Quels sont les leviers que la loi instaurant un état d’urgence sanitaire donne aux employeurs en matière d’organisation du travail ?
Stéphane Picard. Avant même son entrée en vigueur, les employeurs pouvaient décaler les congés payés (CP) déjà posés et non encore pris des salariés. Pour cela, il est nécessaire à condition de respecter un délai d’un mois, « sauf en cas de circonstances exceptionnelles ». Dans un questions-réponses, le ministère du Travail a confirmé que l’épidémie de coronavirus rentrait dans cette catégorie. Toutefois, les juges ne sont pas liés par cette interprétation. Il vaut donc mieux communiquer le plus en amont possible et justifier pourquoi le confinement et la gestion de la crise épidémique a rendu nécessaire de prendre cette mesure sans respecter ce délai.
Avec la promulgation de la loi, les employeurs pourront en outre imposer les dates des CP non posés, dans la limite de six jours ouvrables par salarié. Ce, sans justifier des circonstances exceptionnelles, mais sous réserve d’avoir signé un accord d’entreprise ou de branche le permettant. Un sacré bémol dans un contexte peu propice à la réunion des instances de négociation et où pourtant les structures ont besoin de s’organiser très rapidement. De plus, un agrément (L314-6 du CASF) de cet accord collectif pourrait être nécessaire pour les structures relevant de ce dispositif particulier. Il s’agit donc d’une mesure quasiment inexploitable à l’heure de l’urgence sanitaire dans les établissements. L’employeur devra donc rechercher un accord individuel avec le salarié… Reste que « jouer » sur les CP permet de régler des situations individuelles de court terme, mais pas d’organiser des solutions de moyen ou long terme.
Les employeurs pourront aussi imposer ou modifier unilatéralement des jours de RTT et de repos des conventions forfait et jours affectés sur le compte épargne temps…
S.P. Une formulation très restrictive puisque ne sont pas mentionnées les « récupérations » des heures supplémentaires, à savoir les repos compensateurs de remplacement et les contreparties obligatoires en repos. Des pratiques pourtant fréquentes. Reste à voir si l’ordonnance qui sera prise en application sera plus explicite... C’est un point de vigilance.
Quelles sont les autres dispositions à noter ?
S.P. Concernant la prime dite Macron, les organismes gestionnaires privés à but non lucratif du secteur qui sont reconnus d’intérêt général bénéficiaient déjà, au titre d’une instruction ministérielle, de l’exonération de conclusion préalable d’un accord collectif sur l’intéressement préalable. Le projet de loi sécurise ainsi juridiquement cette exception. En outre, pour ceux qui avaient prévu de la verser, ils auront un délai supplémentaire pour le faire au-delà du 30 juin. Mais pas d’incitation ou d’aide particulière pour ceux qui ne l’avaient pas déjà budgété…
Concernant les CSE, les modalités de leur information et de leur consultation seraient aménagées pour leur permettre d’émettre les avis requis dans les délais impartis, peut-être en étendant la possibilité de se réunir davantage par visio-conférence (trois fois par an maximum normalement en l’absence d’accord entre l’employeur et le CSE). Et pour les CSE qui ne seraient pas encore installés, le processus électoral pourra être suspendu.
1) Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19
Propos recueillis par Noémie Gilliotte