Depuis 2000 et la loi relative à la réduction négociée du temps de travail dite « Aubry II », les entreprises sont autorisées à décompter la durée du travail en jours, et non plus en heures, pour les cadres autonomes. Si plusieurs textes ont ensuite élargi le dispositif et donné une plus grande liberté à l’employeur, c’est la loi Travail du 8 août 2016 qui est venue véritablement l'encadrer et le protéger. Néanmoins, la mise en place de ce système reste un exercice complexe et dangereux pour les organisations, d’autant plus que ce mode de travail concerne près d’un cadre sur deux selon les dernières statistiques du ministère. Pour limiter le risque contentieux, la sécurisation des forfaits jours doit s’opérer à deux moments : avant le déploiement du dispositif, puis tout au long de son existence.
L'anticipation de la démarche
À ce stade, l’employeur doit se poser trois questions.
1. Le salarié peut-il bénéficier du système ?
En premier lieu, la loi n’autorise la conclusion d’une convention de forfait en jours qu’avec les cadres (ou non-cadres sous certaines conditions spécifiques) disposant d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés [1]. Si le critère d’autonomie n’exige pas une totale indépendance, il n’en reste pas moins que la jurisprudence a considéré que le salarié soumis à des horaires prédéterminés, à un planning collectif ou déterminé par son supérieur hiérarchique, n’était pas autonome.
En second lieu, la loi exige que le professionnel appartienne aux catégories de salariés éligibles au forfait jours en vertu d’un accord collectif, que ce soit un accord d’entreprise, d’établissement ou, à défaut, un accord de branche [2]. De cette deuxième exigence découle la deuxième question.
2. Existe-t-il un accord collectif prévoyant ce mode de travail ?
Désireux de protéger les salariés concernés, le législateur a prévu que l’employeur ne puisse mettre en place des forfaits jours que si un accord d’entreprise, d’établissement ou, à défaut un accord de branche applicable à l’entreprise, le prévoit.
Pour être valable, cet accord collectif doit intégrer un certain nombre de clauses rappelées à l’article L3121-64 du Code du travail, dont la liste a été élargie par la loi Travail ainsi que par la jurisprudence de la Cour de cassation. L’accord doit ainsi fixer les catégories de salariés éligibles, le nombre de jours compris dans le forfait dans la limite de 218 jours, la période de référence du forfait (année civile ou autre), les conditions de prise en compte des absences, des arrivées et départs en cours de période, les caractéristiques principales devant être inscrites à la convention individuelle de forfait jours, les modalités de suivi de la charge de travail du salarié et de l’articulation entre son activité professionnelle et personnelle, et enfin les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion.
Surtout, la Cour de cassation a précisé que les accords devaient garantir le respect des durées maximales de travail ainsi que les repos journaliers et hebdomadaires, mais aussi assurer une charge de travail raisonnable [3].
3. Et si l’accord collectif est incomplet ?
Tout dépend de la date à laquelle l’accord collectif a été signé. Si celui-ci est antérieur à la loi Travail d'août 2016 et ne mentionne pas les clauses déjà prévues avant la loi (catégories de salariés éligibles, nombre de jours travaillés, caractéristiques des conventions individuelles), l’accord collectif n’est pas valable et les conventions de forfait conclues sont nulles. En revanche, si les clauses manquantes sont celles nouvellement établies par la loi, l’accord reste valide dès lors que l’employeur respecte a posteriori ces nouvelles dispositions et qu’il est en moyen de le prouver. C’est notamment le cas du contrôle de la charge de travail du salarié et du respect de son droit à la déconnexion.
Si l’accord a été conclu après la publication de la loi Travail et ne respecte pas les dispositions prévues, alors, en principe, les conventions individuelles sont nulles et réputées ne jamais avoir existées. La loi d'août 2016 a néanmoins permis à l’employeur de sécuriser les conventions individuelles de forfait conclues sur le fondement d’un accord collectif non conforme grâce à une nouveauté : les mesures unilatérales dite « de rattrapage » [4]. Cependant, n’allant pas au bout de sa logique de sécurisation, le législateur n’a fixé des mesures supplétives qu’en matière de contrôle de la charge de travail et de droit à la déconnexion. Pour le reste, il n’existe aucune possibilité de remédier aux carences de l’accord collectif sans opérer une révision de ce dernier.
4. Le salarié a-t-il signé une convention individuelle ?
Cette dernière question est indispensable pour rendre opposable une convention de forfait-jours au salarié. Ainsi, ce dernier doit avoir signé une convention individuelle (ou individualisée), nécessairement écrite et qui peut être une clause inscrite dans le contrat de travail [5]. Bien évidemment, cette convention doit indiquer les éléments essentiels du dispositif, c’est-à-dire le nombre de jours travaillés, les modalités de décompte de ces jours, les conditions de prise de repos, la rémunération et les modalités de surveillance de la charge de travail et l’articulation entre vie professionnelle et personnelle du salarié.
Une fois vérifié l’ensemble de ces conditions préalables, l’employeur doit veiller au respect d’un certain nombre d’obligations tout au long de la collaboration avec le salarié en forfait-jours.
Les obligations de l’employeur
C’est parce que le forfait en jours consiste à décompter le temps de travail non pas selon une référence horaire, mais selon le nombre de jours travaillés en toute autonomie par le salarié, que le législateur a prévu certaines dispositions visant à assurer la sécurité et protéger la santé du salarié.
• L’employeur laisse une autonomie réelle au salarié concerné dans l’organisation de son travail.
• Il garantit le respect du droit à la déconnexion du professionnel [6].
• Il se charge de contrôler le respect des règles.
Dans le cas du forfait jours, les dispositions relatives à la durée légale hebdomadaire de 35 heures et donc les heures supplémentaires, à la durée quotidienne maximale de travail, ou encore hebdomadaire, ne sont pas applicables. Cependant, l’employeur doit veiller au respect par le salarié du repos quotidien de 11 heures au minimum et du repos hebdomadaire de 24 heures, ainsi que des jours fériés et des congés payés.
En pratique, il existe plusieurs moyens permettant à l’employeur de s’assurer du respect de ces obligations. Par exemple, on peut imaginer un système de badgeage à l’arrivée et au départ du professionnel de l’entreprise, de système autodéclaratif informatique ou papier faisant état du nombre de jours travaillés, des jours de repos pris et des horaires effectués, ou encore, mais c’est plus rare, une fermeture des locaux peut être envisagée.
• Il assure un suivi régulier de la charge de travail.
Ancienne exigence jurisprudentielle, aujourd’hui formalisée par le Code du travail, le suivi de la charge de travail constitue le point le plus sensible en matière de forfait jours. Le plus souvent, c’est sur ce motif que l’employeur est défaillant et que les condamnations sont prononcées. Ainsi, la charge de travail doit être raisonnable pour respecter le droit à la santé et au repos du salarié.
Pour être totalement sécurisé, l’employeur doit d’abord prévoir un outil de contrôle des jours travaillés et de repos. Ensuite, le contrôle doit se matérialiser par plusieurs entretiens dans l’année portant sur « la charge de travail, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie familiale ainsi que sur sa rémunération ». Enfin, un dispositif d’alerte peut être mis en place afin de permettre au salarié d’avertir ses supérieurs de sa surcharge de travail. Ce, au-delà du respect du droit de la santé des salariés, afin de prouver, en cas de contentieux, que le contrôle était réel.
[1] Code du travail, art. L3121-58
[2] Code du travail, art. L3121-63
[3] Cass.soc, n° 09-71.107, 29 juin 2011 et n° 11-14.540, 26 septembre 2012
[4] Code du travail, art. L3121-65
[5] Code du travail, art. L.3121-55
[6] Lire Direction[s] n° 151, p. 34
Cédric Martins, avocat à la Cour, cabinet Barthélémy, Paris
Et si le salarié refuse de signer une convention individuelle ?
Une fois n’est pas coutume, le Code du travail se montre très clair sur le fait que l’accord du salarié soit requis pour ce mode de travail. Par conséquent, si le professionnel refuse de signer sa convention individuelle de forfait, l’employeur ne peut lui imposer ou sanctionner son refus. Ce dernier a alors deux solutions : soit abandonner l’idée pour le salarié concerné ; soit engager une procédure de licenciement pour refus de modification du contrat de travail en justifiant de la nécessité de ce changement. En tout état de cause, la convention de forfait jours peut-être « essentialisée » par l’employeur lors de l’embauche du salarié.
De nombreux risques pour l’employeur en cas de nullité de la convention
Au civil, le salarié est censé n’avoir jamais été soumis au forfait jours et, dès lors, peut réclamer le paiement des heures de travail qu’il a dû effectuer au-delà de 35 heures, à titre d’heures supplémentaires. En outre, il peut provoquer la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur, ce qui produira les mêmes effets que ceux d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Enfin, le professionnel pourra prétendre à une indemnité complémentaire de six mois de salaire à la charge de l’employeur pour travail dissimulé. L’Urssaf pourra également diligenter une procédure de redressement. Le risque peut être ainsi systémique si les autres salariés viennent à connaître les issues du contentieux.
Au pénal, l’employeur encourt une peine de trois ans de prison et une amende de 45 000 euros pour travail dissimulé.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 156 - septembre 2017