Cour de cassation, chambre sociale, n° 09-41608, 8 décembre 2010
« Attendu que la cour d'appel […] a constaté d'abord que le salarié n'avait fait qu'exécuter ses missions contractuelles en préparant un projet portant sur "l'évaluation qualité" ; ensuite, qu'il n'était pas établi qu'il avait été invité […] à s'abstenir […] de toute nouvelle initiative en ce domaine, si bien qu'il ne pouvait pas lui être reproché d'avoir […] réuni les chefs d'établissement pour les informer du projet et d'avoir accompli une démarche en vue d'en assurer le financement ; enfin que le salarié n'avait accompli aucun acte engageant irrévocablement l'association qui demeurait libre de ses choix ; en a exactement déduit que le comportement de l'intéressé n'était pas fautif »
Les faits
Le président d'une association licencie le directeur général (DG) pour faute grave. Motif : l'intéressé a pris l'initiative d'engager l'organisme gestionnaire dans une démarche qualité. Le DG avait fait appel à un consultant, puis élaboré un projet qu'il avait présenté aux directeurs d'établissements. En outre, il avait demandé le financement du volet formation auprès de l'organisme paritaire collecteur agréé. Pour le président, ces initiatives étaient constitutives d'une faute grave car les instances, qui n'avaient pas validé ce projet, avaient été placées devant le fait accompli. Autre reproche formulé à l'égard du directeur général : avoir engagé les ressources de l'association sans autorisation.
Devant le juge prud'homal, le DG a fait valoir que ses initiatives, qui ne se sont traduites par aucun commencement d'exécution, correspondaient à l'exercice normal de ses attributions. Au vu du contrat de travail et des statuts associatifs, la cour d'appel a constaté qu'il disposait des attributions les plus larges, sous l'autorité des organes décisionnels. Ce qui impliquait le pouvoir d'établir des projets de résolution à faire approuver par les instances. Elle se réfère à la fiche "responsable d'association à caractère social" du répertoire opérationnel des métiers et des emplois – Rome (1) en vertu de laquelle un directeur général a, notamment, pour mission d'étudier la faisabilité technique et financière des projets. Débouté, l'employeur se pourvoit alors en cassation. La Cour confirme l'arrêt d'appel, après avoir vérifié qu'il n'était pas prouvé que les instances statutaires lui aient donné instruction de s'abstenir de toute initiative et que ses actes n'avaient pas engagé irrévocablement le gestionnaire.
L'analyse
Plusieurs enseignements sont à tirer de cet arrêt. L'initiative technique de l'engagement dans une démarche qualité appartient bien au directeur général. Le juge rappelle ainsi que l'intéressé se situe dans une perspective de professionnalisme qui lui confère la compétence et la légitimité nécessaires pour rendre compte devant les instances statutaires d'un projet de démarche qualité, dont l'engagement résulte de la simple application de la loi du 2 janvier 2002. Ce dont tout directeur général est responsable dans l'exercice de sa fonction.
Cet arrêt de la Cour de cassation valide aussi le recours, même préalablement à toute décision, à un consultant afin de structurer le projet. Salarié de l'association, le DG n'en a pas moins un rôle à jouer dans le dispositif décisionnel. Issues de son contrat de travail et des statuts, ses attributions peuvent également résulter d'autres éléments extrinsèques, comme ceux figurant au Rome. Dans le cadre des recrutements, mais aussi à l'occasion de l'élaboration du document unique de délégations (DUD), le recours à d'autres référentiels métier peut être utile. Par ailleurs, dans l'exercice de ses missions, le directeur général est fondé à recourir à une méthodologie de concertation ou de participation impliquant les directeurs et les représentants du personnel.
Enfin, si le DG doit rendre des comptes, les instances doivent lui donner un mandat clair. En l'espèce, l'employeur avait allégué que celui-ci avait reçu instruction, au terme d'une séance du bureau, de ne plus prendre d'initiative en matière de démarche qualité. Seules avaient été produites pour preuves, deux attestations, écartées car non probantes. Peut-être en aurait-il été différemment si l'instruction avait été mentionnée explicitement dans une délibération transcrite par procès-verbal. Ce qui pointe l'intérêt de la tenue du secrétariat statutaire et sur la traçabilité des décisions, dans la mesure où le régime juridique associatif n'impose pas de tenir un registre des délibérations, ni de transcription des directives du président.
Il reste que la décision appartient in fine à l'association. Prévoir n'est pas décider. Le conseil d'administration aurait pu opter pour un autre parti que celui proposé par le DG. Elles auraient alors usé de leur pouvoir de substitution; un directeur général ne peut donc guère prendre de décisions irrévocables.
Articuler stratégie et gestion
Cet arrêt illustre une fois de plus le caractère fondamental de l'entente du « tandem » président-directeur général. Il réaffirme aussi une évidence : celle de la nécessité d'une alliance efficace entre professionnalisme et vision stratégique. La difficulté de la gouvernance associative dans le secteur social et médico-social est bien connue : celle du niveau de partage possible, en fonction des compétences des parties prenantes, entre les dirigeants salariés et les administrateurs bénévoles autour de la question du diagnostic stratégique. Plusieurs outils peuvent sans doute être mobilisés pour sécuriser ce point sensible, comme la formalisation et l'animation du projet associatif ou l'inscription des administrateurs dans un processus d'information-formation.
(1) Code Rome K1403 du répertoire national des certifications professionnelles
Olivier Poinsot, avocat au barreau de Montpellier, chargé de cours à l'École des hautes études en santé publique et à l'Institut d'administration des entreprises de Toulouse
Publié dans le magazine Direction[s] N° 87 - août 2011