La question des relations sexuelles qui pourraient avoir lieu au travail, par nature épineuse, l’est d’autant plus dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS). L’employeur doit en effet faire preuve d’une particulière vigilance vis-à-vis du comportement des professionnels à l’égard des usagers.
Des principes dégagés par la Cour de cassation
Un fait relevant de la vie personnelle de l’employé (au sens de vie extraprofessionnelle) ne peut constituer un motif de licenciement. Première exception toutefois ? Il est possible de le licencier si son comportement a créé, compte tenu de ses fonctions et de la finalité propre de l’entreprise, un trouble caractérisé.
Seconde exception permettant au dirigeant de retrouver son pouvoir disciplinaire : il faut que le fait puisse soit se rattacher à la vie professionnelle du salarié, soit caractériser un manquement à une obligation contractuelle. L’employeur informé d’une relation intime entre deux salariés ne peut donc valablement sanctionner ces derniers, sauf à caractériser l’une de ces deux exceptions.
Un rapport sexuel peut justifier un licenciement…
Toutefois, lorsqu’une telle relation implique un professionnel et une personne prise en charge par un établissement social, sanitaire ou médico-social, la solution diffère. La jurisprudence valide en effet les licenciements pour faute grave notifiés à des salariés ayant eu des rapports sexuels avec des personnes accompagnées par le dispositif.
Ainsi, ressort de l’analyse de la jurisprudence, que :
- la circonstance que la relation sexuelle entre le salarié et la personne se déroule pendant ou en dehors des temps et lieu de travail est indifférente. Autrement dit, une relation intime survenue en dehors de l’horaire de travail et au domicile du professionnel est quand même rattachable à ses fonctions et justifie à ce titre la notification d’une sanction disciplinaire [1] ;
- la vulnérabilité des personnes accueillies (une situation de handicap notamment) est systématiquement prise en compte par les juridictions lorsqu’elles apprécient la gravité des manquements commis ;
- les juges ne statuent pas sur la question du consentement des usagers. Autrement dit, leur accord ne constitue pas une circonstance atténuante pour le salarié.
… au même titre qu’une relation platonique
La jurisprudence va encore plus loin et n’hésite pas à valider le licenciement notifié en raison de l’existence d’une (simple) relation amoureuse. Le juge impose ainsi aux employés d’opérer une « distinction sans faille des sphères privées et professionnelles »[2] et n’hésite pas à sanctionner tout débordement. À titre d’illustration, a été validé le licenciement d’un salarié au motif que celui-ci avait « entretenu des relations amicales complices, susceptibles d'évoluer sur le mode amoureux, mais exclusives de toute connotation sexuelle »[3].
Quel motif de licenciement ?
L’employeur ne peut valablement sanctionner un salarié en raison d’un comportement qu’il considérerait comme immoral. Pour être fautifs, les agissements du salarié doivent pouvoir être rattachés à un manquement professionnel. En pratique, les motifs de licenciement admis par la jurisprudence, que l’employeur pourra invoquer, sont divers : manquement au devoir de loyauté, violation des dispositions du règlement intérieur en matière d’éthique
et de correction, « atteinte à la confiance que porte l’employeur à son salarié », « mise en danger du fonctionnement de l’établissement » notamment[4].
[1] Cour d'appel (CA) Besançon, 6 mai 2014, n°13/00426
[2] Ibid.
[3] CA Saint-Denis de La Réunion, 30 novembre 2010, n° 09/00610
[4] Ibid. ; CA Saint-Denis de la Réunion, 13 décembre 2016, n°14/01798
Dimitri Colin, avocat au barreau de Paris, cabinet Picard avocats
Qu'en est-il de la responsabilité de l'employeur ?
Si le chef d'entreprise doit assurer le respect de la vie privée et des libertés individuelles des salariés et personnes accompagnées, il est avant tout garant de leur sécurité. À ce titre, il doit prévenir et sanctionner toute situation de harcèlement sexuel et sera susceptible de voir sa responsabilité engagée en cas de manquement à son obligation en la matière. Une solution identique est à retenir en cas d’agression sexuelle d’un résident par un autre résident, qui surviendrait au sein des locaux professionnels. Ainsi, un Ehpad a été condamné au paiement de la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts à un usager victime d’une agression sexuelle [1]. L’employeur devra donc faire preuve de discernement afin de parvenir au juste équilibre entre le respect des libertés individuelles et la mise en place de conditions de travail et d’accueil adaptées et sécurisées.
[1] TA Poitiers, 22 novembre 2012, n°1002479
Publié dans le magazine Direction[s] N° 208 - mai 2022