Dans le cadre de l’exercice de son pouvoir disciplinaire, un employeur peut sanctionner le comportement d’un salarié qu’il considère fautif. En application de l’article L1332-2 du Code du travail, la tenue d’un entretien avant le prononcé de la sanction n’est imposée que si celle-ci a une incidence sur la présence, la fonction, la carrière ou la rémunération du professionnel dans l’entreprise.
Il existe néanmoins des exceptions à ce principe. Dans deux arrêts du 22 septembre 2021 [1], la Cour de cassation a en effet rappelé sa position en la matière lorsqu’une convention collective exige un certain nombre de sanctions avant de notifier un licenciement. Dans une telle hypothèse, la Haute Cour considère que toutes les sanctions, y compris celles qui n’ont pas, en théorie, d’incidence sur la présence du salarié dans l’entreprise, doivent être précédées d’un entretien. Une telle démarche a des conséquences pratiques non négligeables qu’il convient de connaître pour anticiper les contentieux.
1 Si l’avertissement peut conduire au licenciement
Dans les deux affaires du 22 septembre 2021 concernant des associations relevant de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 (CCN 66), deux salariés avaient été licenciés pour motif disciplinaire. Comme cela était imposé par le texte conventionnel, l’employeur leur avait notifié deux sanctions disciplinaires avant de les licencier. Néanmoins, les professionnels contestaient leur licenciement en arguant du fait que, dès lors que la CCN 66 imposait la notification d'au moins deux sanctions disciplinaires avant toute décision de licenciement, celles-ci pouvaient conditionner leur maintien à leur poste de travail et devaient donc être précédées d’un entretien préalable.
La Cour de cassation a validé ce raisonnement. Selon elle, l’employeur aurait dû convoquer les salariés à un entretien antérieurement à la notification de toute sanction disciplinaire dès lors que chaque sanction, en application des dispositions conventionnelles, constituait un préalable éventuel au licenciement disciplinaire.
Si une telle décision est la première rendue par la Cour de cassation à propos de salariés embauchés dans le secteur médico-social, le raisonnement n’est en réalité pas nouveau. En effet, en 2011 [2], la Haute Cour avait retenu la même solution s’agissant d’un règlement intérieur qui prévoyait qu’un licenciement disciplinaire ne pouvait intervenir qu’après la notification préalable de deux sanctions.
La convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951 (CCN 51) subordonne également le licenciement disciplinaire d’un salarié à la notification d’au moins une sanction antérieure [3]. Elle va même plus loin en indiquant que toute sanction doit faire l’objet d’un entretien préalable, de sorte que les employeurs soumis à ces dispositions sont aussi concernés par les décisions du 22 septembre 2021.
2 Des conséquences pratiques à prendre en compte
Les répercussions de cette position de la Cour de cassation ne sont pas négligeables. En effet, dans les deux arrêts commentés, la Haute Cour avait :
- d’une part, précisé qu’en cas de demande d’annulation des sanctions disciplinaires notifiées sans entretien préalable, les salariés pouvaient bénéficier de dommages et intérêts pour notification irrégulière d’une sanction ;
- d’autre part, considéré que le licenciement (hors faute grave) qui découlait des sanctions irrégulièrement notifiées était dénué, de facto, de cause réelle et sérieuse entraînant ainsi la potentielle condamnation de l’employeur à verser les indemnités afférentes (indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité de licenciement, indemnité compensatrice de préavis, congés payés afférents).
Ainsi, les enjeux de ce type de contentieux peuvent vite devenir significatifs. Dans ce contexte, les employeurs concernés par les dispositions des CCN 66 et 51, devront impérativement appliquer la jurisprudence de la Cour de cassation et organiser un entretien préalable avant toute notification d’une sanction disciplinaire. Et pour les autres, il peut être opportun de vérifier les dispositions qui leur sont applicables.
[1] Cass. soc. 22 septembre 2021, n° 18-22.204 et n° 19-12.538
[2] Cass. soc. 3 mai 2011, n° 10-14.104
[3] CCN 51, article 05.03.2
Anne Leleu-Été et Marine Jégou, cabinet Axel avocats
Publié dans le magazine Direction[s] N° 205 - février 2022