En raison des missions exercées au sein des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), les employeurs sont placés dans la nécessité de vérifier que les candidats à l’embauche et les travailleurs recrutés ne sont pas les auteurs de certains crimes ou délits qui leur interdiraient d’y travailler.
L’article L. 133-6 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) précise en effet : « Nul ne peut exploiter ni diriger l'un des établissements, services ou lieux de vie et d'accueil […], y intervenir ou y exercer une fonction permanente ou occasionnelle, à quelque titre que ce soit, y compris bénévole, ou être agréé au titre du présent code, s'il a été condamné définitivement soit pour un crime, soit pour les délits prévus […]. »
Si l’examen du casier judiciaire des intéressés révèle l’existence d’une condamnation pénale à l’une des infractions mentionnées par ce texte, il s’avère nécessaire de mettre un terme au processus de recrutement ou aux relations contractuelles.
1) Structures et personnes visées par l’interdiction
En pratique, toutes les structures relevant du champ d’application du CASF sont concernées, dont celles accueillant des mineurs. Par ailleurs, l’ensemble des personnes intervenant au sein de ces structures relèvent de la prohibition édictée par le CASF : celle-ci concerne aussi bien les salariés (CDI, CDD, contrats aidés), intérimaires, que les stagiaires et les bénévoles.
2) Crimes et délits empêchant l’exercice des fonctions
Toute condamnation pénale n’induit pas nécessairement une interdiction d’exercice au sein des ESSMS du secteur ; l’article L. 133-6 du CASF établit une liste précise et limitative des crimes et délits pour lesquels c'est prévu. Aux termes de ce texte, la condamnation définitive à certains crimes et délits entraîne en elle-même l’impossibilité d’exercer dans le secteur (viol ; inceste ; harcèlement sexuel ; délaissement de mineur ; abandon de famille ; pédopornographie, etc.). Ce, alors que l’existence d’une peine supérieure à deux mois d’emprisonnement sans sursis est requise en présence d’autres infractions (atteintes involontaires à la vie ou l’intégrité de la personne, faux et usage de faux, etc.).
3) Casier judiciaire : bulletin n° 2 et n° 3
Le casier judiciaire, qui contient le relevé des décisions judiciaires concernant une personne, est divisé en trois bulletins : le bulletin n° 2 possède un contenu plus détaillé que le bulletin n° 3.
Le bulletin n° 2 ne peut être sollicité que par certains services et établissements d’accueil et d’accompagnement de mineurs, qui sont listés à l’article D. 571-4 du Code de procédure pénale. Les dirigeants de tels établissements doivent adresser une demande à l’administration publique compétente (à savoir, soit le conseil départemental, soit la protection judiciaire de la jeunesse, soit l’agence régionale de santé). Si le bulletin n° 2 ne mentionne pas de condamnation, l’administration est autorisée à communiquer le document à l’employeur ; sinon elle l'informera seulement de l’existence de condamnation incompatible avec l'emploi à exercer mais ne lui transmettra pas le casier judiciaire [1].
Pour les autres établissements, seul le bulletin n° 3 peut être examiné : celui-ci doit être sollicité directement par l’employeur auprès des salariés [2].
À noter. Pour éviter toute difficulté, il est préconisé de mentionner cette exigence sur l’offre d’emploi et de la rappeler au candidat lors de l’entretien de recrutement.
4) Moments du contrôle : avant et après embauche
Le bulletin judiciaire doit en effet être contrôlé lors du recrutement : par principe, l’employeur doit obtenir les informations requises avant même que le salarié prenne ses fonctions. Il est donc fondamental de réfléchir, en amont, à la mise en place de procédures internes, permettant d’obtenir ces informations dans les temps.
Le contrôle des antécédents doit, par ailleurs, être réalisé après l’embauche, « à intervalles réguliers » [3]. La loi ne précisant cependant pas à quelle fréquence ces contrôles doivent avoir lieu, plusieurs options sont envisageables pour prendre les devants :
- insérer une clause dans les contrats de travail des salariés, leur imposant de porter à la connaissance de l’employeur toute condamnation pénale listée à l’article L. 133-6 du CASF ;
- solliciter, annuellement, auprès des salariés, la communication du bulletin n° 3 de leur casier judiciaire ;
- solliciter, annuellement, auprès de l’administration, la vérification du bulletin n° 2 du casier judiciaire.
5) Le constat de l’incapacité pénale d’un salarié
Lorsqu’il apparaît qu’un salarié entre dans le champ de l’interdiction édictée par l’article L. 133-6 du CASF, l’employeur est contraint de réagir et de mettre fin aux relations contractuelles. La loi est cependant muette sur le motif de licenciement à retenir.
S’agissant des contrats à durée indéterminée (lire aussi l’encadré), postérieurement à la période d’essai, le motif de licenciement idoine n’est pas disciplinaire, puisqu'il a, par hypothèse, pour origine un fait relevant de la vie privée du salarié. Le licenciement aura donc pour motif spécifique le non-respect de l’article L. 133-6 du CASF, compte tenu de l'incapacité d’origine légale du salarié à occuper un emploi au sein de la structure.
La procédure de licenciement devra être respectée et le salarié devra bénéficier d’une indemnité légale ou conventionnelle de licenciement, selon le montant le plus favorable. En revanche, l’indemnité de préavis ne sera pas due dans la mesure où le salarié ne sera pas en capacité de l’exécuter, du fait de l’interdiction mentionnée par l’article L. 133-6 CASF.
[1] Code pénal, art. D. 571-7
[2] Instruction DGAS/2A n° 2007-112 du 22 mars 2007(annexe 5)
[3] CASF, art. L. 133-6
Pierre Andrès, avocat au barreau de Paris, Picard avocats
Quid pour les salariés en CDD ?
Pour les contrats à durée déterminée (CDD), postérieurement à la période d’essai, les motifs de rupture anticipée admis sont énumérés par la loi : force majeure, faute grave, inaptitude, commun accord [1]. Ces motifs sont limitatifs et la jurisprudence précise que le contrat de travail ne peut pas prévoir qu’une circonstance quelconque constituera en elle-même une cause de rupture anticipée du CDD. S’agissant de la rupture anticipée pour motif disciplinaire (faute grave), comme pour le CDI, dès lors que les faits qui ont donné lieu à la condamnation pénale ont été commis dans le cadre de la vie personnelle du salarié (c’est-à-dire en dehors de ses fonctions), ceux-ci ne devraient pas pouvoir justifier en tant que tels une rupture anticipée du CDD pour faute grave. Quant à la force majeure, celle-ci n’est presque jamais retenue par la jurisprudence et ne serait pas pertinente ici. Le motif de rupture d’un commun accord est, quant à lui, tout à fait envisageable : il suppose cependant de trouver un consensus avec le salarié.
[1] C. trav., art. L. 1243-1
Publié dans le magazine Direction[s] N° 225 - décembre 2023