Les juges prennent en compte le climat social et syndical de l’entreprise.
L’arbitrage peut parfois sembler difficile et ce, particulièrement en période électorale ou de conflits sociaux, entre la liberté de ton, nécessaire à l’exercice du mandat syndical, et l’abus de liberté d’expression, pouvant légitimement être sanctionné par l’employeur. En effet, si les textes protègent la liberté d’expression syndicale, ils en fixent également les limites, permettant à l’employeur de réagir dans l’hypothèse où un syndicat outrepasserait ses prérogatives.
Les principes applicables
Le Code du travail prévoit que le contenu des affiches, publications et tracts syndicaux est en principe librement déterminé par l’organisation syndicale [1]. Plusieurs limites sont toutefois expressément fixées, tant par le législateur que par la jurisprudence :
- le contenu des communications doit revêtir un caractère strictement syndical, à l’exclusion de tout contenu purement politique et sans lien direct avec des questions de nature professionnelle [2] ;
- les syndicats sont tenus à une obligation de discrétion qui leur interdit de diffuser auprès des salariés les informations confidentielles obtenues dans le cadre de l’exécution de leurs fonctions représentatives [3] ;
- surtout, le Code du travail soumet la liberté d’expression syndicale au respect des dispositions relatives à la presse [4].
Les dispositions relatives au droit de la presse
Le respect des dispositions relatives au droit de la presse signifie notamment que les communications syndicales ne doivent contenir aucune injure ni diffamation, en application de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Son article 29 définit la diffamation comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ». Il faut donc qu’un fait précis soit allégué, qu’une personne identifiée (ou identifiable) soit mise en cause et qu’une atteinte à son honneur ou à sa considération soit établie.
L’injure est définie, quant à elle, comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait ». L’injure se distingue ainsi de la diffamation en ce qu’elle ne repose pas sur un fait dont la réalité peut être démontrée ou discutée mais sur une expression en elle-même outrageante.
En matière syndicale, les juges ont consacré une interprétation particulière de ces deux infractions et prennent en compte le contexte syndical et social de l’entreprise. En effet, toute organisation syndicale dispose, par nature, d’un droit de critique à l’égard des décisions de l’employeur, lequel est susceptible de s’exprimer de manière d’autant plus vive et tranchée en période de crise ou de conflits sociaux ainsi qu’en période électorale.
Ainsi, la Cour de cassation est venue préciser que « le langage syndical justifie la tolérance de certains excès à la mesure des tensions nées de conflits sociaux ou de la violence qui parfois sous-tend les relations de travail » [5]. En matière sociale, les abus d’expression s’apprécient donc restrictivement. En pratique, les juges se réfèrent à la notion prétorienne de « polémique syndicale », pour estimer l’existence, ou non, d’un abus [6].
[1] Article L. 2142-5 du Code du travail
[2] Crim. 25 novembre 1980, n° 80-90.554
[3] TGI Lyon 11 décembre 1984, n° 84-1112, Syndicat CGT des ouvriers métallurgistes de Vénissieux-Saint-Priest c/ Société Renault véhicules industriels
[4] Article L. 2142-5 du Code du travail
[5] Crim. 10 mai 2005, n° 04-84.705
[6] Crim. 10 mai 2005, n° 04-84.705 ; Civ. 1re, 21 février 2006, n° 04-16.705
Dimitri Colin, avocat au barreau de Paris, Picard avocats
Comment réagir en cas d’abus ?
L’employeur peut en premier lieu tenter d’obtenir la suppression du support litigieux en saisissant le juge [1]. En effet, l’employeur ne dispose d’aucun droit direct de contrôle sur le contenu des affiches et tracts syndicaux. L’employeur peut également engager la responsabilité civile et/ou pénale de l’auteur. L’injure et la diffamation publique sont punies d’une peine maximum de 12 000 euros d’amende. Précision importante, seul l’auteur personne physique peut être poursuivi sur le fondement du droit de la presse et non le syndicat pris en qualité de personne morale [2]. En complément, la responsabilité civile de l’auteur peut toujours être recherchée et donner lieu à l’octroi de dommages et intérêts, lesquels sont toutefois souvent évalués à un euro symbolique en matière de publications syndicales [3].
[1] Crim. 19 février 1979, Bull. crim. n° 73
[2] Crim. 10 septembre 2013, n° 12-83.672
[3] CA Paris, 26 octobre 2005, n° 04/16363
Publié dans le magazine Direction[s] N° 219 - mai 2023