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Gestion d'équipe post-crise : la bienveillance avant tout

06/05/2020

Le retour à la normale après l'épidémie de coronavirus ? Il va vraisemblablement prendre du temps, et sans doute plus encore dans les établissements et services du secteur social et médico-social. Où l'encadrement va devoir accompagner les équipes avec une attention toute particulière.

Des établissements et des services ont été fermés et leurs résidents confinés dans leur famille. D'autres ont poursuivi leur activité, avec plus ou moins de difficultés. Certains, en particulier des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou des structures pour personnes handicapées ou sans domicile, ont été confrontés à la maladie et au décès de résidents… Si les conséquences de l'épidémie de Covid-19 sont différentes d'une organisation à l'autre, chacune d'entre elles est marquée à des degrés divers, tout comme le sont les professionnels, au même titre que l'ensemble de la population. Difficile, même après le déconfinement et le retour au quotidien, d'en faire abstraction. « Il est même d'autant plus nécessaire d'être attentif que des professionnels qui, au cours des dernières semaines, auront tenu bon dans l'urgence, risquent de s'effondrer lorsque le calme reviendra et que la tension s'estompera », prévient François Enius, conseil de dirigeants d'entreprise.

1) Favoriser la libération de la parole

Que les professionnels aient dû faire face ou non à des situations dramatiques, tourner la page du jour au lendemain est difficilement envisageable. La phase de cicatrisation sera plus ou moins longue selon le vécu des professionnels et la manière dont l'établissement ou le service, mais plus généralement aussi leur territoire, aura subi les conséquences de cette crise sanitaire et sociale sans précédent. « Il va y avoir un besoin fort de parler, de partager ce qui a été vécu. Pour refermer cette page, l'écoute sera essentielle. Et elle est de la responsabilité de l'encadrement, en particulier lorsqu'il a été demandé aux équipes de rester sur le pont dans des conditions très difficiles », assure encore François Enius.

Si ce partage et cette écoute concernent d'abord les salariés en première ligne dans la gestion de la crise, les autres ne doivent pas être oubliés. « Même les gens qui auront été relativement préservés, notamment ceux ayant traversé cette période en confinement à leur domicile, auront été touchés, parce qu'ils auront été malades, qu'un de leur proche l'aura été ou aura succombé… Ils ont aussi pu ressentir un sentiment d'inutilité dans une phase de crise et être inquiets pour leurs collègues sur le pont, comme pour les usagers qu'ils côtoient habituellement chaque jour », remarque Emmanuelle Hervé, directrice générale du cabinet EH&A, spécialiste de la communication sensible. De son côté, Nathalie Maroun, directrice associée d'Heiderich, cabinet spécialisé dans la gestion de crise, souligne l'intérêt de cette libération de la parole. « Pour dépasser cette épreuve, il est indispensable de construire un récit commun en s'appuyant sur la parole des professionnels de terrain. » Ces échanges en réunions d'équipe doivent être complétés par des rendez-vous en face-à-face. Dans les structures où la pandémie a fait des victimes, la mise en place d'une cellule d'écoute psychologique est indispensable.

2) Ne pas relâcher son attention

Si les premières semaines d'après-crise seront particulièrement sensibles, les mois qui vont suivre le seront tout autant. « Certains vont mettre des semaines, voire des mois, à se remettre », souligne François Enius. D'où l'importance de rester en éveil pour repérer les signaux faibles. « Les changements de comportement, pas seulement chez ceux qui ont visiblement du mal à reprendre le cours normal de l'activité, doivent alerter », poursuit le consultant. « Les dirigeants comme les managers de proximité doivent rester particulièrement disponibles et ménager des possibilités d'échanges individuels », complète Emmanuelle Hervé.

3) Réaliser un retour d'expérience

L'après-crise doit donner lieu à un retour d'expérience. « C'est un exercice délicat car il ne s'agit pas de refaire le match, mais de tirer des enseignements et de se tourner vers l'avenir », souligne Nathalie Maroun. Il n'est donc pas question de s'interroger sur les responsabilités des uns et des autres, mais bien de se concentrer sur les faits, l'organisation et les process, de la manière la plus objective possible. « Ce retour d'expérience doit être organisé de manière très formelle, avec des réunions, des ateliers, et faire l'objet de comptes rendus écrits destinés, dans un second temps, à définir un plan d'actions, avec des indicateurs destinés à suivre leur mise en œuvre. Il peut d'ailleurs s'avérer utile de confier cette mission à un intervenant extérieur », préconise Emmanuelle Hervé.

Cette phase doit aussi permettre de cerner les pratiques sortant du cadre habituel ayant permis de faire front. « Dans les situations critiques, des process alternatifs peuvent voir le jour. Après évaluation, il peut être intéressant de les conserver s'ils ont fait la preuve de leur efficacité », suggère Emmanuelle Hervé.

Dans beaucoup d'établissements, si le pire a été évité, c'est souvent grâce à l'implication des professionnels, à une cohésion de groupe et à une solidarité décuplée. « C'est un élément à relever, d'abord pour marquer sa reconnaissance. Mais aussi pour imaginer des moyens de faire perdurer cet esprit collectif qui a permis de faire face à l'adversité », note Nathalie Maroun.

4) Adapter le rythme de la reprise

« Lorsqu'une ville subit une coupure de courant géante, la lumière est réenclenchée quartier par quartier pour s'assurer que la puissance nécessaire est disponible. C'est de cette manière que doit s'envisager le retour à la normale : en douceur », propose François Enius. En clair, il s'agit d'abord de se concentrer sur le quotidien avant de se pencher sur des sujets moins essentiels qui seront remis progressivement à l'ordre du jour. « Les projets mis en sommeil doivent être repris sans précipitation, en fonction des capacités des équipes qui auront besoin de se retrouver et de reprendre leur souffle avant de se lancer dans de grands chantiers. Il ne faudrait pas passer d'une crise à un échec », met en garde Emmanuelle Hervé.

En parallèle, il peut s'avérer utile de rappeler la nécessité de respecter les process et les bonnes pratiques. « La crise a contraint à un fonctionnement dans un mode dégradé. Le "bricolage" ne doit pas perdurer », note François Enius. Quant aux moyens de marquer plus symboliquement l'ouverture d'une nouvelle période, il doit être pensé au cas par cas. Dans les établissements épargnés, il sera possible d'organiser une fête pour célébrer les retrouvailles entre professionnels et usagers. Il n'en ira pas de même dans ceux qui auront été frappés de plein fouet par l'épidémie.

Jean-Marc Engelhard

Point de vue

Luc Lafond, directeur de la Maison d'Éole, CCAS de Versailles (78)

« À la Maison d'Éole, nous avons limité au maximum la présence du personnel, l'externat ayant été fermé et près de la moitié des résidents étant rentrés dans leurs familles pour y passer la période du confinement. Et, même si notre foyer est pour l’instant épargné par le Covid-19, le retour à la normale sera très progressif. Après cette période anxiogène, voire traumatisante pour ceux qui ont dû affronter la maladie ou la disparition d'un proche, il est indispensable de laisser le temps aux professionnels de reprendre leurs marques et aux résidents de retrouver un rythme normal. Ce temps, nous le devons aux professionnels qui, par leur engagement et leur courage, peuvent être légitimement fiers d'avoir continué à proposer un accompagnement bienveillant aux résidents. Il revient à la direction de redéfinir le cap à moyen terme, en décalant à plus tard les projets qui ne sont pas essentiels. Par exemple, nous devions terminer notre nouveau projet d'établissement au premier semestre de cette année. Il va de soi que ce n'est désormais plus la priorité du moment. »

Publié dans le magazine Direction[s] N° 186 - mai 2020





Derniers Commentaires

PHILIPPE GABERAN

Inscrit le 18/05/2020
lundi 18 mai 2020 14:32

Merci pour ces contributions. Je veux retenir de celles-ci que la crise n'a pas toujours "contraint à un mode de fonctionnement dégradé", pour reprendre les termes de François Enius. Partout où les professionnels ont pu et ont su répondre avec bienveilance et ingéniosité face à l'urgence, à l'imprévu et, très souvent, avec des moyens inadaptés, ces derniers s'inquiètent de devoir revenir à des modes de fonctionnement d'avant la crise et des process aussi inutiles que coûteux en énergie. Il ne s'agit pas de se lancer dans une chasse aux sorcières mais, bel et bien et dans l'esprit de l'article proposé, de penser les leçons de la crise. 

Noémie GILLIOTTE

Inscrit le 07/01/2020
lundi 18 mai 2020 14:36

Bonjour monsieur Gaberan. Et merci à vous pour votre commentaire. Notre dossier du numéro de juin devrait à ce titre vous intéresser !


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