Les ordonnances dites Macron ont inscrit dans le Code du travail un nouveau mode de rupture collectif autonome permettant à l’entreprise, quel que soit son effectif et sa situation économique, de négocier par accord collectif un cadre commun de départs volontaires « excluant tout licenciement pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés en termes de suppression d’emploi ».
En réalité, ce « nouveau » mode de rupture ne fait que reprendre la mouture jurisprudentielle du plan de départ volontaire dit « autonome » puisqu’exclusif de tout départ ne reposant pas sur le volontariat. Le cadre juridique reste similaire : la rupture conventionnelle collective (RCC) nécessite la signature d’un accord collectif. Celle-ci doit contenir un certain nombre de mesures (modalité d’information des instances représentatives du personnel – IRP, nombre maximal de départs envisagés, dispositions visant à faciliter le reclassement externe, etc.). Enfin, la mise en œuvre est également soumise au contrôle et à la validation de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte).
Dès lors qu’il s’agit d’un régime autonome de rupture du contrat de travail, les dispositions relatives au licenciement pour motif économique et à la rupture conventionnelle individuelle ne s’appliquent pas. Néanmoins, pour limiter le risque que les entreprises n’utilisent la RCC dans l’unique objectif de se soustraire de leurs obligations en matière de licenciement économique, le ministère du Travail a prévenu que l’administration refuserait de valider un accord collectif portant sur cette disposition si celui-ci n’était pas totalement dissociée du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Il est ainsi déconseillé de négocier ce mode de rupture, puis un PSE si l’objectif de suppression d’emploi n’était pas atteint. La logique est de permettre au salarié d’avoir le choix de quitter ou non l’entreprise sans qu'il y ait menace de fermeture de celle-ci.
Conditionné à la signature d’un accord collectif, ce dispositif doit donc recueillir le consentement des organisations syndicales majoritaires dans l’entreprise, ce qui n’est pas nécessaire dans le cadre d’un PSE. Ainsi, sauf mise en place d’un financement important de la RCC, il ne sera pas aisé de mettre d’accord les syndicats dès lors que le PSE présente une plus grande sécurité pour les salariés.
1 Quelle procédure suivre ?
Sous peine de voir invalidé l’accord, l’employeur doit respecter un certain nombre d’étapes désormais formalisées dans le Code du travail. L’administration doit être informée sans délai de l’ouverture d’une négociation en vue de parvenir à la signature d’un accord collectif portant rupture conventionnelle collective. Les décrets du 20 décembre 2017 prévoient que l'employeur annonce par voie dématérialisée au directeur de la Direccte dont relève son établissement concerné son intention d'entamer une négociation. Si l’accord touche plusieurs structures, l’employeur doit informer le Direccte du siège qui devra saisir le ministre du Travail afin que soit désigné le directeur de la Direccte compétent dans un délai de dix jours. À défaut, c'est celui du siège qui sera compétent.
L’employeur est ensuite tenu d'avertir les représentants du personnel de l’ouverture des négociations. L’accord devra obligatoirement contenir les modalités et conditions d’information du comité social et économique (CSE) ou, si ce dernier n’a toujours pas été mis en place [1], du comité d’entreprise (CE) et à défaut des délégués du personnel (DP).
L’accord devra comprendre un certain nombre de dispositions dessinant le cadre juridique de la mise en œuvre de la rupture conventionnelle collective. C’est ainsi par la négociation que l’employeur répondra à un certain nombre de questions telles que :
- le nombre maximal de départs envisagés, de suppressions d’emplois associées et la durée de mise en œuvre de la RCC ;
- les modalités d’adhésion au dispositif et de départage des candidats au départ sans être discriminatoires ou contraires au principe d’égalité de traitement [2] ;
- les modalités et calculs des indemnités versées sans être inférieurs aux indemnités légales dues en cas de licenciement ;
- les mesures visant à faciliter le reclassement des salariés.
Enfin, une fois l’accord conclu, il doit être transmis à l’administration pour validation. Celle-ci dispose de 15 jours pour répondre. Le défaut de réponse vaut décision implicite de validation. Dans ce cas, l’employeur doit adresser une copie de sa demande de validation avec accusé réception aux IRP et organisations syndicales signataires de l’accord. Néanmoins, ce délai de 15 jours ne court qu’à compter de la réception du dossier complet. Il doit donc comprendre l’accord collectif et les informations permettant de constater qu’il a été conclu dans des conditions régulières [3]. L’administration peut à ce titre réclamer des éléments complémentaires nécessaires à la validation. En cas de refus, l’employeur qui souhaite malgré tout continuer son projet doit entamer de nouvelles négociations et apporter les modifications nécessaires.
En outre, les décisions de validation, ou acceptation implicite, ainsi que les voies et délais de recours doivent être portés à la connaissance des salariés par voie d’affichage (un courriel à l’ensemble des salariés peut également suffire).
2 Un suivi régulier
Une fois l’accord validé, celui-ci doit faire l’objet d’un suivi régulier par le CSE qui devra être régulièrement consulté. Les modalités de suivi de la mise en œuvre sont fixées par l’accord lui-même. Les avis rendus par le CSE doivent être transmis à la Direccte, tout comme un bilan de l'application de l’accord, par l’employeur dans un délai d’un mois suivant la fin des mesures de reclassement [4].
Passées toutes ces étapes, l’acceptation par l’employeur de la candidature du salarié dans le cadre de la RCC emporte rupture du contrat de travail d’un commun accord des parties.
Pour l’employeur, ce dispositif présente la capacité d’être relativement sûr juridiquement et rapide à mettre en place. Par ailleurs, il peut passer outre l’interdiction de recruter pendant six mois en CDD.
[1] Lire Direction[s] n° 161, p. 30 et n° 162, p. 30
[2] Les Direccte seront particulièrement attentives à ce que les seniors ne soient pas directement ciblés.
[3] Attention. Il existe des dispositions particulières lorsque l’ampleur de la suppression d’emploi affecte l’équilibre du ou des bassins d’emploi (pour les grandes entreprises).
[4] Le contenu de ce bilan doit encore faire l’objet d’un décret.
Cédric Martins, avocat à la Cour, Barthélémy Avocats
Et en cas de candidatures insuffisantes ?
Rien n’interdit à l’employeur de prévoir dans l’accord un nombre minimal de départs sans lesquels il renoncerait à la rupture conventionnelle collective. Il peut également décider de se satisfaire du nombre même inférieur aux candidatures envisagées. Enfin, il peut engager une procédure de licenciement pour motif économique en respectant l’ensemble des dispositions relatives au plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Pour éviter tout risque contentieux, et lorsque l’employeur connaît des difficultés économiques, il est donc recommandé d’établir un tel plan avec un volet de départs négociés.
Avantages et inconvénients pour les salariés
Avantages. Pour inciter les syndicats à signer l’accord collectif, l’employeur devra nécessairement rendre le dispositif intéressant financièrement pour les salariés. En outre, la rupture conventionnelle collective (RCC) est moins stressante et traumatisante que les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui désignent les professionnels faisant l’objet d’un licenciement. Le salarié sera ainsi l’acteur principal de la RCC reposant sur le strict volontariat. Le dispositif est d’ailleurs plus rapide que le PSE. Enfin, la loi de finances 2018 a aligné le régime social et fiscal des indemnités versées dans le cadre d’un accord RCC sur celles d’un PSE : les indemnités sont exonérées d’impôt sur le revenu, sans limite de montant, et de cotisations de Sécurité sociale dans la limite de deux fois le plafond annuel (Pass).
Inconvénients. La RCC n’apporte pas les mêmes garanties qu’un plan de départ volontaire ou qu’un PSE. En effet, dans la mesure où elle est déconnectée de tout motif économique, le salarié n’a pas le droit au bénéfice de la priorité de réembauche (sauf négociation dans l’accord), ni à celui du contrat de sécurisation professionnelle ou d’un congé de reclassement. Par ailleurs, si le salarié peut toujours contester la rupture de son contrat de travail dans un délai de 12 mois, il ne peut le faire que sous l’angle du vice du consentement.
Références
Code du travail, articles L1237-19, L1237-19-1, L1237-19-2, L1237-19-3, D1237-7
Décret n° 2017-1723 du 20 décembre 2017 (autorité administrative compétente pour valider l'accord collectif)
Décret n° 2017-1724 du 20 décembre 2017 (mise en œuvre des ruptures d'un commun accord dans le cadre d'un accord collectif)
Publié dans le magazine Direction[s] N° 163 - avril 2018