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Droit du travail
Face au harcèlement et aux agissements sexistes

05/06/2019

Afin de sanctionner plus largement les faits de harcèlement moral et sexuel ainsi que les agissements sexistes, la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018 [1] a accru les obligations de l’employeur en matière de prévention. Alors que le ministère du Travail vient d’éditer un guide pratique [2], quels sont donc les outils à mettre en place ?

Dans le sillage du mouvement populaire encourageant les femmes à témoigner de toutes les violences sexuelles, le législateur a renforcé la prévention du harcèlement sexuel et des agissements sexistes. La réalité du terrain est que ces dérives, si elles existent, restent moins fréquentes dans les entreprises que les situations de harcèlement moral.

Chacun de ces comportements abusifs fait l’objet d’une définition propre, aussi bien dans le Code du travail que dans le Code pénal (lire références). Les sanctions encourues sont également spécifiques. Que l’abus soit moral ou à connotation sexuelle, l’attitude de l’employeur pour prévenir et traiter les cas qui lui sont soumis procède d’un même cheminement. Les outils à déployer sont également identiques.

1 Respecter l’obligation de sécurité de résultat

Les violences morales, à connotation sexuelle ou non, peuvent être commises dans le monde de l’entreprise, comme dans la vie courante. Dans les relations de travail, la victime pourra être un salarié, un travailleur mis à disposition, également un stagiaire ou une personne en formation. L’auteur pourra aussi bien être un supérieur hiérarchique qu’un collègue, un subordonné, voire même un tiers à l’entreprise (usager, fournisseur, prestataire, administrateur…).

La particularité de tels actes commis dans le cadre professionnel est qu’en pratique la victime saisit rarement le juge répressif pour engager la responsabilité pénale de l’auteur ou pour obtenir une réparation. Le plus souvent, elle saisira le juge prud’homal. C’est alors l’employeur qui devra répondre de ses souffrances. Sa responsabilité pourra être engagée en raison du manque ou de la défaillance des mesures de prévention ainsi que l’absence d’intervention faisant suite à une plainte. L’enjeu ? Éviter la rupture du contrat aux torts de l’employeur (résiliation judiciaire) ou la violation de l’obligation de sécurité (dommages intérêts ou faute inexcusable).

Le principe est que ce dernier est tenu à une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, notamment à propos de harcèlement moral ou sexuel et d’agissements sexistes. Pour la Cour de cassation, le respect de cette obligation nécessite d’abord de prendre toutes les mesures de prévention nécessaires [3]. Ensuite, lorsque l’employeur est informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement, il doit justifier avoir pris des dispositions immédiates pour les faire cesser. En cas de litige, le juge vérifiera donc les deux aspects, préventif et palliatif, de l'obligation générale de sécurité [4].

À noter. Le salarié est également tenu à une obligation de sécurité, sans que celle-ci soit de nature à exonérer l’employeur de la sienne. Conformément aux instructions qui lui sont données, dans les conditions prévues par le règlement intérieur, il incombe à chaque professionnel de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail [5].

2 Prévenir les comportements abusifs

Les démarches obligatoires

La loi impose à l’employeur des obligations minimales. Il est indispensable de les respecter afin d’éviter une condamnation au titre du manquement à l’obligation de sécurité.

  • Intégrer dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) les harcèlements et les agissements sexistes. Une fois les situations à risque identifiées, la rédaction du DUERP est la manifestation concrète de la mise en place de la politique de prévention [6].
  • Désigner un référent harcèlement sexuel dans une entreprise au-delà de 250 salariés. Il peut s’agir d’un membre de la direction des ressources humaines (DRH). Il est chargé d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés.
  • Rappeler au comité social et économique (CSE) qu’il doit désigner parmi les élus un référent harcèlement sexuel (résolution votée à la majorité des présents), pour une durée qui prend fin avec celle de leur mandat.
  • Informer les salariés, sans oublier les personnes en formation ou en stage, des textes du Code pénal qui sanctionnent le harcèlement moral et sexuel. Ce sous la forme d’un affichage ou de tout autre moyen (intranet, notes d’information) [7].

La loi du 5 septembre 2018 ajoute désormais l’obligation, dans les lieux de travail ainsi que dans les locaux ou à la porte des locaux où se fait l’embauche, d’informer par tout moyen [8] :

  • des actions contentieuses civiles et pénales ouvertes en matière de harcèlement sexuel (information sur les moyens d’action à la disposition des salariés).
  • les coordonnées des autorités et services compétents [9] : adresse et numéro d’appel du médecin du travail ou du service de santé au travail compétent pour l’établissement, de l’inspection du travail compétente (nom de l’inspecteur), du Défenseur des droits et du référent CSE ad hoc.

L’employeur doit mettre à jour le règlement intérieur (obligatoire dans les entreprises d’au moins 20 salariés) avec les dispositions relatives aux harcèlements moral et sexuel et aux agissements sexistes prévues par le Code du travail [10].

En toute hypothèse, il faut prendre en compte les dispositions qui peuvent avoir été négociées dans la convention collective. Les branches d’activité sanitaire, sociale et médico-sociale comme celle de l’aide à domicile ont l’obligation de négocier sur le thème des harcèlements et plus généralement la qualité de vie au travail et des risques psychosociaux.

 

Des démarches complémentaires

D’autres initiatives peuvent être prises. Elles seront autant d’arguments permettant à l’employeur de justifier le respect de son obligation de sécurité :

  • Mettre en place des actions d’information et de formation visant à améliorer la connaissance, la prévention et l'identification des phénomènes de harcèlement : une meilleure sensibilisation et une formation adéquate des responsables hiérarchiques et des salariés réduisent la probabilité des cas de survenance de violence au travail.
  • Adapter l’organisation du travail : améliorer les conditions et l’environnement de travail, en particulier en cas de réorganisation, restructuration ou changement de périmètre de l’entreprise.
  • Mettre à disposition du personnel des outils ou plateformes de communication : il peut être intéressant de donner à tous les acteurs de l’entreprise des possibilités d’échanger à propos de leur travail.
  • Établir une charte de référence expliquant la procédure à suivre si un cas se produit, éventuellement annexée au règlement intérieur.
  • Mettre en place une procédure de diagnostic et de traitement des situations de harcèlement, en concertation avec le CSE.
  • Proposer une procédure de médiation (lire l’encadré) : prévue pour le harcèlement moral, elle peut être étendue au harcèlement sexuel.

3 Agir immédiatement

Lorsqu’une situation possible de harcèlement moral ou sexuel est révélée à l’employeur, il a, en raison de son obligation de sécurité, le devoir de mener une enquête.

Le traitement d’une telle situation passe nécessairement par une phase de qualification des faits dans le cadre d’une procédure d’enquête. Dans cette optique, il peut être opportun de créer une commission de traitement ad hoc, dont l’objectif prioritaire sera d’éviter la naissance d’un contentieux. Par conséquent, sa composition devra garantir son impartialité. S’agissant d’un dispositif non réglementé, l’employeur est libre de choisir ses membres, par exemple au sein du CSE ou de la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT).

Attention. Le chef d’entreprise ne saurait être lié par les propositions de la commission dans la mesure où elle n’a qu’un pouvoir consultatif.

 

Déroulement de l’enquête

Le process habituel consiste à entendre la victime. Cet entretien doit avoir lieu en premier aux fins d’enregistrer précisément les griefs reprochés aux personnes en cause. L’employeur ou son représentant devra examiner les actes incriminés, leur nature, leur date, leur périodicité, leurs circonstances, ainsi que tout élément objectif de nature à clarifier la situation. La réalité des faits devra être vérifiée auprès des témoins éventuels des agissements, ainsi que des responsables de service.

Puis il faut convoquer le (ou les) auteurs désigné(s).  Au début de l'entretien, le chef d’entreprise devra en expliquer au salarié les raisons, sauf s’il estime que l’information du prétendu harceleur risque d’altérer les preuves des faits.

Il est conseillé d’enregistrer les déclarations et justifications apportées, ce pour l’ensemble des personnes entendues. La signature par celles-ci de comptes rendus écrits est aussi indiquée. Parallèlement, il faut adopter d’éventuelles mesures temporaires pour placer la victime hors de portée du harceleur. Puis il s’agit de clôturer l’enquête par un rapport écrit (synthèses des entretiens et préconisations de la commission). Enfin, il reviendra à l’employeur de qualifier les faits.

En toute hypothèse, l’enquête doit être conduite dans un délai limité : l’employeur a deux mois maximum pour engager les démarches disciplinaires à compter de la connaissance des faits. La sanction est laissée à son appréciation, elle peut aller jusqu’au licenciement pour faute grave. Il est nécessaire de prendre des mesures pour que le salarié ne puisse continuer ou renouveler ses agissements. À l’inverse, si la qualification donnée par la victime n’est pas retenue, il conviendra de la justifier par écrit auprès des différents protagonistes, et de prendre éventuellement des mesures adaptées à la situation.

[1] Complétée par le décret n° 2019-15 du 8 janvier 2019

[2] Agissements sexistes et harcèlement sexuel au travail : guide pratique
et juridique, mars 2019, sur https://travail-emploi.gouv.fr

[3] Code du travail, art. L4121-1 et 2

[4] Cass. soc., 25 novembre 2015, n° 14-24.444

[5] Code du travail, art. L4122-1

[6] Code du travail, art. R4121-1

[7] Code du travail, art. L1152-4

[8] Code du travail, art. L1153-5, Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, art. 105 (V)

[9] Code du travail, art. D1151-1

[10] Code du travail, art. L1321-2

Frédérique Marron, avocate, Capstan avocats Lyon

Possibilité de recours à la médiation

Encadrée juridiquement en matière de harcèlement moral, la procédure de médiation peut être mise en œuvre par toute personne de l'entreprise s'estimant victime ou par la personne mise en cause [1]. Ce n’est donc pas l’employeur qui initie cette procédure, sauf s’il est l’auteur désigné. Le médiateur tente de concilier les parties et leur soumet les propositions qu'il consigne par écrit en vue de mettre fin au harcèlement. En cas d’échec de la médiation, il informe les parties des éventuelles sanctions encourues et des garanties procédurales prévues en faveur de la victime.

[1] Code du travail, article L1152-6

En cas d'accusations injustes ?

Une personne injustement désignée comme auteur d’abus peut engager des poursuites pénales en dénonciation calomnieuse [1]. En droit du travail, le salarié accusateur est susceptible d’être sanctionné si l’employeur parvient à démontrer sa mauvaise foi, c’est-à-dire la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce. Preuve, on en conviendra, très difficile à rapporter.

[1] Code pénal, article 226-10

Références

Harcèlement moral : Code du travail, article L1152-1 et Code pénal, art. 222-33-2 et 222-33-2-2

Harcèlement sexuel : Code du travail, art. L1153-1 et Code pénal, art. 222-33

Agissements sexistes : Code du travail, art. L1142-2-1 et Code pénal, art. 222-33 et 621-1, I (outrage sexiste)

Publié dans le magazine Direction[s] N° 176 - juin 2019






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