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Signalement
La mauvaise foi est une limite à la protection légale du salarié

08/09/2010

Pour la première fois, la Cour de cassation s'est prononcée sur le recours malveillant au signalement. La protection d'un salarié auteur de ce type de rapport n'est pas absolue si celui-ci a voulu nuire à son responsable hiérarchique ou à son employeur.

Cour de cassation, chambre sociale, 9 décembre 2009, n° 08-42666

«  ...Attendu que la cour d'appel a constaté qu'utilisant sans autorisation des documents couverts par la vie privée et le secret professionnel, Mme X a mis en cause en des termes outranciers (...) certains salariés (...) ; qu'ayant ainsi caractérisé la mauvaise foi de la salariée, la cour d'appel (...) a fait ressortir que l'intéressée n'a pas dénoncé des actes de maltraitance subis par les pensionnaires de l'établissement ; que rejetant implicitement mais nécessairement le moyen de nullité tiré de l'article L313-24 du Code de l'action sociale et des familles [CASF], elle a légalement justifié sa décision »

L'analyse

Dans cette affaire, une éducatrice a rédigé un rapport sur l'insertion professionelle des usagers menée par l'association où elle travaille. Dans ce document, figurent des copies de documents internes à l'établissement. Certains mentionnent nommément des résidants. Il contient également des copies de rapports de synthèse, des correspondances, de comptes-rendus de réunion, utilisés sans autorisation. L'éducatrice préconise le licenciement de certaines personnes désignées qu'elle accuse notamment « d'association de malfaiteurs » et conclut que son employeur est « incapable d'assurer sa mission d'insertion des personnes handicapées en raison des défaillances de son personnel et de ses méthodes inappropriées ». Par la suite, la salariée produit un mémoire universitaire – qui reprend les mêmes critiques – qu'elle diffuse auprès de plusieurs membres de l'association gestionnaire. Son employeur décide alors de licencier cette éducatrice pour faute grave, au motif que son comportement a créé des dissensions insurmontables au sein de l'équipe de travail et terni l'image de l'association à l'extérieur au point que le maintien de la salariée dans l'entreprise en est devenu impossible.

Secret professionnel

La juridiction prud'homale puis la cour d'appel statuent sur la contestation du licenciement. Le juge d'appel retient la mauvaise foi de l'intéressée, cette dernière ayant violé le secret professionnel et abusé de sa liberté d'expression. Mais il ne répond pas au moyen invoqué par l'éducatrice, à savoir une violation de la protection légale prévue par l'article L313-24 du Code de l'action sociale et des familles. En vertu de cet article, un salarié qui dénonce des actes de maltraitance ne peut, en effet, subir de mesures pénalisantes pour sa carrière professionnelle. L'article L313-24 avait fait l'objet d'une première application jurisprudentielle (1) qui semblait conférer une protection absolue aux auteurs de signalement, interdisant à l'employeur de le sanctionner par quelque moyen que ce soit. Ce premier précédent jurisprudentiel ne tenait pas compte d'un possible signalement effectué de mauvaise foi pour nuire à un collègue de travail, à un supérieur hiérarchique ou même à l'organisme gestionnaire.

L'éducatrice se pourvoit alors en cassation. Mais le juge suprême confirme l'arrêt d'appel au motif que le comportement de mauvaise foi de la salariée est établi dans les faits. Le signalement d'acte de maltraitance n'était donc pas en jeu.

Cet arrêt présente, de fait, trois intérêts majeurs. Tout d'abord, il indique aux professionnels que l'élaboration et la diffusion, par un salarié, d'un discours critique sur l'établissement, sur son personnel et sur son organisme gestionnaire ne constituent pas un signalement. Rappelons que la réalisation d'un signalement consiste à avertir les autorités administratives ou judiciaires en cas de privations, de mauvais traitements ou d'atteintes sexuelles commises sur un mineur de 15 ans ou sur une personne vulnérable (2). Mais l'arrêt va plus loin : le juge de cassation énonce que le défaut de signalement ne résulte pas d'un élément factuel – l'absence de signalement en bonne et due forme à l'autorité judiciaire ou administrative – mais de l'intention malveillante de son auteur. Ensuite, il démontre que la mauvaise foi est susceptible de justifier une exception au caractère absolu de la protection légale accordée au salarié par l'article L313-24 du CASF. C'est là, sans doute, le principal apport de cet arrêt qui rassurera celles et ceux qui exercent des fonctions managériales dans le secteur social et médico-social : en cas recours malveillant au signalement, la loi n'offre nulle impunité à son auteur. Enfin, il est implicitement reconnu que la documentation de travail de l'équipe pluridisciplinaire (rapports des professionnels, correspondances, comptes rendus de réunion de synthèse) est protégée par le secret professionnel. À ce titre, notons que les éducateurs sont astreints au respect de ce secret (3) comme tous les autres membres de l'équipe pluridisciplinaire, quelle que soit leur profession. Une telle interprétation est, d'ailleurs, cohérente au regard des dispositions spécifiques du droit des institutions sociales et médico-sociales selon lesquelles la personne accueillie a droit à la protection des informations personnelles qui la concernent (4).

(1) Lire Direction(s), n° 46, p. 12 (2) Code pénal, art. L434-3 (3) Code pénal, art. 226-13 et 226-14 (4) CASF, art. L311-3 et art. 7 de la charte des droits et libertés de la personne accueillie
Olivier Poinsot, avocat associé Cabinet Grandjean-Poinsot-Betrom

Publié dans le magazine Direction[s] N° 77 - octobre 2010






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