La loi Marché du travail, du 21 décembre 2022 a réintroduit la possibilité pour les employeurs de certains secteurs d’activité de recourir à un seul contrat de travail à durée déterminée (CDD) ou contrat de travail temporaire (CTT) [1] afin de remplacer plusieurs salariés absents. Si le dispositif se veut séduisant pour ses avantages pratiques, les dispositions légales et réglementaires sont particulièrement lacunaires sur ses modalités de mise en œuvre. Le ministère du Travail a toutefois diffusé, le 13 avril 2023, une foire aux questions (FAQ) qui traite des principales interrogations suscitées par la conclusion de ce type de contrat.
1) Qui peut y recourir ?
Le décret n° 2023-263 du 12 avril 2023 précise que « les secteurs éligibles à cette expérimentation sont ceux définis par les conventions collectives énumérées dans la liste annexée au présent décret ». L’annexe visée dresse une liste de « secteurs autorisés définis par convention collective (IDCC) de rattachement », parmi lesquelles figurent notamment les conventions collectives (CCN) du secteur de l’économie sociale et solidaire (31 octobre 1951, 15 mars 1966, Croix-Rouge française, Aide à domicile, Éclat, Lien social et familial, etc.). De notre lecture et si l’on s’attache tant à la lettre qu’à l’esprit du texte, il suffit que l’activité principale de l’employeur relève du champ d’application de l’une de ces conventions pour être éligible au dispositif.
2) Quelle est la durée de l’expérimentation ?
Le décret ayant été publié le 13 avril 2023, il est entré en vigueur le lendemain pour une durée de deux ans. Ainsi, des contrats de ce type pourront être conclus jusqu’au 13 avril 2025 inclus, même si leurs effets perdurent au-delà de ce terme.
À noter. Il est possible de conclure un avenant à un CDD de remplacement en cours pour « introduire » le multi-remplacement.
3) Faut-il identifier les différentes personnes remplacées ?
L’ensemble des clauses obligatoires du CDD [2], et le cas échéant du contrat à temps partiel [3], doivent figurer dans le contrat. Par conséquent, chacune des personnes remplacées, ainsi que leur qualification professionnelle respective, doivent impérativement être mentionnées sur le CDD du remplaçant. Ainsi, il n’est pas possible de mentionner uniquement un remplacement multiple durant la période estivale, sans précision de chaque personne remplacée. Si le contrat initial n’a été conclu que pour le remplacement d’un seul salarié absent, un avenant doit nécessairement être conclu pour que le salarié assume le remplacement d’une nouvelle personne : il n’est pas possible de recourir aux heures supplémentaires ou complémentaires pour remplacer un salarié non mentionné au contrat.
4) Comment rédiger le contrat face à des durées d’absences différentes ?
Comme le rappelle la FAQ, le dispositif permet de remplacer des salariés dont les absences sont concomitantes ou successives. En cas de remplacement simultané de salariés ayant des durées d’absence différentes, le contrat doit faire correspondre le nom et la qualification professionnelle de la personne remplacée à la durée du remplacement de cette personne ou à la durée minimale du remplacement en cas de terme imprécis.
Prenons l’exemple du remplacement simultané d’un salarié A, en congé pendant deux semaines, et d’un salarié B, en arrêt maladie dont la date de retour est incertaine. Le contrat mentionnera :
- remplacement de A, qualification (à compléter), du (date) au (date) ;
- remplacement de B, qualification (à compléter), du (date) jusqu’au retour de son arrêt maladie, avec une durée minimale de (à compléter : par exemple une semaine).
Par ailleurs, les absences des salariés remplacés, qui n’ont pas nécessairement à avoir la même cause, doivent impérativement s’enchaîner sans aucune interruption. Le salarié remplaçant ne doit jamais, au cours de l’exécution de son contrat, n'être affecté au remplacement d’aucun salarié absent, même pour une très courte durée. La FAQ donne un exemple : il n’est pas possible de prévoir un seul contrat du 1er au 31 juillet avec une période sans activité du 20 juin au 1er juillet.
5) Un nombre limité de personnes à remplacer ?
Si la loi ne comporte aucune restriction sur ce point, il convient de veiller au respect des durées maximales de travail et du repos minimal obligatoire. Par ailleurs, le CDD multi-remplacements n’a pas pour effet de déroger à la limite de deux renouvellements pour un même contrat et à la durée maximale de dix-huit mois pour un contrat à terme précis. En revanche, et comme le précise la FAQ, « l’ajout, par voie d’avenant, de nouvelles missions de remplacement dans le cadre de l'expérimentation et ayant incidemment pour effet de prolonger la durée prévue initialement au contrat de travail ne constitue par un renouvellement au sens de l’article L. 1243-13 » du Code du travail.
Illustration :
- remplacement à termes précis de A (en formation) et de B (en congé sans solde) ;
- pour prolonger le remplacement de A ou de B en raison d’une prolongation de l’absence de l’un et/ou de l’autre, il convient d’appliquer les règles de renouvellement (2 maximum) ;
- si l’employeur souhaite ajouter un nouveau salarié remplacé (C), cela ne constitue pas un renouvellement même si cet ajout a pour effet de prolonger la durée du contrat initialement conclu avec le remplaçant.
6) Pour remplacer des salariés aux postes différents ?
Cela est possible dès lors que l’ensemble des postes relève de la qualification professionnelle du salarié remplaçant, y compris pour un remplacement simultané de fonctions cadres et non-cadres. Dans le même sens, les postes de remplacement n’ont pas nécessairement à se situer au sein du même établissement ni même dans le même secteur géographique, sous réserve que le salarié soit effectivement en mesure de se rendre sur ses différents lieux de travail. Néanmoins, cette flexibilité « multi-postes » pose plusieurs problématiques auxquelles le ministère apporte des réponses satisfaisantes. En premier lieu, « lorsque les remplacements ne se font pas sur le même poste, le salarié bénéficie d’une rémunération différente pour chaque remplacement en raison du coefficient afférent dans la grille de classification propre à chaque poste occupé. L’employeur peut soit décomposer la rémunération au prorata, en fonction des différentes caractéristiques des postes occupés le cas échéant, soit proposer une rémunération supérieure, en particulier pour des motifs d’attractivité ». S’agissant de la paie, la FAQ précise que « le bulletin de paie devra permettre de distinguer le salaire correspondant à chacun des postes occupés. Néanmoins, si les postes comportent des différences importantes, l’employeur pourra fournir un bulletin de paie par poste afin de fournir une meilleure lisibilité au salarié sur sa situation ». En pratique, il apparaît donc particulièrement opportun d’associer le service de paie au déploiement du dispositif au sein de la structure.
7) Comment gérer des durées de travail différentes ?
Il est possible de remplacer simultanément ou successivement des salariés à temps plein et à temps partiel. Puisqu’il n’y a qu’une relation contractuelle avec le remplaçant, l’appréciation de sa durée de travail (temps plein ou temps partiel) s’effectue en fonction de la durée totale de travail au cours d’une période et non en fonction de la durée de travail de chaque salarié remplacé. À titre d’illustration :
- Remplacements successifs de A à temps plein du 1er au 30 juin, puis de B à temps partiel du 1er au 31 juillet. Il conviendra d’indiquer, pour le remplacement de B, les mentions obligatoires liées au temps partiel ;
- Remplacements simultanés de A à temps plein du 1er au 30 juin, puis de B à temps partiel du 15 juin au 31 juillet : le salarié sera à temps plein du 1er au 14 juin (remplacement d’un salarié à temps plein) ainsi que du 15 juin au 30 juin (remplacement d’un salarié à temps plein et d’un salarié à temps partiel), puis il sera à temps partiel du 1er au 31 juillet. Il conviendra d’indiquer, pour chaque période où le salarié se retrouve à temps partiel, les clauses obligatoires de ce type de contrat.
Si l’alternance de périodes à temps plein et à temps partiel n’est pas prévisible dès la conclusion du contrat initial, il est nécessaire de conclure un avenant pour formaliser le passage d’un temps partiel à un temps plein et inversement.
Enfin et comme le confirme la FAQ, il n’est pas obligatoire d’indiquer au contrat le temps de travail de chacune des personnes remplacées et la répartition horaire de chaque remplacement. Le ministère préconise toutefois de mentionner au contrat « la répartition des tâches attachées au remplacement de chacun des salariés absents ou tout autre élément d’organisation, lorsque cela est nécessaire ». Pour ce qui concerne les salariés à temps partiel, il n’est pas obligatoire de ventiler les heures au regard des salariés absents remplacés. Toutefois et pour mémoire, la loi impose que le contrat du salarié à temps partiel mentionne notamment la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et, sauf pour les salariés des associations d'aide à domicile et ceux relevant d'un accord collectif relatif à l’aménagement du temps de travail, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois. Par conséquent, ces données devront nécessairement correspondre au total des heures réalisées en remplacement par le salarié à temps partiel concerné.
8) Quel terme pour le contrat ?
Même en présence de remplacements multiples, il n’existe qu’une relation contractuelle avec le remplaçant. Par conséquent, le contrat arrive à échéance lorsque le dernier arrive à son terme. Aussi, la rupture de la période d’essai ou la rupture anticipée du contrat – selon les motifs de droit commun [4] – vaut pour l’ensemble des remplacements. Par ailleurs, l’indemnité de précarité et les documents de fin de contrat ne doivent être remis qu’à l’issue du dernier remplacement.
[
1] Le contenu du présent article est transposable au CTT de remplacement dans le respect du régime juridique de l’intérim
[2
] C. trav., art. L. 1242-12
[3
] C. trav., art. L. 3123-6
[4
] C. trav., art. L. 1243-1
Cécile Noël, avocate, Picard avocats
Multi-remplacements, multi-risques ?
Si le dispositif expérimental déroge à la règle du remplacement unique, l’ensemble du régime juridique du CDD de droit commun demeure applicable. Ainsi, la violation du formalisme contractuel et des règles de recours au contrat précaire emporte les risques suivants :
- sanctions prud’homales ( requalification en CDI avec versement d’une indemnité de requalification, requalification de la rupture en licenciement injustifié) ;
- sanctions pénales (pouvant être constatées par l’inspecteur du travail). Pour une personne physique telle que le président de l’association, 3 750 euros d’amende (7 500 euros et six mois d’emprisonnement en cas de récidive) ; pour une personne morale, le montant de l’amende est quintuplé, soit 18 750 euros (37 500 euros en cas de récidive).
Foire aux questions : quelle valeur juridique ?
Si ce document se veut pédagogique, il n’est opposable par l’employeur ni à l’Administration (en cas de contrôle de l’inspection du travail, notamment) ni au juge. En clair, en cas de litige civil ou pénal, l’employeur ne peut pas se dégager de sa responsabilité en indiquant avoir respecté la FAQ. La vigilance et la prudence doivent donc être de mise pour le déploiement de cette expérimentation pour laquelle les structures du secteur font, en pratique, office de cobaye.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 220 - juin 2023