Je ne suis pas en colère… Si, un peu.
Un peu de voir qu’on nous a demandé de mettre en place des plans de continuité de l'activité (PCA) sans qu’on sache ce que c’était… Et je ne résume pas cela au monde de l’associatif, des entreprises aussi ne savaient pas. Nous avons demandé une trame… Ce sont nos fédérations qui nous l’ont apporté
Je ne suis pas en colère… Si, un peu.
Quand on nous laissé avec ce document… Et après ? Après, il a fallu improviser avec les équipes, les mobiliser pour les mettre en œuvre. Nous nous sommes mis en route seuls... Non pas tout à fait, tout le mouvement associatif ensemble en vérité.
Je ne suis pas en colère… Si, un peu.
Quand nous avons demandé à la médecine du travail de se mettre en contact avec nos salariés vulnérables (puisqu’en tant qu’employeur les données relevant de la santé ne nous sont pas délivrées mais qu’en même temps on doit protéger nos salariés), et qu’on nous a dit que, non, ils n’avaient pas de consigne.
Je ne suis pas en colère… Si, un peu.
Quand il a fallu attendre plus d’une semaine pour mettre en route les remontées quotidiennes que nous opérons déjà sur les fonctionnements tels que les démantèlements de camps ou les gymnases, et dont on sait la pertinence des recueils de données pour des gestions de l’urgence.
Je ne suis pas en colère… Si, un peu.
Quand l’attestation change chaque semaine, qu’elle n’est pas toujours créée avec des pictogrammes, et que cela soulève encore plus la question de l’accès au droit des personnes démunies.
Je ne suis pas en colère… Si, un peu.
Quand on ne nous prends pas au sérieux, nous qui sommes quotidiennement dans la rue avec les personnes sans-abri qui sont terrorisées par le manque d’information et par les passages policiers.
Je ne suis pas en colère… Si, un peu.
Quand on nous laisse gérer notre centre d’hébergement sans moyens matériels. Et, même si nous comprenons que nous ne sommes pas prioritaires, qui répond à l’angoisse légitime de nos travailleurs sociaux ?
Je ne suis pas en colère… Si, un peu.
Quand les citoyens nous offrent des masques fait main… et que cela ne vient pas de l’Etat.
Quand les chaînes de restauration nous offrent des pizzas pour les sans-abri, et… que cela ne vient pas de l’Etat. Quand les réseaux des entreprises se mobilisent pour nous donner des kits d’hygiène, du lait, des couches… Et que cela ne vient pas de l’Etat.
Je ne suis pas en colère… Si, un peu.
Quand on nous demande d’ouvrir des centres d’hébergement et que je vois mes collègues faire des appels aux dons pour les faire fonctionner.
Beaucoup pensent à l'après… Moi, je ne fais que penser au jour le jour, à mes salariés, aux personnes accueillies, hébergées, sans-abri. Je pense aux formidables réseaux qui se créent, aux idées qui naissent, aux capacités de l’innovation qui sont décuplées…
Et là, enfin, je ne suis plus en colère.
Anne Lesueur, directrice générale, association Alynea (69)