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Relayage
Des ajustements encore à opérer

17/11/2021

Le dispositif expérimental de relayage à domicile devrait être prolongé de deux ans jusqu’en décembre 2023. L’enjeu ? Mieux objectiver l’impact des dérogations prévues au droit du travail sur les services, et surtout sur leurs salariés. De leur côté, les structures pionnières tirent déjà un bilan de la première phase de test.

© Baluchon Alzheimer

L’État s’est donc rangé à l’avis du comité de suivi national : il est urgent d’attendre encore. L’expérimentation de suppléance à domicile, rendue possible il y a trois ans jusqu’au 31 décembre prochain [1], sera sauf rebondissement poursuivie jusqu’à la fin 2023. C’est le sens de l’amendement gouvernemental au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), adopté le 22 octobre à l'Assemblée [2]. Car pour les pouvoirs publics, l’enjeu est grand, conformément à la Stratégie de mobilisation en faveur des aidants (2020-2022) : étoffer l’offre de répit proposée aux quelque 8 à 11 millions de Français concernés, en permettant à un seul et même professionnel de les remplacer auprès de leur proche en situation de dépendance durant leur absence, et ce pour une période allant jusqu’à six jours consécutifs. En s’attaquant pour cela à des piliers du droit du travail : repos quotidien susceptible d’être réduit ou totalement supprimé, attribution d'un repos compensateur pouvant être reporté à l’issue de l’intervention, règles relatives aux temps de pause et à la durée maximale hebdomadaire de travail non appliquées [3]. Y compris la nuit. Des dérogations potentiellement sensibles, a fortiori dans le secteur du domicile où la sinistralité connaît de tristes records… « C’est un Ovni juridique qui rétablit un certain nombre de servitudes à l’égard des salariés », résume ainsi Loïc Le Noc, secrétaire fédéral à la CFDT Santé sociaux. Le contexte sanitaire ayant entravé le déploiement du dispositif, impossible à ce stade de tirer des conclusions quant à l’impact de ces dérogations sur la santé physique et psychique des salariés. « Il est important d’avoir plus de temps, en période normale, pour avoir un recul consolidé », conclut aujourd’hui le cabinet de la ministre déléguée à l’Autonomie.

Mauvais timing

À l’été 2019, après appel à candidatures, 39 structures pionnières ont été sélectionnées pour déployer la prestation inspirée du baluchonnage québécois [4]. Dont les bénéfices pour le public ne sont plus à démontrer. « Dès lors que l’aidant parvient à lâcher prise et à déculpabiliser, il a un vrai besoin d’être relayé sur plusieurs jours », confirme Justine Vallet, chargée de développement à la Fédération ADMR de la Drôme où, depuis le début de l’année, le dispositif (nommé « baroulade » ici) a donné lieu à 75 appels téléphoniques. Pourtant, il n’en a pas d’emblée été ainsi : en 2020, les restrictions ont limité la demande des aidants, eux aussi assignés à résidence. « En réalité, on a vraiment démarré à l’automne il y a un an, avec une explosion des demandes depuis juin dernier, raconte de son côté Audrey Diemert, directrice de l’association 2APA en Alsace du Nord. On a notamment vu de nombreux parents d’enfants handicapés épuisés, les structures ayant dû fermer un temps pendant le premier confinement. » Résultat de ce retard à l’allumage ? Seuls 133 relayages ont pu être réalisés au niveau national. « L’évaluation se fonde sur un assez faible nombre de prestations et sur un échantillon réduit d’informations recueillies », confirment les éléments présentés en juin dernier au comité de suivi par la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). « L’expérimentation fixe sur 12 mois consécutifs un plafond de 94 jours de relayage cumulables par un même intervenant, rappelle Vincent Vincentelli, responsable Réglementation à l’Union nationale d'aide aux domiciles (UNA). Or, il est peu probable que les salariés en aient réalisé plus de 5 à 20 en trois ans. Dans ces conditions, peut-on vraiment estimer ces résultats pertinents ? »  

« Des baroudeuses, pas des techniciennes »

Pourtant, le retour des relayeurs, quant à lui, semble sans appel : 97 % d’entre eux se disent satisfaits de l’expérience, relève encore l’évaluation nationale. « S’ils le pouvaient, ils voudraient ne plus faire que cela, rapporte Audrey Diemert. Ils apprécient d’avoir le temps et la possibilité d’utiliser toute la palette de leur métier et de leur expérience, quand dans les services, on le sait, c’est toujours la course. » Avec une formation spécifique ? « C’est indispensable, approuve Sophie Lagüe, responsable Qualité, Développement et Partenariats à l’association bordelaise Aidomi. Car baluchonner implique un vrai changement de posture professionnelle par rapport à la fonction habituelle d’aide à domicile, les baluchonneuses étant là pour remplacer l’aidant dans son quotidien. C’est pourquoi, pour les recruter, nous n’avons pas cherché des techniciennes, mais des baroudeuses capables de s’adapter à toutes les situations. » Des professionnels le plus souvent choisis pour leur expérience et leur savoir-être sur la base du volontariat, impose le cahier des charges national. « Certes, rétorque Loic Le Noc, mais avec un salaire moyen de 800 euros dans le secteur, si on vous propose d’en gagner deux fois plus en quelques jours, évidemment que vous êtes volontaires ! »

D’autant qu’à demi-mot, certains reconnaissent déjà l’existence de dérives, faute de sécurisation juridique suffisante. « Certaines structures ont par exemple octroyé des primes aux salariés à la place du repos compensateur obligatoire, d’autres ont eu recours à une auxiliaire de vie pour effectuer la visite préalable, et non à un profil d’évaluateur des risques… Certaines choses auraient dû être mieux observées pour évaluer les travers possibles, analyse Rachel Petitprez, directrice de Baluchon France. Il y a clairement eu un manque d’accompagnement des pouvoirs publics sur le plan juridique : s’il y avait bien des dispositions auxquelles on pouvait déroger, faire le lien avec le droit du travail applicable est un casse-tête quelquefois insoluble. » « On touche là à des sujets sensibles, de solides garde-fous sont nécessaires, reconnaît à son tour Vincent Vincentelli. Sans compter qu’on contrevient aussi à la convention collective de la branche (CCB) : en clair, la loi vient dire aux partenaires sociaux qu’ils ne sont pas tenus d’appliquer ce qu’ils ont eux-mêmes négocié. Même si on peut comprendre l'enjeu, c’est une question de légitimité du dialogue social. »

Les plannings, un casse-tête

Du côté des employeurs, la satisfaction semble aussi de mise : sept structures sur dix se félicitent du relayage. Même si, parfois, on ne cache pas non plus la complexité que constitue sa gestion en interne. Pour faciliter l’ingénierie, Aidomi a opté pour une formule unique : des missions de trois jours et deux nuits. « Concrètement, cela signifie que chaque baluchonneuse ne peut travailler les six jours précédant la prestation ni les six jours suivants, traduit Sophie Lagüe. Il est évident que la gestion des repos compensateurs n’a pas d’emblée coulé de source. Le cadre dérogatoire n’était très précis. Je ne suis d’ailleurs pas sûre qu’on soit dans les clous sur tout. Mais pour le moment, on teste et on se fait confiance entre salariés, direction et comité social et économique (CSE). » En attendant, pas certain que cette gestion complexe soit jouable sur le long terme pour les gestionnaires. De là à voir se constituer demain au sein des services des spécialistes exclusivement dédiés au relayage ? « C’est évident, car cela va vite être compliqué, acquiesce Rachel Petitprez. Réserver une équipe au baluchonnage permettrait aux intervenants de se spécialiser et de ne plus avoir à jongler entre les postures professionnelles, et aux chefs de service d’avoir à les remplacer. » Autre enjeu de sécurisation juridique : l’épineuse question du temps de travail et de ses effets sur le contrat, relève Loïc Le Noc. « Pour un salarié à temps partiel, assurer un baluchon de deux jours induit forcément un dépassement du temps de travail prévu par son contrat. Lequel devient alors automatiquement requalifiable en temps plein… » Un cauchemar potentiel pour les employeurs de la branche où 89 % des personnels sont à temps partiel…[5] 

Quel financement? 

Les acteurs ont pointé également très tôt une autre carence : l’absence de crédits conséquents alloués à l’expérimentation, à l’exception des 3 millions d’euros fléchés par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) à l’amorçage. « Prévoir une expérimentation d’actions de soutien aux proches aidants reposant quasi uniquement sur leurs ressources financières risque de freiner le développement de cette solution de répit alternative », s’inquiétaient ainsi dès début 2019 une dizaine d’organisations du secteur. Pour limiter le reste à charge, les expérimentateurs ont donc dû d’abord se lancer dans une course aux cofinancements. Auprès de groupes de protection sociale (AG2R, Malakoff Médéric…), d’agences régionales de santé (ARS), de caisses d'assurance retraite (Carsat), voire de conseils départementaux. Comme en Loire-Atlantique, où la collectivité a débloqué une subvention de 45 000 euros sur deux ans, aiguillée par le résultat d’une consultation citoyenne menée en 2020 auprès d’aidants de personnes handicapées et autres acteurs ressources. « Celle-ci a montré combien les besoins de répit étaient devenus massifs avec la crise, explique Noémie Changeon, chargée de projet au service Parcours et soutien à domicile de la direction de l'Autonomie. La question du soutien aux aidants, qui seront de moins en moins nombreux dans les années à venir, est donc centrale pour les élus départementaux. » Et demain, craignent les expérimentateurs ? Seule certitude, la CNSA remettra la main au pot (5 millions d’euros) pour accompagner cette nouvelle phase, promet le gouvernement.

Pas de droit à l’erreur

En attendant, depuis la parution du PLFSS pour 2022, dans les rangs des expérimentateurs, c’est le soulagement. « Le risque était que le gouvernement se satisfasse des chiffres obtenus et décide d’une généralisation en l’état, explique Jérôme Perrin, directeur du développement à l’ADMR. Or, vu la responsabilité que nous prenons vis-à-vis des intervenants, nous devons obtenir le rapport le plus détaillé et objectivé possible sur ce qui a marché ou doit être amélioré. Quand on touche à des droits aussi fondamentaux, on n’a pas le droit à l’erreur. » L’expérimentation sera donc poursuivie durant deux années supplémentaires, le temps de mieux évaluer ses conséquences sur les relayeurs comme sur les services. Avec un maintien en l’état du cahier des charges actuel ? « Une fois le report officiellement validé par le Parlement, le comité de suivi devra être réuni pour remettre les choses sur la table afin de bâtir un cadre aux indicateurs robustes, prévient Loic Le Noc. Pas question de se retrouver en décembre 2023 avec la même évaluation indigente. »

[1] Décret n° 2018-1325 du 28 décembre 2018

[2] Le texte était examiné en première lecture au Sénat jusqu'à la mi-novembre.

[3] Avec un maximum de 48 heures en moyenne sur quatre mois consécutifs.

[4] Lire Direction[s] n° 183, p. 42

[5] Source : rapport de branche 2018, Uniformation.

Gladys Lepasteur

« Un vrai levier RH pour les services »

Rachel Petitprez, directrice de Baluchon France

« Notre mesure d’impact montre que les baluchonneurs affichent un fort taux de satisfaction. Outre le rythme des relayages, ils apprécient notamment l’autonomie et la responsabilité accrues qu’ils impliquent. C’est aussi un moyen pour eux de revenir à leur vocation première en allant plus loin dans la relation d’aide au lieu de multiplier les interventions courtes. Ils se sentent valorisés et ont par ailleurs la possibilité de mettre leur expérience à la disposition de l’aidant s’il le veut. Tout cela montre combien cette prestation peut devenir pour les services à domicile un vrai levier RH permettant d’attirer de nouveaux talents, mais aussi d’offrir à leurs personnels des perspectives d’évolution de carrière. La preuve : bien que toutes confrontées à des difficultés de recrutement, les structures expérimentatrices n’ont jamais eu de mal à trouver des volontaires. »

Repères 

  • 31 décembre 2023 : c’est la nouvelle date de fin de l’expérimentation proposée par amendement gouvernemental au PLFSS pour 2022.
  • 5 millions d’euros : c’est, au maximum, le montant du financement complémentaire qu’apportera la CNSA pour soutenir la prolongation de l’expérimentation.
  • 150 : c’est, entre mai 2019 et mi-avril 2021, le nombre de prestations réalisées à domicile (essentiellement de 3 et 6 jours), avec un pic d’activité entre juin et décembre 2020.
  • 89 % des aidants sont prêts à recourir à nouveau au dispositif.
  • 53 % des structures estiment que l’expérimentation a eu un impact sur leur mode d’organisation et de gestion.
  • « Cette prestation donnant une plus-value à la fonction d’intervenant à domicile. Cet accompagnement spécifique, qui répond à un vrai besoin, crée une réelle dynamique qui leur permet de retrouver le sens profond de leur mission » Justine Vallet (ADMR 26).

Publié dans le magazine Direction[s] N° 203 - décembre 2021






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