Un premier pas vers l'instauration du principe majoritaire avait été franchi avec la loi du 20 août 2008. Celle-ci conditionnait la validité des accords collectifs à leur signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise (CE), de la délégation unique du personnel (DUP) ou, à défaut, des délégués du personnel (DP). Ce, quel que soit le nombre de votants.
L’accord ainsi conclu pouvait être remis en cause par le droit d’opposition exercé dans les huit jours de la notification de l’accord par les organisations syndicales majoritaires.
Les stratégies de ces dernières pouvaient se mouvoir dans cet espace propice au rapport de force. Ainsi, il n’était pas rare qu’un syndicat majoritaire refuse de signer l’accord collectif, réalise une communication particulièrement virulente au sujet des signataires minoritaires mais s’abstienne, in fine, d’utiliser son droit d’opposition.
La loi Travail du 8 août 2016 a mis un terme à cette pratique en franchissant, progressivement, le cap de l’accord majoritaire. La validité de l’accord collectif est dorénavant conditionnée par sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant obtenu plus de 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des dernières élections. La loi du 8 août 2016 porte ainsi le seuil de validité de l’accord de 30 % à 50 % des suffrages plus une voix, soit la majorité absolue. Le périmètre du seuil (à la différence de son calcul) reste identique à celui fixé par la loi du 20 août 2008, soit celui des dernières élections des titulaires au CE ou de la DUP ou, à défaut, des DP, quel que soit le nombre de votants.
Une application progressive…
Seules les négociations relatives au temps de travail, aux congés et au repos sont concernées depuis le 1er janvier 2017 par l’accord majoritaire. Les autres thèmes de négociation (à l’exception des accords en faveur de l’emploi) ne seront soumis à l’accord majoritaire qu’à compter du 1er janvier 2019, au plus tard.
Pendant cette période de transition de deux
ans, les deux seuils (« au moins 30 % des suffrages exprimés » apprécié globalement et « plus de 50 % des suffrages exprimés » en faveur des organisations syndicales représentatives) seront applicables selon la thématique abordée.
La question des accords plurithématiques ne manquera évidemment pas de se poser dans les prochains mois, notamment lors des négociations annuelles obligatoires (NAO)
de 2017. En effet, quel taux appliquer dans l’hypothèse d’un accord collectif couvrant plusieurs thématiques notamment celui du temps de travail et de la rémunération ? Le principe de précaution pourrait conduire à conclure autant d’accords collectifs que de thèmes concernés. Or, une telle pratique viendrait en opposition avec les compromis tant recherchés lors de négociation globale.
Un calcul de seuil différencié
La loi du 20 août 2008 prévoyait que le taux de 30 % devait être atteint par une ou plusieurs organisations syndicales sur la base de l’ensemble des suffrages exprimés lors du premier tour des élections. La loi du 16
août 2016 prévoit, quant à elle, que le seuil de plus de 50 % doit être atteint sur les suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives au premier tour des dernières élections. L’objectif de cette modification est de faciliter l’atteinte du seuil des 50 % puisque, de fait, les voix portées sur les organisations syndicales non représentatives (celles ayant obtenu moins de 10 % des suffrages exprimés) ne seront pas comptabilisées. La base de calcul étant plus resserrée, l’atteinte du seuil de plus de 50 % devrait être plus aisée. Enfin, le calcul reste identique pour apprécier la représentativité d’une organisation syndicale, à savoir 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections.
Le recours au référendum complexifié
Selon l’étude d’impact de la loi Travail, c’est pour éviter des situations exceptionnelles de blocage que des organisations syndicales ayant réuni au moins 30 % des suffrages des salariés pourront déclencher une consultation des salariés.
Si la condition de majorité n’est pas satisfaite, et si l'accord a été signé à la fois par l'employeur et par des organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des dernières élections, une ou plusieurs de ces organisations
pourront solliciter la mise en œuvre d’un référendum afin de
valider l’accord.
À noter. L’accord doit être signé tant par l’employeur que les organisations syndicales. Ainsi, l’employeur pourra indirectement s’opposer à l’organisation du référendum en refusant d’apposer sa signature sur le texte.
Il ne pourra pas mettre en route unilatéralement le référendum sur un texte signé par une ou plusieurs organisations syndicales ayant recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés. Le déclenchement de la procédure relève de la seule initiative d’une ou plusieurs de ces organisations syndicales.
En outre, le seuil des 30 % requis pour cette opération est différent de celui applicable du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2018 (et résultant de la loi du 20 août 2008) pour la signature des accords collectifs autres que ceux portant sur le temps de travail, les congés et temps de repos. La sécurisation juridique attendue n’est que très relative dans ce dédale de seuils…
L'organisation du vote
Les syndicats disposent d’un délai d’un mois pour solliciter par écrit, auprès de l’employeur et des organisations syndicales représentatives,
la tenue d’un référendum. Ce n’est que dans l’hypothèse où l’accord ne deviendrait pas majoritaire dans les huit jours suivant la demande que l’employeur devra organis
er, dans un délai de deux mois, la consultation du personnel sur la base d’un protocole négocié avec les seules organisations minoritaires.
Ce protocole devra porter sur :
- les modalités de transmission aux salariés du texte de l'accord ;
- le lieu, la date et l'heure du scrutin (nécessairement pendant le temps de travail) ;
- l'organisation et le déroulement du vote (à bulletin secret sous enveloppe ou par voie électronique) ;
- le texte de la question soumise au vote des salariés ;
- la liste des salariés devant être consultés.
Il sera valablement conclu s’il porte la signature d’une ou plusieurs organisations syndicales ayant recueilli plus de 30 %
des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives au premier tour des dernières élections.
Le résultat du vote fait l'objet d'un procès-verbal dont la publicité est assurée dans l'entreprise par tout moyen.
Enfin, l’accord majoritaire ou validé par référendum devra toujours, pour les structures concernées, obtenir l’agrément prévu par l’article L314-6 du Code de l’action sociale et des familles. Faute de quoi, il sera réputé non écrit. Le renforcement de la légitimité des accords collectifs ne devrait-il pas être l’occasion d’interroger le maintien de l’agrément ?
Stéphane Picard, Picard avocats, fondateur du réseau ACC3S
Principaux thèmes de dérogation pouvant être soumis à l’accord collectif
Primauté à la négociation d’entreprise |
Thèmes issus de la loi du 20 août 2008 | Thèmes issus de la loi du 16 août 2016 |
- Fixation du contingent d’heures supplémentaires et conditions de son dépassement
- Mise en place d’un repos compensateur de remplacement et conditions de prise du repos
- Convention de forfait en heures ou en jours sur l’année
- Aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année
- Mise en place d’un compte épargne temps (CET)
- Choix de la date de la journée de solidarité́
| - Détermination du taux de majoration des heures supplémentaires
- Rémunération des temps nécessaires à la restauration et aux pauses
- Assimilation des temps nécessaires aux opérations d’habillage et de déshabillage à du temps de travail effectif ou détermination de contreparties
- Mise en place des astreintes
- Dépassement de la durée quotidienne jusqu’à 12 heures
- Dépassement de la durée hebdomadaire moyenne de travail dans la limite de 46 heures sur une période quelconque continue de 12 semaines
- Dérogation à la durée minimale du repos quotidien
- Définition des jours fériés et chômés (sauf 1er mai)
- Mise en œuvre des congés payés dans l’entreprise
- Mise en place d’horaires à temps partiel
- Détermination du contingent d’heures complémentaires (jusqu’au tiers de la durée hebdomadaire ou mensuelle)
- Détermination des délais de prévenance pour les changements d’horaires des salariés à temps partiel
- Modalités de report d’heures en cas d’horaires individualisés
- Mise en place du travail de nuit
- Modalités de récupération des heures perdues
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Primauté de l’accord de branche étendu - Taux de majoration des heures complémentaires
- Instauration de compléments d’heures par avenant au contrat de travail
- Détermination de la durée minimale de travail hebdomadaire des salariés à temps partiel (accord de branche étendu)
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Publié dans le magazine Direction[s] N° 150 - février 2017