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Y a-t-il vraiment urgence ?

02/12/2020

Situations de crise sanitaire, financière ou juridique, ou tout simplement rythme effréné du quotidien : des directeurs et cadres ont choisi de ne plus se laisser prendre au piège de l’urgence. Leur politique ? Le pied sur le frein, afin de distinguer les vraies priorités et de ne pas tomber dans l’engrenage.

L’urgence est un mode de fonctionnement qui a priori ne rime ni avec temporisation, ni avec sérénité. Mais auquel nombre de directeurs sont acculés régulièrement, a fortiori en ces temps d’épidémie et de crise sanitaire. « La notion d’urgence porte l’idée qu’il est impératif d’agir dans l’immédiateté, dans un contexte de sollicitation permanente », pointe Julie Lacaze-Labadie, ingénieure en sociologie, ancienne responsable des formations cadres à l’Institut du travail social (ITS) de Pau et aujourd’hui coach pour dirigeants. Avec à la clé, une efficacité pas toujours optimale, assortie de stress, voire d’un risque de burn-out.  

Pas de baguette magique

Pour sortir de cet engrenage, des directeurs ont opté pour mettre le pied sur le frein. D’abord, en priorisant strictement les tâches à accomplir. « À mon arrivée dans une structure, je commence systématiquement par identifier où il y a précisément urgence, témoigne Rémy Théveny, associé du cabinet Directransition et actuellement administrateur provisoire d'un centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) dans le Grand-Est. Les seuls aspects répondant à la notion d’urgence absolue étant ceux liées à l'hygiène, aux soins ou à la protection des personnes. Ce qui n’est pas le cas, en revanche, de l’administratif, du juridique ou du financier, pour lesquels je vais me poser, pour mieux repérer les difficultés. »

Une telle attitude implique d’accepter de ne pas pouvoir tout résoudre d’un coup de baguette magique et de lâcher prise sur l’accessoire, au moins temporairement. « Pour cela, il est essentiel de se défaire du poids de l’émotion ou de la crainte de déplaire (aux équipes, aux usagers, aux partenaires…), en se concentrant sur le factuel et l’opérationnel », relève Bruno Lefebvre, psychologue clinicien, associé fondateur du cabinet de conseil AlterAlliance. « Nous avons attendu quatre jours après la remise en place des visites dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), le temps de l’arrivée des plexiglas et de l'organisation des zones, pour être en mesure d’assurer une sécurité maximale à tous. Quitte à mécontenter un peu familles et résidents », illustre François Nicolas, directeur général de la Fondation Filseine en Normandie.

Le temps de l’écoute et de l’échange

Plus largement, il semble que la clé de la sérénité et de l’efficacité dans l’urgence repose sur l’anticipation. « Si, au cœur de la crise, nous avons pu mettre en œuvre, sans précipitation ni cafouillage, les plans d’action appropriés, c’est parce que depuis janvier, nous opérions une veille sur l’évolution de la pandémie dans le monde, souligne François Nicolas. Tout en prenant des options anticipatrices des mesures sanitaires (commande de matériels de protection, confinement anticipé des Ehpad) et organisationnelles (mise en place précoce du télétravail et d’une cellule de soutien psychologique, installation de comités de communication hebdomadaires en visioconférence et réorganisation des équipes). »

Autre levier : l’écoute. « Une phase importante de mon travail pour investiguer la situation réelle de la structure est de me connecter, de manière individuelle, à ceux qui vivent la crise au quotidien, indique Rémy Théveny. Ce n’est que dans un second temps, une fois l’esprit de coopération revenu, que l’on peut s’attaquer à la reconstruction collective des fondements de l’action. » Par ailleurs, sortir les professionnels des procédures et des plannings peut les aider à retrouver le sens du métier – la relation – et à libérer la créativité et l’inventivité de chacun.

Autant d’actions qu’il est fortement conseillé de ne pas mener dans sa tour d’ivoire, mais de traiter dans un cadre collégial. « Que ce soit pour élaborer des réformes structurelles ou pour communiquer, se mettre autour d’une table avec l’ensemble des parties prenantes est nécessaire afin d'aboutir à des solutions partagées, donc durables », estime Bruno Lefebvre.

Apprendre à lâcher prise

Cette capacité à prendre du recul est parfois innée. Le plus souvent, elle s’apprend et surtout se cultive. Par l’expérience, mais aussi par le suivi de formations au management des situations de crise. Ou encore par des séances de coaching en connaissance de soi et en apprentissage du lâcher-prise. Ce qui peut passer par la sophrologie, la méditation, l’hypnose ou encore la programmation neurolinguistique. Objectif : revoir ses représentations mentales pour ne plus être esclave de l’urgence et de ses affects. Une évolution qui permettra de mieux gérer, et avec un stress moindre pour tous, les besoins en cours. Mais aussi de contrôler, d’ores et déjà, les prochaines montées d’adrénaline.

Catherine Piraud-Rouet

Publié dans le magazine Direction[s] N° 192 - décembre 2020






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