« Permettre plus d’autonomie à des déficients visuels » était l'une des motivations de Sandrine Kala.
« L’hyperpolyvalence. » Voilà ce qui motive toujours Isabelle Feildel, 53 ans, éducatrice de chiens d’assistance au centre Handi’chiens d’Alençon (Orne). Elle éduque des chiens pour personnes handicapées motrices et suit des familles d’accueil depuis trente et un ans. Sans jamais avoir voulu changer de travail : « J’ai besoin de toujours toucher le chien, et de conserver le contact avec le bénéficiaire. » Car ce métier nécessite une double compétence, envers les chiens et envers les humains. « Aimer les animaux ne suffit pas, abonde Sandrine Kala, 42 ans, diplômée en 2004, aujourd’hui éducatrice au sein du CIE chiens guides du cœur (Seine-et-Marne). Moi, j’avais envie de rendre service, et de permettre à des déficients visuels de se déplacer avec plus d’autonomie, de plaisir et en toute sécurité. »
Un fil rouge : l’adaptabilité
Et pour cela, les missions des éducateurs se déploient de la naissance du chiot à sa mise à la retraite. Ils participent à la gestion des élevages, conseillent et accompagnent les familles d’accueil. Celles-ci recueillent les chiens une fois sevrés jusqu’à leurs 15-18 mois, avant qu’ils n’entrent en phase d’éducation proprement dite. C'est là que les professionnels apprennent aux animaux leur métier : évitement d’obstacle ou recherche de passages piétons pour les chiens guides, par exemple, ramassage d’objets ou ouvertures de portes pour les chiens d’assistance.
Vient ensuite le temps de composer le binôme chien-bénéficiaire, en fonction des caractères, des besoins, des capacités de chacun. Lorsque l'animal a environ 2 ans, un stage de prise en main est organisé. Restera à suivre l’équipe tout au long de son parcours, avec ou sans intervention entre la remise et la retraite. Totale ou progressive, celle-ci intervient vers l’âge de 10 ans.
Autant de compétences des éducateurs que certifient les titres professionnels de chiens guides d’aveugles et d’assistance pour personnes en situation de handicap. Post-bac ou brevet professionnel, ils sont réalisés en alternance au sein d’une école labellisée.
La patience : indispensable
Outre « une bonne lecture du chiot et une bonne condition physique », mentionnées par Carine Ruiz, responsable technique de Cecidev (Aix-en-Provence), la première qualité que citent tous les professionnels interrogés est la patience. S’y ajoutent « pédagogie et diplomatie », selon Isabelle Feildel ; « mobilité » pour Sandrine Kala ; « empathie » d'après Ulrich Deniau, responsable du centre Handi’chiens de Vineuil (Loir-et-Cher). « Lorsque je recrute, je cherche des personnes passionnées par ce qu’elles sont venues faire », résume Éric Leblanc, directeur technique du CIE chiens guides du cœur. Il attend des éducateurs une grande autonomie, une force de proposition et de l’agilité, « parce que pas un jour ne ressemble à l’autre. Il est impossible de simplement reproduire ce que l’on a appris. » Lui-même n’a cessé d’éduquer des chiens depuis ses 23 ans. Et il estime qu’il convient de faire preuve de charisme pour être écouté. À ses yeux, une personne « trop introvertie » ne saurait exercer cette profession. « On ne peut pas prendre ce métier à la légère, complète Isabelle Feildel, et imaginer, par exemple, travailler avec des horaires précis. »
Une histoire de passion donc, mais de sentiments aussi : « Nous sommes en permanence dans un ascenseur émotionnel », reconnaît Isabelle Feildel. « Lorsque l’on quitte le bureau, on continue de cogiter », confirme Ulrich Deniau, qui a trouvé la bonne distance grâce à son expérience et à sa vie personnelle.
Le soutien des collègues pour résoudre les problèmes rencontrés s’avère aussi précieux. En témoigne Sandrine Kala, qui tient des conférences téléphoniques le soir, en rentrant chez elle. Un partage rendu d’autant plus nécessaire que, ces dernières années, le métier a beaucoup évolué. Au niveau des modes d’éducation des chiens, presque désormais exclusivement basés sur la récompense des bons comportements. Mais aussi au niveau des prises en charge des bénéficiaires, davantage corrélées aux besoins de chacun.
Sophie Massieu
Des intervenants en ESSMS
Apporter de l’apaisement dans un service de soins palliatifs, travailler l’ouverture de la main dans un centre de rééducation fonctionnelle, améliorer la prononciation, soutenir les victimes en justice… Aux côtés des professionnels (kinésithérapeutes, orthophonistes, infirmières…), les chiens peuvent participer à la prise en charge des publics vulnérables au sein des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS). Pour cela, les directeurs et cadres peuvent écrire un projet d’intégration avec Handi’chiens. Y sera défini un budget, choisi le professionnel référent qui accueillera le chien à son domicile. Le personnel de l’établissement sera formé au travail avec l'animal. Depuis 2010, 445 chiens de ce type ont été confiés par Handi’chiens.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 225 - décembre 2023