Tenir jusqu’à ce qu’un vaccin soit trouvé. Tel est le mantra des directeurs d’établissements pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). « Je me projette au moins jusqu’à la fin de l’année. Je sais que tôt ou tard, le virus finira par rentrer… », expose Séverine Laboue, directrice du groupe hospitalier Loos Haubourdin (Nord). Une course contre le temps non sans obstacles : « Nous avons été dans les premiers à interdire les visites, provoquant parfois l’incompréhension. Ou à imposer le port du masque chirurgical aux personnels en prenant le risque d’épuiser notre stock.
Un lourd tribut
Un manque d’équipements qui a complexifié la tâche des responsables, endossant le rôle de « négociant en surblouses », auquel se sont ajoutées les difficultés de gestion du personnel. Comme en témoigne Pierre Gouabault, directeur dans le Loir-et-Cher, venu en renfort dans un Ehpad voisin : « Tout s’est enchaîné : le directeur est tombé malade, l’absentéisme a atteint 60 % du personnel et plus d’une quinzaine de résidents sont morts… Il a fallu accompagner les usagers et les équipes, recruter 42 personnes en seulement quelques jours avec l’aide des élus locaux, mobiliser la réserve sanitaire… »
Une situation douloureuse à laquelle près de la moitié des Ehpad est confrontée, avec une plus ou moins forte intensité. Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Synerpa, racontait début avril : « La moitié des établissements sont épargnés, dans d’autres la situation se stabilise après un début violent, et dans d’autres encore, comme en Île-de-France, les choses se corsent avec des transferts de plus en plus compliqués vers l’hôpital. »
L’enjeu des tests
Continuer le confinement en chambre, respecter les gestes barrières, mener les dépistages… Autant de mesures qui vont rythmer la vie des établissements au moins jusqu’à l’été. Avec un défi qui donne du fil à retordre aux organisations : « Le dépistage complet des résidents et personnels n'est envisagé que dans les structures en tension. Heureusement, la liste des autorités s’engageant à aller au-delà de ces recommandations s’allonge », explique Florence Arnaiz-Maumé.
Comme l’agence régionale de santé (ARS) Occitanie qui annonce dépister même les personnes asymptomatiques. « Nous avons commencé par prioriser 50 Ehpad sur les 200 concernés par un cas. Nous travaillons avec les collectivités et fédérations pour mutualiser les ressources et anticiper les problèmes : séparer les résidents malades quand c’est possible, trouver les renforts en personnel… », détaille Pierre Ricordeau, son directeur général. Une opération qui risque de durer : « Les tests donnent une photographie à un instant T, mais faudra-t-il revenir ensuite dans les structures ? »
Concilier sécurité et humanité
D’autant plus que le feu vert a été donné pour les visites des familles (1), au grand soulagement des acteurs. « C’est sans doute notre plus gros défi : rouvrir progressivement nos établissements. Nous préparons un protocole avec une structuration de l’accueil sur des plages définies, un nombre de personnes restreintes dans l’unité, avec tout son lot de mesures barrières », témoigne Séverine Laboue. Un exercice sous l’œil vigilant des ARS. « On comprend l’importance de cette mesure mais il ne faut pas compromettre la sécurité, prévient Pierre Ricordeau. Ce n’est pas un retour du droit de visite mais un compromis à construire dans chaque établissement. »
Alors que les organisations attendaient aussi avec impatience le retour des bénévoles et des professionnels libéraux, « il faut aussi prévoir celui des personnels en télétravail après le 11 mai, ajoute Séverine Laboue. Tout repenser, avec toujours la peur de la bascule en cas de contamination, déléguer pour avoir le maximum de réactivité et que chacun ait en tête les bons réflexes ». Une nouvelle tâche incombant aux directeurs qui attendent beaucoup de l’après-crise. « Cette expérience m’aura appris une chose et aura marqué mon histoire professionnelle : c’est uniquement grâce au collectif que l’on peut faire face, assure Pierre Gouabault. Sous-dotés de manière chronique en personnel qualifié, nous n’étions pas préparés à ce choc sanitaire. Cela confirme mes certitudes : le secteur a besoin de se restructurer. » Il espère une « réflexion sur les solidarités du grand âge ». Comme l’ensemble des acteurs qui attendent de pied ferme la loi tant promise.