire souhaitable, de critiquer les travaux menés par le groupe technique national (GTN) Serafin-PH. Ses membres ne s’en privent jamais et l’équipe projet, passée et actuelle, qui pilote ce dossier peut en témoigner. Mais il importe de rester juste quant à l’objet de ces critiques et d’éviter de faire porter au projet Serafin-PH des responsabilités en décalage avec ses attendus et objectifs. Ainsi, et afin d’alimenter de façon constructive le débat judicieusement lancé par Olivier Poinsot, il me paraissait utile et important de rappeler quelques fondamentaux.
Une révolution déjà engagée
Premièrement, la « vraie » réforme tarifaire s’est faite hors du cadre de Serafin-PH. C’est bien l’article 75 de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2016, complété par le décret n° 2016-1815 du 21 décembre 2016, qui a introduit, pour les ESMS-PH relevant totalement ou partiellement d’un financement de l’assurance maladie, une « révolution copernicienne » à travers les notions, depuis lors obligatoires, de contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM), de dotation globale ou encore d’EPRD/ERRD (état des prévisions de recettes et de dépenses/ état réalisé des recettes et des dépenses), toutes constitutives d’une tarification dite à la ressource et/ou tarification inversée.
Notons en outre que, là encore de façon déconnectée des travaux du GTN Serafin-PH, l’article 70 de la LFSS pour 2018 a, d’une certaine manière, enfoncé le clou en entérinant à la fois la liberté d’affectation des résultats et la fin de l’opposabilité des conventions collectives nationales (CCN) – celle-ci étant déjà à l’œuvre pour les EHPAD, depuis bien longtemps au titre de l’article 63 de la LFSS pour 2009.
Dans ce contexte, un éventuel aboutissement des travaux de Serafin-PH sur le volet « algorithme ou équation tarifaire » (au sens du 4° de l’article R. 314-40 du CASF) ne modifiera pas le système dit « de tarification inversée» d’ores et déjà en place. Il ne fera que le fluidifier par une objectivation de type algorithmique du passage de l’activité prévue contractuellement vers le groupe 1 de recette de l’ESMS, en lieu et place d’une base budgétaire et d’un taux directeur, tous deux contractualisés sur le fondement d’indicateurs (coûts moyens à la place) et d’injonctions (évolutions des dotations régionales limitatives) qui échappent dans les faits à toute négociation et participent déjà depuis longtemps au phénomène de restrictions budgétaires.
« Arrêtons de nous faire peur »
La T2A appliquée aux ESMS-PH est un chiffon rouge. Il est amusant de constater que la plupart de ceux qui redoutent le basculement des ESMS dans le champ d’application d’une T2A plus ou moins adaptée revendiquent dans le même temps de fait le « retour au prix de journée » … Ce qui n’est finalement (certes, à quelques nuances techniques – de taille – près…) qu’une T2A dont l’unité d’œuvre est le nombre de journées réalisées et donc facturées. La T2A, dont on ne peut nier les conséquences désastreuses pour le service public hospitalier (mais sans doute pas pour l’ensemble du secteur sanitaire…), n’est pas applicable au secteur médico-social pour une raison simple : elle a été pensée pour un temps court (qui le sera d’ailleurs de plus en plus puisque les actes ambulatoires sont toujours plus majoritaires), alors que le « temps médico-social » est, pour sa part, un temps long (qui le sera d’ailleurs lui aussi de plus en plus du fait de l’augmentation généralisée de l’espérance de vie). Arrêtons donc de nous faire peur avec ce sujet, au risque de contrarier notre appropriation collective des nomenclatures besoins/prestations », voire de passer à côté du vrai sujet concernant la tarification des ESMS-PH.
Un outil tarifaire et… clinique
Il faut dissocier les dimensions tarifaire et clinique de Serafin-PH. Les nomenclatures besoins/prestations issues de la réflexion longue et approfondie du GTN ont, certes, été d’abord pensées et élaborées comme un outil préalable à la production d’un algorithme tarifaire. Mais elles se sont finalement révélées depuis comme un formidable outil clinique permettant de passer, dans le champ des ESMS-PH, d’une logique de « j’ai besoin de… » (le plus souvent d’ailleurs d’une place en établissement) à celle de « j’ai besoin pour… ». Et au risque d’être qualifié de thuriféraire, cet outil est, justement, la dernière chance d’éviter d’entrer définitivement dans le cercle vicieux décrit par Olivier Poinsot [1] pour, au contraire, générer un cercle vertueux de l’accompagnement des personnes en situation de handicap, partant de leurs projets individualisés ambitieux et construits sur la base d’un langage partagé (bannissant définitivement le traditionnel et insupportable « maintien des acquis »), constituant ainsi les projets des ESMS et irrigant ensuite les CPOM et les schémas. Guillaume Marion, directeur du projet Serafin-PH à la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), l’a d’ailleurs fort justement indiqué il y a quelques mois dans le cadre d’une interview accordée à Direction[s] [2], en rappelant expressément la nécessité de « désarrimer [les] nomenclatures du chantier tarifaire ». Cette position est la bonne et elle doit, de mon point de vue, être doublement interprétée. D’une part, elle rappelle que les nomenclatures ne constituent aucunement un « socle » de l’éventuelle future tarification. D’autre part, elle indique clairement qu’il faudra éviter de « jeter le bébé avec l’eau du bain », c’est-à-dire qu’il est pertinent de poursuivre le travail d’appropriation et d’utilisation des nomenclatures même si, d’aventure, le versant tarifaire de la réflexion menée par le GTN Serafin-PH aboutissait plus tardivement que prévu… voire n’aboutissait pas.
Comment mesurer l’activité ?
Le seul vrai sujet reste celui de la mesure de l’activité. S’il y a, de mon point de vue, une critique à formuler sur le travail mené autour de Serafin-PH, c’est bien sa difficulté à traiter la question, essentielle pour l’avenir de notre secteur, de la mesure de l’activité. Alors même que le passage généralisé à la dotation globale de financement a justifié, plus que jamais, une mesure quantitativement (en s’exonérant, si possible définitivement, de la stricte notion de « place » qui se révèlera de plus en plus obsolète) et qualitativement (sur la base d’indicateurs permettant de vérifier que le « contrat » passé avec l’usager est rempli) fine du « service rendu », le guide méthodologique dédié [3] ne s’est pas révélé à la hauteur des enjeux. Un groupe de travail, issu du GTN Serafin-PH, a tenté en 2021 d’avancer sur cette question mais, là encore, sans véritable succès. Il ne s’agit bien entendu pas ici de faire affront et jeter la pierre à celles et ceux qui ont participé à ces réflexions mais bien d’en déduire l’extrême difficulté.
Pour autant, ne faisons pas comme si nous avions le choix… Il s’agit là de la clé de toute démarche de facilitation des parcours et de la transformation de l’offre qui constituent les principaux objectifs du projet Serafin-PH. Précisons ici que, pour aller dans le sens des éléments développés au sujet de Serafin-PH dans le cadre de son dernier rapport en date [4], que cette question de la mesure de l’activité et, par ricochet, sa traduction tarifaire, intègre certes les modalités traditionnelles d’accompagnement (autrement dit, en établissement), mais également celles attachées à la logique de « parcours inclusifs » faisant « non seulement des parcours nouveaux pour les personnes mais, plus substantiellement, des fonctions nouvelles pour les professionnels du travail social » [5].
Faut-il croire en Serafin-PH ?
Dans ce contexte, au-delà de savoir si l’on a « le droit de critiquer Serafin-PH » on peut finalement et légitimement se demander si l’on doit « croire en Serafin-PH ». Bien que farouchement attaché au principe de laïcité, je propose, en guise de réponse, de s’inspirer du fameux « Pari de Pascal [6] » en vertu duquel que dieu existe ou qu'il n'existe pas, autant croire en lui pour être sûr de gagner sa place au paradis … si paradis il y a. Par analogie, il me semble que le chantier porté depuis maintenant huit ans par le GTN Serafin-PH, associé à ceux avec lesquels il est en interaction, fera nécessairement évoluer les établissements et services pour personnes en situation de handicap dans le sens d’une transformation fondamentale : les inciter à stimuler l’autonomie et l’autodétermination. C’est pourquoi, qu’il aboutisse ou pas in fine à une fluidification du modèle d’allocation des ressources des ESMS-PH, il est opportun pour chacun d’eux de croire en Serafin-PH et de s’en approprier les outils en général et les nomenclatures « besoins/prestations » en particulier.
[1] « Dès lors, on pourrait s’attendre à ce qu’une modification de la planification entraîne celle des CPOM puis des projets d’établissement sur les bases retenues par la puissance publique. »
[2] Lire Direction[s] n° 210, p. 18
[3] « Guide méthodologique de la mesure de l’activité des ESSMS », CNSA, janvier 2019
[4]« Experts, acteurs, ensemble… pour une société qui change », Denis Piveteau, février 2022
[5] Ibid.
[6] in Les Pensées, Blaise Pascal (1670)
Sébastien Pommier
Carte d'identité
Nom. Sébastien Pommier
Fonctions actuelles. Directeur général de l’Agapei ; membre du GTN Serafin-PH ; animateur de la commission Tarification du Groupement national des directeurs généraux d’associations ; chargé d’enseignement Tarification médico-sociale au Cesegh - Université de Montpellier 1.
Formation. Master 2 gestion.
Parcours. Directeur général (Union Uriopss Languedoc-Roussillon, Le Clos du Nid, Sauvegarde 13) ; membre du tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale de Bordeaux ; membre de la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale CNTSS.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 216 - février 2023