Succession, vente, fusion, transformation du fonds… La notion de transfert d’entreprise recouvre des situations variées et s’applique aussi bien au secteur privé lucratif que non lucratif. En pratique, les applications juridiques sont aussi nombreuses que cruciales à maîtriser.
Dans ce cas-là, le premier réflexe consiste à s’interroger sur l’existence, ou non, d’une entité économique autonome. Définie par la jurisprudence comme un « ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre » [1], cette notion constitue la clé de voûte du régime juridique institué par lea Code du travail et la chambre sociale de la Cour de cassation.
La mise en cause automatique du statut collectif
Première conséquence majeure ? La mise en cause automatique du statut collectif, notamment des conventions et accords collectifs applicables au sein de l’entité transférée. Ainsi, le nouvel employeur n’est en principe pas tenu par les accords collectifs qui liaient son prédécesseur.
Le législateur est toutefois intervenu pour atténuer et organiser ce changement de statut collectif. L’article L2261-14 du Code du travail prévoit ainsi que la convention ou l’accord continue de produire effet jusqu’à l’entrée en vigueur de celui de substitution ou, à défaut, pendant une durée d’un an à compter de l’expiration d’un délai de préavis, fixé par défaut à trois mois. Autrement dit, le principe est celui de la survie des conventions et accords pendant une durée maximum de principe de 15 mois. Entretemps, une nouvelle négociation d’un accord de substitution doit être engagée par le repreneur. En l'absence de conclusion d’un tel accord au terme du délai de survie de l’accord, les anciennes dispositions conventionnelles cessent d’être applicables et les salariés bénéficient seulement du Le Transfert de tous les contrats de travail… ou presque
Autre répercussion de l’existence d’une entité économique autonome : les contrats de travail des salariés sont automatiquement transférés au nouvel employeur, en application des dispositions d’ordre public de l’article L1224-1 du Code du travail. Ce transfert est dit de plein droit car il s’opère par le seul effet de la loi et s’impose tant aux employeurs successifs qu’aux salariés.
Mais qu’en est-il des salariés affectés à plusieurs activités, et dont l’une d’entre elles seulement est cédée ? Dans un premier temps, la Cour de cassation avait admis la possibilité de procéder au transfert partiel du contrat de travail du professionnel [2]. Ainsi, lorsque ce dernier était affecté à plusieurs activités, si l’une d’entre elles était cédée et qu’elle constituait une entité économique autonome, la jurisprudence admettait que cette entité puisse être transférée à un nouvel employeur. Il en résultait qu’un salarié travaillant à temps plein pour un seul employeur pouvait devenir un salarié à temps partiel de plusieurs employeurs, en application du transfert. En pratique, les difficultés susceptibles de se poser étaient nombreuses et fréquentes, pour ne pas dire systématiques.
Trois exceptions au principe de scission du contrat
Finalement, au terme d’une décennie de scission forcée du contrat de travail, la Cour de cassation a fait évoluer une première fois sa position en précisant que lorsque le contrat s’exécutait « pour l’essentiel » dans le secteur d’activité repris, l’ensemble du contrat de travail devait être transféré [3]. Dans un arrêt du 30 septembre 2020 [4], contrainte cette fois par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) [5], la Cour de cassation a modifié une seconde fois sa position en faisant à nouveau prévaloir le principe de la scission du contrat de travail, avec toutefois quelques nuances importantes.
Dorénavant, le principe est celui de la scission du contrat de travail au prorata des fonctions exercées par le salarié. Cela implique donc en pratique de déterminer de façon très précise la répartition du temps de travail exercé par le salarié entre les différentes activités, antérieurement au transfert. La Cour de cassation rappelle qu’il existe néanmoins trois exceptions à ce principe :
- lorsque la scission du contrat de travail « est impossible »,
- ou qu'elle « entraîne une détérioration des conditions de travail [du salarié] »,
- ou encore qu'elle « porte atteinte au maintien [des] droits [de celui-ci] garantis par la directive »[6].
Ni la CJUE, ni la Cour de cassation ne sont venues préciser le champ d’application et l’étendue de ces trois exceptions, formulées en des termes très généraux, pour ne pas dire flous. Il conviendra d’attendre que les juridictions du fond se prononcent dans le sens d’une interprétation soit extensive, soit restrictive, de chacune d'elles. Tout au plus, dans sa décision en date du 26 mars 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé que la fragmentation d’un contrat de travail à temps plein en plusieurs contrats à temps partiel ne devrait pas faire échec à la scission du contrat [7].
L’analyse des décisions rendues par les juges du fond sera essentielle car la question de la divisibilité, ou non, du contrat de travail du salarié entraîne des conséquences quant au régime juridique applicable à la rupture du contrat. En effet, en cas d’indivisibilité du contrat en raison de l’une des trois exceptions précitées, la Cour de cassation précise que la rupture est imputable au repreneur, et ce quand bien même le salarié prendrait seul la décision de la rupture. À l’inverse, en cas de divisibilité du contrat de travail, c’est-à-dire en cas de scission de celui-ci dans le cadre de la mise en œuvre de l’article L1224-1 du Code du travail, la Cour de cassation considère que « la rupture résultant du refus par le salarié d’une modification de son contrat de travail [autre que le changement d’employeur qui s’impose à lui], proposée par l’employeur pour un motif non inhérent à sa personne, constitue un licenciement pour motif économique [8] ».
[1] Cass. soc., 27 février 2013, n° 12-12.305
[2] Cass. soc., 2 mai 2001, n° 99-41.960
[3] Cass. soc., 30 mars 2010, n° 08-42.065
[4] Cass. soc., 30 septembre 2020, pourvoi n° 18-24.881
[5] CJUE, 26 mars 2020, Aff. C-344/18
[6] Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 18-24.881
[7] CJUE, 26 mars 2020, Aff. C-344/18
[8] Cass. soc., 17 avril 2019, n° 17-17.880
Dimitri Colin, avocat au barreau de Paris, Picard avocats
Loi « Hamon » : quelle information préalable des salariés ?
Les PME (c’est-à-dire les entreprises de moins de 250 salariés et qui réalisent moins de 50 millions de chiffre d’affaires annuel), qui souhaitent notamment vendre un fonds de commerce, doivent informer au préalable les salariés de la possibilité de présenter une offre d’achat [1]. Cette obligation, qui avait initialement été prescrite sous peine de nullité de l’opération de cession par le législateur, est désormais sanctionnée par une amende civile plafonnée à 2 % du montant de la vente du fonds de commerce, en cas d’absence d’information, ou d’information insuffisante [2].
[1] Code de commerce articles L141-23 et suiv.
[2] Code de commerce, article L141-23
Publié dans le magazine Direction[s] N° 207 - avril 2022