Ouvert aux salariés volontaires, le télétravail est subordonné à la conclusion d’un accord collectif ou, à défaut, à l’élaboration d’une charte par l’employeur après avis du comité social et économique (CSE). En l’absence d’accord ou de charte, un salarié et l’employeur pourront convenir de recourir à ce dispositif en formalisant leur accord par tout moyen (lire l’encadré).
En cas de circonstances exceptionnelles
L’épidémie de Covid-19 et les grèves importantes de décembre ont conduit à une autre forme de mise en œuvre ouverte par l’ordonnance du 22 septembre 2017. Lors de circonstances exceptionnelles, le télétravail peut être considéré comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’organisation et garantir la protection des salariés. Autrement dit, il s’impose et ce, même en l’absence de tout acte juridique de mise en place.
Une telle « activation » de ce mode de travail à la guise de l’employeur, sans qu’il existe le moindre accord ou charte dans l’enceinte de l’entreprise, n’a pas manqué de laisser libre court à quelques interprétations contradictoires, voire à des conflits sur les conditions d’indemnisation du salarié entre représentants du personnel et employeurs.
Dans sa rédaction issue de la loi du 22 mars 2012 dite « Warsmann », l’article L1222-10 du Code du travail prévoyait : « L’employeur est tenu à l’égard du salarié en télétravail de prendre en charge tous les coûts découlant directement de l'exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci. » L’ordonnance du 22 septembre 2017 a modifié la rédaction et supprimé toute référence à la prise en charge des coûts liés au télétravail.
Une prise en charge des coûts ?
Seul demeure l’accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juillet 2005 [1] qui oblige l’employeur à prendre en charge tous les coûts directement engendrés par cette organisation. Si l’application de cet accord dans le champ sanitaire, social et médico-social était écartée pendant de nombreuses années en l’absence de procédure d’élargissement, il se pourrait bien que la situation ait changé récemment du fait de l’adhésion des principales organisations patronales du secteur à la Confédération des PME (CPME). La conséquence principale serait la suivante : sauf à conclure un accord collectif y dérogeant spécifiquement, l’employeur est donc tenu par cette prise en charge des coûts. L’actualité du secteur est donc à surveiller de près sur ce point dans l’attente de plus amples précisions sur les termes de cette adhésion…
En tout état de cause, il n’empêche que cette suppression législative ne semblerait pas contrevenir au principe jurisprudentiel selon lequel les frais professionnels engagés par le salarié dans l’intérêt de l’entreprise doivent être supportés par l’employeur [2].
Récemment, le ministère du Travail a, quant à lui, considéré que « l’employeur n’est pas tenu de verser à son salarié une indemnité de télétravail destinée à lui rembourser les frais découlant du télétravail, sauf si l’entreprise est dotée d’un accord ou d’une charte qui la prévoit. Les droits habituels en matière de restauration sont maintenus (tickets restaurant, primes de repas, etc.) ».
Critiquable à divers égards, il est utile de souligner que la position du ministère n’est nullement opposable aux juridictions qui pourront adopter une lecture plus large et surtout plus appropriée aux textes existants. Par exemple, on peut citer le fait qu'en cette période de crise sanitaire et s’agissant d’une mesure d’aménagement visant à protéger la santé et la sécurité, le Code du travail prévoit au contraire que les dispositions prises en matière de santé et de sécurité au travail ne doivent entraîner aucune charge financière pour les travailleurs [3].
Par conséquent, il est fortement recommandé de définir largement les conditions de mise en œuvre du télétravail par voie d’accord et, pour ceux qui sont d’ores et déjà couverts par un tel accord, d’engager un processus de révision pour tirer, dès à présent, les enseignements de la période que nous venons de connaître.
Il est également important de souligner que cette prise en charge des coûts ne doit pas être confondue avec l’indemnité d’occupation du domicile du salarié à des fins professionnelles [4]. Un salarié ne sera éligible à cette indemnité que dans l’hypothèse où un local professionnel n’est pas mis effectivement à sa disposition. Autrement dit, le recours ponctuel (même pour plusieurs semaines à office de cinq jours par semaine) à cette organisation ne semble pas concerné.
Des risques professionnels spécifiques
De telles interrogations sont récurrentes et démultipliées pendant cette pandémie ; tout comme l’est la prise en compte des risques professionnels propres au télétravail. En effet, le télétravailleur a les mêmes doits que le salarié qui assure sa fonction dans les locaux de l’entreprise (obligation de sécurité de l’employeur, législation professionnelle des accidents du travail, etc.). Si les principes de droit commun doivent s’appliquer avec la même vigueur, la nature particulière du lieu de travail (le domicile du professionnel) rendra délicat le respect de ces obligations.
À noter. Certains accords d’entreprise prévoient une visite du domicile par des membres de la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) préalablement au passage en télétravail ou une attestation « décharge de responsabilité » signée par le salarié.
L’employeur n’a en effet aucune maîtrise sur le domicile du salarié. La démarche de prévention en sera d’autant plus délicate quand bien même un risque apparaît bien identifié : la prévention des risques psychosociaux.
À cela s’ajoute évidemment le risque pour le personnel d’être victime d’un accident du travail et l’employeur de considérer que l’origine professionnelle n’est pas établie. Il n’aura pas fallu attendre le recours massif au télétravail pour obtenir des précisions. L’acception large de la notion d’accident du travail trouve tout son sens dans ce cas : le lieu de travail étant le domicile… Enfin, si le protocole de déconfinement s’assouplit et que ce type d'organisation n’est désormais plus la norme, il n’en demeure pas moins qu’il reste, en période exceptionnelle, une solution à privilégier pour un retour progressif à une activité présentielle. Y compris alternée.
[1] Dont les partenaires sociaux affirment aujourd’hui engager un processus de révision pour tenir compte des dernières évolutions législatives et conjoncturelles.
[2] Cass. soc., 14 janvier 2015, n° 13-16.229 ; Arrêté du 20 décembre 2002, article 1
[3] Code du travail, article L4122-2
[4] Cass. soc., 11 juillet 2012, n° 10-28.847
François Legras, avocat, Picard avocats
Une organisation à formaliser
Un courriel pourrait avoir l’avantage de la simplicité quand l’accord ou la charte doivent a minima prévoir :
- les conditions de passage en télétravail,
- les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre de cette organisation, de contrôle du temps de travail,
- la détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut contacter le professionnel,
- les modalités d’accès des travailleurs handicapés.
Déterminante pour la réussite du télétravail, la rédaction de ces clauses permet aussi de sécuriser et d’objectiver un refus de l’employeur d’une telle demande. La pratique recommande d’y ajouter, autant que faire se peut, des précisions sur la mise à disposition des moyens de ce dispositif et, à des fins de respect du règlement général sur la protection des données (RGPD), l’encadrement de son utilisation. Ou encore, sujet récurrent pendant l’épidémie de Covid-19, la question de la prise en charge des coûts.
Références
Code du travail, articles L1222-9 et L1222-11
Publié dans le magazine Direction[s] N° 189 - septembre 2020