L’anticipation du risque prud’homal et la visibilité sur le coût probable d’une condamnation sont des données importantes pour tout employeur avant de décider de rompre un contrat de travail. Des objectifs au cœur du barème dit Macron, instauré par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017. Pourtant, la pratique judiciaire actuelle révèle un barème toujours contesté, une multiplication des chefs de demande et une tentative quasi systématique de le contourner par une action en nullité du licenciement…
Un barème questionné…
L’article L1235-3 du Code du travail fixe ainsi, selon l’ancienneté du salarié et la taille de l’association, des planchers et plafonds applicables pour tout licenciement jugé comme ne reposant pas sur une cause réelle et sérieuse. Trois ans après son instauration, le flou est pourtant toujours de mise pour les employeurs, la Cour de cassation n’ayant pas encore statué sur le sujet. Évidemment, cette dernière a rendu deux avis en faveur de la conventionnalité du barème le 17 juillet 2019, et plusieurs cours d’appel en font une stricte application. Toutefois, le doute perdure devant de nombreuses juridictions qui écartent ce barème par des arguments plus ou moins d’opportunité. Il est d’ailleurs assez cocasse de constater que dans de nombreuses conclusions rédigées par les conseils des salariés, les développements consacrés à la non-application du barème sont plus importants que ceux ayant trait à la contestation du licenciement lui-même… L’année 2021 devrait être celle de la clarification pour la Cour de cassation sur ce sujet, même si les instances européennes auront certainement leur mot à dire sur cette question.
… et de plus en plus contourné
Le législateur avait prévu des garde-fous dans la mise en œuvre du barème « Macron ». En effet, la loi écarte son application lorsque le juge constate que le licenciement est entaché de l’une des nullités suivantes :
- violation d’une liberté fondamentale ;
- faits de harcèlement moral ou sexuel ;
- licenciement discriminatoire ;
- licenciement en lien avec l’exercice d’une action en justice en matière d'égalité professionnelle, ou avec une dénonciation de crimes et délits ;
- licenciement d’un salarié protégé sans avoir obtenu l’autorisation préalable de l’inspection du travail ;
- licenciement pendant une période de protection au titre d’un accident du travail/ maladie professionnelle (AT/MP).
À noter. Aujourd’hui, la cause de nullité la plus fréquemment invoquée devant les juridictions est celle afférente à une situation de harcèlement moral.
Si la nullité du licenciement est prononcée, les conséquences financières pour l’employeur peuvent être très importantes et plus difficilement anticipées. Outre d’éventuels dommages et intérêts (par exemple, au titre du préjudice moral ou d'un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur), le salarié peut demander sa réintégration dans l'entreprise. Dans ce cas, il peut solliciter une somme forfaitaire correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration. Ce, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé. Précisons à cette fin que l’ampleur du risque pour l’employeur est fonction des délais procéduraux, actuellement de plusieurs années pour nombre de juridictions prud’homales…
À noter. Les rémunérations et revenus de remplacement perçus par le salarié au cours de la période concernée doivent être déduis de cette indemnisation forfaitaire, sauf lorsque la cause de la nullité consiste en la violation d’une liberté fondamentale. Par ailleurs, cette somme forfaitaire brute est assujettie à cotisations sociales.
En l’absence de demande de réintégration, le salarié peut solliciter une indemnité pour licenciement nul, dont le montant est souverainement apprécié par les juges du fond dès lors qu'il est au moins égal aux salaires des six derniers mois, étant rappelé qu’il appartient au salarié de justifier de l’étendue de son préjudice.
En pratique, et compte tenu des enjeux indemnitaires, la demande de nullité du licenciement devient presque systématique devant le juge prud’homal. La demande de licenciement sans cause réelle et sérieuse – et ainsi la question de l’application du barème – lui étant alors nécessairement subsidiaire. Couplée à la tentative de multiplication des chefs de préjudice, l’évaluation du risque devient un jeu d’équilibriste… Déstabilisant l’objectif initial du barème introduit il y a trois ans.
Stéphane Picard, avocat, Picard avocats
CCN 66 : n’oubliez pas l’indemnité conventionnelle !
Le montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement déjà perçu par le salarié peut être pris en compte dans l’appréciation des dommages et intérêts à lui allouer en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, permettant ainsi d’atténuer sensiblement le montant des dommages et intérêts alloués. Une possibilité très peu fréquemment utilisée et qu’il est intéressant de soulever devant le conseil de prud’hommes, notamment pour les employeurs relevant de la convention collective nationale de 1966 (CCN 66) et des accords CHRS (pour centres d'hébergement et de réinsertion sociale), où cette indemnité conventionnelle est plus avantageuse que l’indemnité légale de licenciement.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 193 - janvier 2021