Ils seraient paresseux, narcissiques, capricieux, puériles, réfractaires à l'autorité, instables… N'en jetez plus ! Et de qui peut-on bien parler en ces termes si peu flatteurs ? Des Millennials, la génération post 1980, élargie à la « génération Z » désignant ceux nés après 1995, qui arrivent tout juste sur le marché du travail. Ils font l'objet de moult études, notamment parce que d'ici 2020, ils représenteront 50 % de la population active et autant de consommateurs. Des enquêtes rarement désintéressées mais qui permettent de nuancer leur portrait. Ainsi, seulement 3 % des 18-25 ans européens [1] déclarent vouloir travailler dans une start-up et selon une étude réalisée à l'échelle mondiale [3], 62 % des Millennials estiment qu'une carrière idéale se construit chez le même employeur.
Péchés de jeunesse
En fait, ne leur accolerait-on pas les défauts que l'on prête presque systématiquement à la jeunesse ? Toutes les nouvelles générations n'ont-elles pas bousculé, avec plus ou moins d'irrévérence, les professionnels déjà en place ? Sensible à « la belle dynamique » de la jeunesse, Martine Guyot, directrice du Foyer Saint-Joseph, une maison d'enfants à caractère social (Mecs), à Alès (Gard), appelle les managers à faire preuve de tolérance – « arrêtons d'opposer les générations ! » – et à faire confiance.
Néanmoins, les Millennials ne seraient pas tout à fait des jeunes comme les autres. Les Chinois les appellent les « ken lao zu », soit ceux qui mangent les vieux. Tout un programme ! La première génération née outils digitaux en main – les digital natives (que de noms de baptême) – les maîtrise mieux que leurs aînés. Un particularisme qui vient creuser le fossé entre les jeunes recrues et leurs encadrants. Dans une récente tribune sur le sujet [3], Thierry Jadot, président du réseau Dentsu Aegis, spécialisé dans la communication et le conseil digital, se range à cette citation d'Oscar Wilde (1854-1900) : « La nouvelle génération est épouvantable. J’aimerais tellement en faire partie ! »
Du mentorat inversé
Emmanuelle Borrits, formatrice en communication managériale, confirme : « C'est la première fois dans l'histoire de l'humanité que les jeunes ont quelque chose à apprendre à leurs aînés, ce qui vient remettre en cause la hiérarchie basée sur l'expertise.
L'organisation verticale, le discours "On me doit le respect, on n'a pas à contester mes ordres" ne fonctionnent plus ». Des entreprises (comme la SCNF ou IBM) ont déjà tiré partie de la situation en mettant en place des expériences de « mentorat inversé » (reverse mentoring ) : quand un junior forme un senior aux nouveaux outils. À l'inverse, des encadrants observent que des jeunes professionnels ont un usage inadéquat du digital. Directrice de l'association Regains (organisatrice de séjours pour personnes handicapées), à Nîmes (Gard), Isabelle Rovira ne sait « plus quoi faire face à de jeunes animateurs qui travaillent tout en envoyant des textos alors que l'on ne cesse de répéter que l'on attend d'eux une extrême vigilance », ou sont fautifs de gros dérapages (par exemple, la diffusion sans autorisation d'images du public sur les réseaux sociaux).
Nouvelle génération, nouveau management ?
Président de RC Human Recruitment, cabinet de conseil en recrutement dans le secteur médico-social, Richard Capmartin estime que les Millennials se distinguent également de par l'éducation qu'ils ont reçue : « C'est la "génération Dolto", leurs parents leur ont toujours dit "oui", les ont hypervalorisés. Résultat, ils ne savent pas gérer le conflit et ont du mal à prendre des décisions ». Et d'ajouter dans la foulée : « Mais c'est à la hiérarchie de s'adapter, d'être en support ». Et il n'y aurait pas à chercher bien loin pour trouver la bonne méthode : le profil et les attentes de ces jeunes correspondraient pile au « nouveau management actuellement en développement, transversal, collaboratif et bienveillant », ajoute le spécialiste. « On entend par collaboratif un "qu'attends-tu de moi ?" réciproque entre le jeune et son supérieur, un cadre de travail coconstruit », précise Emmanuelle Borrits. Les Millennials, qui auraient davantage que d'autres besoin d'être entourés et encouragés, « d'entretiens en individuel réguliers », conseille la formatrice. « Ils donneraient le meilleur d'eux-mêmes dans une organisation par projets qui rassasie leur appétence pour l'innovation », assure Richard Capmartin. On le voit, avec la nouvelle génération, l'encadrant est davantage un coach, voire un mentor, qu'un manager. Enfin, les Millennials, qui auraient le goût du défi et seraient en forte recherche de sens, de « contribution au monde », explique Emmanuelle Borrits, feraient, logiquement, de bonnes recrues pour le secteur médico-social.
[1] « Livre blanc : les Millenials, pour tout comprendre sur la génération Y », étude YouGov pour Monster, mars 2017, à consulter sur https://ecommerce.monster.fr
[2] « Les Millenials français : mythes et idées reçues », étude CBRE, novembre 2016, à commander sur http://news.cbre.fr
[3] Tribune publiée dans CB News, 15 novembre 2016, à retrouver sur linkedin.
Sophie Le Gall
Aller plus loin
La génération Y par elle-même. Quand les 18-30 ans réinventent la vie, Myriam Levain et Julia Tissier, éd. François Bourin, 2012.
Manager la génération Y, Marie Desplats et Florence Pinaud, éd. Dunod, 2015.
Le prix de la confiance, une révolution humaine au sein de l'entreprise, Didier Pitelet, éd. Eyrolles, 2013.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 156 - septembre 2017